Avec son disque « Isabelle », Pambou Tchicaya « Tchico » marque l’année 1975. Un titre qui lui porte bonheur puisque c’est aussi celui de sa première tournée africaine. La chanson sera vendue à plus de milliers d’exemplaires et se classera bien sûr numéro 01.
« Isabelle » des Bantous de la Capitale. Quand l’amour souffre des effets collatéraux de la politique. Certes la chanson est sortie en 1975, mais son histoire date de 1964. Aussi avec notre ami Ngimbi Kalumvueziko, qui le moment opportun nous éclairera sur la philosophie de certaines chansons, voici ce que nous révèle « Isabelle mwana Kin ».
En cette année 1964, les deux capitales les plus
rapprochées au monde, Brazzaville et Kinshasa (ex-Léopoldville) entretenaient
des relations tumultueuses ponctuées de crises récurrentes plus ou moins
graves. Les ondes de radio des deux stations-radio nationales se livraient une
sorte de guerre marquée par des éditoriaux aux relents belliqueux et injurieux,
appelée « guerre des ondes ».
Les anciens Kinois doivent encore se souvenir de « cartes blanches » de l’excellent présentateur du journal français Alphonse Mavungu. Cela était bien sûr dans l’air du temps; les deux pays avaient opté chacun pour l’un ou l’autre des deux blocs politiques et idéologiques dominants du monde, le bloc occidental dirigé par les États-Unis pour le Congo-Leo (Kinshasa) comme on l’appelait à l’époque et le bloc-Est dirigé par l’URSS (Union des Républiques Socialistes et Soviétiques) pour le Congo-Brazza.
C’est dans cette ambiance de forte tension permanente que Moise Tshombe, (premier ministre du Congo-Leo) décida d’expulser tous les ressortissants du Congo-Brazza, brandissant la menace d’occuper Brazzaville, qualifiée de commune de Léopoldville en 24 heures ! Pour Tshombe il s’agissait de dissuader le gouvernement du Congo-Brazza à s’abstenir d’activer les lumumbistes radicaux réfugiés à Brazzaville pour joindre les rangs des rebelles « mulelistes » qui se battaient dans le Kuilu contre l’ANC (Armée Nationale Congolaise)et menaçaient d’attaquer Léopoldville
En quelques deux jours tous les Congolais de Brazzaville avaient regagné leur pays, abandonnant tous leurs biens (meubles et immobiliers). Parmi eux de nombreux musiciens qui avaient fait le bonheur de grands orchestres kinois comme Michel Boyibanda, Pamelo Mounk’A, Edo Ganga, Daniel Loubelo « De la lune », … et de nombreux footballeurs tels les gardiens Kibiasi de Daring et Tandu Vieux Paulin de Vaticano, Ganga « Dafirma » de Daring.
La décision de Tshombe a créé aussi des situations
malheureuses loin de la scène politique; des mariages et des fiançailles ont
été rompus ainsi que de nombreuses relations amoureuses prometteuses. Alors que
nombre de ces malheureux ont vécu leur infortune dans le silence, Pambou
Tchicaya, l’auteur de la chanson « Isabelle » n’a pas pu taire son chagrin.
Il n’a pas vu son amour « Isabelle » depuis son départ précipité de Léopoldville en 1964. Il dit n’en avoir pas été responsable, reconnaissant qu’il était étranger. Étant séparés, « ngai na ngambo yo pe na ngambo » que faire pour nous retrouver ensemble? Où en finirons-nous se demande-t-il sans donner un quelconque espoir à sa bien aimée.
Neuf années s’étaient quant même passées sans qu’il ait fait un quelconque effort pour retrouver Isabelle. Enfin, il n’est pas certain que celle-ci l’attendait toujours. Ne dit-on pas que « Kinshasa mboka ya kotika muasi te, po azelaka yo ».
Clément Ossinondé