République du Congo : La dette adossée au pétrole pourrait dépasser les estimations du FMI, selon Global Witness
La dette publique de la République du Congo pourrait dépasser les 12.5 milliards de dollars, selon les dernières révélations de Global Witness. Cela représente plus d’un tiers supplémentaire par rapport aux estimations publiées par le FMI en juillet 2019, alors que l’institution financière accordait plusieurs millions de dollars au pays dans le cadre de son quatrième plan de sauvetage. La principale entreprise d’Etat congolaise, la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) a contracté un minimum de 2,7 milliards de dollars de dettes jusque-là confidentielles auprès de géants pétroliers, notamment Total, Chevron et Eni, selon notre analyse de ses comptes vérifiés. Cela représente une augmentation de 50 % depuis 2010. L’entreprise d’Etat doit également 606 millions de dollars gagés sur le pétrole à un consortium de banques représenté par le conglomérat panafricain Ecobank. Dans le cadre de son plan de sauvetage financier, le FMI a imposé la publication des comptes de la SNPC et de contrats pétroliers en 2018 et 2019. Outre la dette galopante de l’entreprise d’Etat, ces nouveaux documents lèvent le voile sur des millions de dollars de fonds manquants – il s’agit là de signaux d’alerte majeurs de corruption. Le passif de la SNPC pourrait devenir celui de l’Etat et entraîner des conséquences désastreuses. Depuis 2015 au moins, le Congo est surendetté, ce qui signifie que le pays ne peut plus rembourser ses dettes conformément aux conditions et au calendrier prédéfinis. En 2016, la dette publique nationale culminait à 119 % du PIB, contre environ 86 % estimés aujourd’hui. Toutefois, ce chiffre pourrait en fait atteindre 115 % du PIB si les dettes de la SNPC étaient prises en compte. Avec un bilan représentant près de 50 % du PIB national, la SNPC est l’un des principaux piliers de l’économie pétro-dépendante qu’est le Congo. Pourtant, sur la période comprise entre 2012 et 2018, l’entreprise d’Etat a à peine atteint le seuil de rentabilité. Depuis sa constitution en 1998, la SNPC est rongée par la corruption et les mauvaises pratiques de gestion. Les faibles résultats de l’entreprise expliquent en partie pourquoi le Congo perçoit d’aussi maigres revenus pétroliers – l’équivalent en dollar d’un peu plus de 2 % de la production totale de pétrole et de gaz du pays en 2017, selon l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Selon Natasha White de Global Witness, « Notre analyse soulève d’importantes questions sur la destination des revenus pétroliers congolais. Nous y décrivons un secteur tout acquis à la cause des sociétés pétrolières étrangères, notamment Total, Chevron et Eni, et dénonçons des signaux d’alerte alarmants de corruption. Ces révélations justifient un examen approfondi, particulièrement de la part du FMI, qui s’apprête à accorder une nouvelle tranche d’un plan de sauvetage chiffré à près d’un demi-milliard de dollars. » La mauvaise gestion et la corruption dans le secteur pétrolier, principale source des recettes de l’Etat congolais, se répercutent essentiellement sur les populations pauvres. Une étude récente indique qu’entre 2015 et 2018, en pleine crise nationale de la dette, les dépenses publiques ont chuté de plus de 50 %. Alors que des retraités congolais ne touchent plus leur pension depuis des années et que des hôpitaux manquent continuellement de moyens, la famille présidentielle est inquiétée par la justice française dans l’affaire des « biens mal acquis ». Global Witness a récemment dévoilé que la fille et le fils du président congolais, lui-même ancien directeur-général de la SNPC, auraient blanchi jusqu’à 70 millions de dollars de fonds publics. Le Congo, troisième plus grand producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, est l’une des sociétés les plus inégales du monde. D’après les comptes de la SNPC, les passifs contractés auprès des majors pétrolières représentent principalement des coûts opérationnels couverts par ces sociétés au nom de l’entreprise d’Etat. Néanmoins, notre analyse expose que ces sociétés peuvent recouvrer un vaste éventail de couts, dont les salaires et cotisations de retraite des employés, leurs frais médicaux, de transports, communications, logement ou encore les frais de scolarité de leurs enfants. Elf, le prédécesseur de Total, est même parvenu à faire passer un « bonus de signature » de 50 millions de dollars – une commission unique versée à la signature d’un contrat, et représentant une source importante de revenus pétroliers pour l’Etat – comme l’un de ses frais, et donc à facturer 5 % d’intérêts au Congo sur ce soi-disant « prêt ». Selon Natasha White, « les responsables congolais ont réduit les dépenses publiques de plus de 50 % depuis 2015 et la crise de la dette, mais cela ne les aurait pas empêchés d’accepter de subventionner les frais généraux des plus grosses entreprises pétrolières du monde. Les responsables congolais doivent réviser et, s’il y a lieu, renégocier tout contrat du secteur pétrolier jugé caduc et inéquitable, et soumettre de toute urgence à un audit public indépendant l’ensemble des coûts facturés à la SNPC. Les comptes de la SNPC et les rapports de l’ITIE attestent que 156 millions de dollars de dividendes destinés à l’unique actionnaire de la SNPC – l’Etat – auraient disparus entre 2016 et 2018. Ces mêmes comptes dévoilent également qu’en 2018, la SNPC était créancière d’entités non identifiées à hauteur de 1,18 milliard de dollars – une somme qui dépasse son chiffre d’affaires annuel. Les comptes révèlent enfin qu’Eni, géant pétrolier italien coté en bourse, aurait passé plus de 280 millions de dollars de dettes de la SNPC par pertes et profits dans le cadre du renouvellement de plusieurs permis ; ce dernier fait justement l’objet d’une enquête pour corruption menée par le parquet de Milan et d’une récente investigation de Global Witness. Notre analyse soulève d’autres questions importantes sur ces accords et les arguments commerciaux pouvant justifier l’apparente annulation de ces millions de dollars de dette. « Global Witness salue la publication des comptes et des contrats pétroliers de la SNPC, qu’elle considère comme une étape importante vers la transparence du secteur, » déclare Natasha White, « Toutefois, la transparence n’est pas une fin en soi, et ces documents soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Le FMI et les autorités congolaises doivent exiger que la SNPC fasse preuve de clarté sur le recouvrement
Global Witness : « Denis Christel Sassou-Nguesso a profité de plus de 50 millions de dollars provenant du Trésor congolais »
ANTIVALEURS. Dans une nouvelle enquête, Global Witness accuse Denis Christel Sassou-Nguesso, le fils du Président de la République du Congo, d’avoir détourné plus de 50 millions de dollars de fonds publics, précisément du Trésor congolais, pour son bénéfice personnel. D’après cette ONG, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne, l’argent détourné aurait été acheminé à travers six pays européens, ainsi qu’à travers les États-Unis et les Îles Britanniques. Au centre d’une enquête portugaise sur la corruption et le blanchiment d’argent au Congo, José Veiga, un homme d’affaires controversé, aurait joué un rôle clé au sein de cette affaire, selon les conclusions de ses investigations. A en croire cette dernière, Denis Christel Sassou-Nguesso et José Veiga auraient mis en place un système présumé de blanchiment d’argent en utilisant des juridictions secrètes, des sociétés fictives et un faux contrat de travaux publics pour dissimuler l’origine des fonds. Pour Global Witness, il ne fait aucun doute que « cette manœuvre reflète le modèle et la structure d’un arrangement utilisé à peu près à la même époque par la sœur de Denis Christel Sassou-Nguesso, Claudia Sassou-Nguesso », responsable de la communication présidentielle et, comme son frère, membre du parlement congolais. Pour rappel, dans une enquête précédente (avril 2019), l’ONG avait révélé le détournement par Claudia Sassou-Nguesso de près de 20 millions de dollars de fonds publics et l’utilisation par celle-ci d’une partie de somme pour acheter un appartement de luxe dans le Trump International Hotel and Tower à New York. Revenant à sa récente enquête, elle affirme que « les documents examinés par Global Witness retracent l’extorsion de plus d’un demi-milliard de dollars du Trésor congolais et le transit de sommes de plusieurs millions de dollars, représentant au total plus de 50 millions de dollars, par des sociétés dans l’État américain du Delaware et les Îles Vierges Britanniques, avant d’atteindre Chypre ». Au fil de ses enquêtes, Global Witness se serait rendu compte que « les entreprises chypriotes secrètement détenues par Denis Christel Sassou-Nguesso ont reçu de l’argent, que celui-ci a ensuite utilisé pour effectuer des paiements à des entreprises installées en Pologne, au Portugal, en Espagne et en Suisse ». Chargée de Campagne chez Global Witness, Mariana Abreu explique : « en retraçant le parcours de l’argent, nous avons constaté qu’il avait été acheminé à travers de nombreuses juridictions telles que l’Union Européenne et les États-Unis, qui s’enorgueillissent d’avoir des réglementations solides en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. » Adrien Thyg
Global Witness: 2017 détient la triste palme de l’année la plus meurtrière pour les défenseurs des droits à la terre et les défenseurs environnementaux
Global Witness a révélé récemment qu’au moins 207 défenseurs des droits à la terre et défenseurs environnementaux ont été tues l’année dernière – des chefs autochtones, des activistes de la communauté et des activistes environnementaux ont été assassinés alors qu’ils tentaient de protéger leurs domiciles et leurs communautés contre l’extraction minière, l’agrobusiness et d’autres industries destructrices. La collecte d’informations étant particulièrement complexe, le chiffre réel est sans doute bien plus élevé. Le meurtre est l’exemple le plus choquant parmi la batterie de tactiques utilisée pour faire taire les défenseurs – ces tactiques comprennent menaces de mort, arrestations, intimidations,cyberattaques, agressions sexuelles et attaques juridiques. C’est l’agrobusiness, et non plus l’extraction minière, qui est désormais devenue l’industrie dans laquelle les défenseurs sont le plus menacés, selon le rapport « At What Cost ? » de (Le prix à payer). Ainsi, en Colombie, Hernán Bedoya a été abattu de 14 balles par un groupe paramilitaire parce qu’il protestait contre l’extraction de l’huile de palme et les plantations de bananiers sur des terres volées à sa communauté. Aux Philippines, l’armée a massacré huit villageois qui s’étaient opposés à une plantation de café sur leurs terres. Enfin, au Brésil 22 amérindiens de la tribu Gamela ont été blessés grièvement – certains s’étant fait couper les mains – par des agriculteurs qui les ont attaqués sauvagement avec des machettes et des armes à feu. Le rapport « At What Cost ? » montre bien que cette violence est directement liée aux produits que nous stockons dans nos placards. En effet,l’agriculture à grande échelle, l’extraction minière, le braconnage et l’abattage produisent des matériaux et ingrédients qui entrent dans la fabrication de produits vendus en supermarché comme l’huile de palme pour les shampooings, le soja pour nourrir les bovins, et le bois pour les meubles. Le rapport indique par ailleurs que certains gouvernements et certaines entreprises sont complices des assassinats. Global Witness appelle donc à une action urgente pour renverser la tendance. Aujourd’hui les gouvernements et les entreprises sont responsables, mais ils peuvent décider au contraire de trouver des solutions. Ils doivent s’attaquer aux causes mêmes de ces violences, en s’assurant par exemple que les communautés aient le droit derefuser des projets sur leurs terres – l’extraction minière notamment – ; mais aussi en soutenant et en protégeant les défenseurs menacés et en s’assurant que justice soit rendue pour ceux qui subissent cette violence. Ben Leather, Responsable de campagne Senior chez Global Witness : « On assassine des activistes locaux parce que les gouvernements et les entreprises accordent plus de poids au profit rapide qu’aux vies humaines.Les étagères de nos supermarchés sont remplies de produits issus de ce carnage. Or les communautés courageuses qui résistent aux fonctionnaires corrompus, aux industries destructrices et à la dévastation environnementale sont brutalement réduites au silence. C’en est assez. Les gouvernements, les entreprises et les investisseurs ont le devoir et le pouvoir de soutenir et de protéger les défenseurs en danger. Ils doiventgarantir qu’il y aura des comptes à rendre, ils doivent garantir le principe de responsabilité à chaque fois que des attaques se produisent. De plus – et c’est là le plus important – ils ont le pouvoir, en amont, d’empêcher ces menaces d’exister – en étant à l’écoute des communautés locales, en respectant leurs droits, et en s’assurant que le commerce se déroule de façon responsable. Malgré les risques très élevés, la communauté mondiale des défenseurs des droits à la terre et des défenseurs environnementaux ne fléchit pas – au contraire, elle gagne en force et en visibilité. Nous invitons les consommateurs à se joindre à nous pour faire campagne aux côtés des défenseurs,pour mener leurs combats jusqu’aux couloirs du pouvoir et dans les salles du conseil des grandes entreprises. Nous ferons en sorte que leurs voix soient entendues. Et nous serons là pour nous assurer que les défenseurs, leurs terres, et l’environnement – dont nous dépendons tous – sont protégés comme il se doit. Des chiffres clés supplémentaires: Le Brésil a enregistré la pire année documentée dans le monde entier, avec 57 meurtres commis en 2017. 48 défenseurs ont été tués aux Philippines en 2017 – c’est le chiffre le plus élevé qu’on ait jamais enregistré dans un pays asiatique. 60 % des meurtres enregistrés ont eu lieu en Amérique Latine. Au Mexique et au Pérou il y a eu une très nette augmentation du nombre d’assassinats – de 3 à 15 et de 2 à 8, respectivement. Le Nicaragua s’est avéré être le lieu le plus dangereux par habitant – avec quatre meurtres par habitant. Pour la première fois, c’est l’agrobusiness qui a été l’industrie la plus meurtrière – avec au moins 46 meurtres associés à ce secteur. Les assassinats liés à l’extraction minière ont augmenté de 33 à 40, tandis que 23 meurtres étaient liés à l’abattage. Défier les braconniers est devenu une activité encore plus dangereuse en 2017 qu’auparavant – en effet Global Witness a enregistré un chiffre record de 24 personnes assassinées pour avoir pris position contre le commerce illégal de la faune – surtout des gardes forestiers en Afrique. Global Witness a découvert que les forces de sécurité gouvernementales sont associées à 53 des meurtres commis l’année dernière ; tandis que 90 meurtres avaient été commis par des acteurs non-étatiques comme des gangs criminels. Il y a eu une forte baisse des assassinats des défenseurs des droits à la terre et des défenseurs environnementaux au Honduras, mais la répression de la société civile en général s’est aggravée. Depuis quelques années les gouvernements et les entreprises ont commencé à reconnaître que la situation était critique et se sont mis à agir,mais il est impératif et urgent de faire beaucoup plus et beaucoup mieux pour gérer ce grave problème. La campagne est soutenue par nombre de militants environnementaux médiatisés dont Yuri Herrera, Margaret Atwood, Lily Cole, George Monbiot, Ben Fogle, Paloma Faith et Martin Freeman.