Après plusieurs publications, Charles N’Kouanga, avec L’intruse du Khalifat, confirme sa maîtrise de l’écriture romanesque. Un récit pleins de rebondissements qui nous promène dans une partie de l’Afrique islamisée à travers son héroïne, la Camerounaise Marie France Tchoungui, dite la musulmane Aminata. .
Partie de son Cameroun natal, Marie-France Tchoungui se retrouve dans le Kakongo voisin. Chrétienne, il enseigne dans une école de Bouali, capitale économique du Kakongo. Adepte de « L’église des saints du Tabernacle », elle ne supporte pas les harcèlements de ses « frères en Christ ». Aussi, décide-telle de renoncer à sa spiritualité chrétienne pour l’islam : elle devient la deuxième épouse d’un certain El Hadj Mustafa Ibrahim Touré. Un mariage qui va s’avérer aléatoire. Elle est envoyée au Mali par son mari à Gao où elle est éduquée dans un islam de violence. Une éducation qui change le cours de sa vie. De retour au foyer, une année après, elle est curieusement délaissée par son mari qui lui « tenu un piège » dans un hôtel dès son arrivée à Bouali. Abandonnée à elle-même, Aminata Tchougui Touré, vit gracieusement dans une mosquée de la place et tombe dans un radicalisme qui défie la civilisation occidentale. Malgré l’amitié manifeste pour la Française Charlène Bienfaite pendant son séjour à Mavoula, elle ne peut s’empêcher d’égorger son amie, comme le lui « demandait » le jihad. Sa radicalisation devient inquiétante quand elle retourne dans le nord Cameroun de ses aïeuls, car influencée par le khalife de Boko-Haram. Devant les réalités abjectes de l’islam, elle décide de se venger du Khalife Abubakar Shekau ; ce dernier serait responsable de la dénaturalisation de l’islam et la cause des victimes innocentes dans la sous-région. Aussi, va-t-elle se sacrifier en activant sa ceinture d’explosifs quand elle s’approche d’Abubakar Shekau qui échappe miraculeusement à la mort. L’intruse du Khalifat, un roman qui apparait comme un miroir que l’on promène dans le milieu islamique de l’Afrique centrale et du côté de Gao au Mali.
Au cœur des religions chrétienne et musulmane
Loin des sentiers battus des thématiques sociopolitiques de la majorité des romans congolais, L’intruse du Khalifat nous relate la « guerre des religions ». En Marie-France Tchoungui devenue Aminata Tchoungui Touré, se découvre la rivalité entre le christianisme et l’islam. Déçue par la conception rétrograde de « L’église des saints du Tabernacle », qui frise parfois l’immoralité, Marie-France Tchoungui est obligée de « [repousser] à maintes reprises les avances désobligeantes de certains « frères en Christ » dont celles naguère du pasteur » (p.161). Qu’à cela ne tienne, elle essaie de contenir sa foi chrétienne jusqu’au moment où elle réalise l’insupportable : « La tentation de viol dont elle fut victime de la part du bishop au cours d’une veillée de prière et d’exhortation sabbatique, la contraignit à renier opportunément et définitivement cette foi chrétienne » (p.162). À partir de ce moment, Marie-France Tchoungui se crée une autre spiritualité qui se concrétise par l’intermédiaire d’un certain commerçant marabout, Abdoulaye Djibril qui la met en contact avec son ami El Hadj Mustafa Touré. De cette rencontre, naît un concubinage qui se transforme en un mariage polygamique. Seconde épouse d’un musulman et en quête d’une autre spiritualité, Marie-France se convertit à l’islam. Aussi, pour son formatage idéologique, elle est envoyée au Mali pour faire son djihad. Naïve, elle respecte les principes élémentaires de l’islam que lui impose son séjour à Gao. Mais, le bonheur tant programmé et qu’elle souhaitait au retour au Kakongo, se transforme en désillusion. Les préparatifs de retrouvailles intimes avec son mari, en « complicité » avec sa belle-sœur, dans un hôtel de la ville, avant de regagner le foyer conjugal, lui sera fatal. Des cameras cachés dans sa chambre dévoilent involontairement son comportement jugé indigne pour une femme musulmane : « Elle se vit nue, se masturbant dans une débauche de lubricité. (…) Les images montrèrent lorsqu’elle attrapa voluptueusement un flacon qu’elle enfonça délicatement dans son intimité » (p.99). Cette attitude, condamnée par son mari, puis révélée devant son oncle et d’autres personnes, apparait comme un blasphème, d’où la rupture du couple. À partir de ce moment, la vie d’Aminata Tchoungui Touré prend une autre tournure. Se découvre en elle une véritable femme musulmane quand, pour ses convictions religieuses, arrive à décapiter la Française Charlène Bienfaite, avant de se retrouver dans le groupe d’autres djihadistes dans le nord du Cameroun.
L’intruse du Khalifat, un fragment d’une actualité de l’histoire du continent
Le séjour de l’héroïne à Gao pour son immersion dans l’islam et son retour au nord du Cameroun dans le milieu des combattants djihadistes, nous révèlent quelques pans de l’ « actualité de guerre » entre les islamiques et les Français. Et s’il est un écrivain congolais qui s’est inspiré de l’histoire du Mali dans la lutte contre Boko-Haram, c’est Charles N’Kouanga : « Déjà ; dès le lendemain 03 novembre 2013 pendant qu’une rumeur relatant le décès survenu la veille à Kidal, d’une journaliste française nommée Ghislaine Dupont et Claude Verlon (…) se véhiculait en sourdine, (…) les esprits rebelles s’échauffaient dans les mosquées » (p.61). Au nord du Cameroun vers le Nigeria, le roman nous plonge dans le séjour de l’héroïne au milieu des éléments radicalisés de Boko-Haram, avec la technique des ceintures d’explosifs dont elle se servira pour se venger contre Abubakar Shekau pour des raisons personnelles : « La secte islamique Boko-Haram, de plus en plus visible dans la sous région du lac Tchad (…). Les armées tchadiennes, nigériennes, nigérianes et camerounaises se coalisaient pour contenir cette turgescence tumorale islamique » (p.247). Et, à travers ces deux segments narratifs, le récit de nous rappeler l’actualité de la région de Kidal au Mali.
De l’auteur au narrateur : la technique de la mise en abyme avérée
L’intruse du Khalifat, par l’imaginaire où semble se refléter le pays de l’auteur, se découvre comme une mise en abyme de l’auteur dans le narrateur. Le texte apparait comme un univers historico-géographique qui crée un pont entre le pays de l’auteur et celui de ses personnages, plus précisément entre le référentiel et l’imaginaire. Le récit nous présente un pays : le Kakongo, deux villes : Mavoula et Bouali, un fleuve où tombe le Djouéké avec sa mythique « île du Diable ». Des entités référentielles qui poussent le lecteur à penser au Congo avec les villes de Brazzaville et Pointe Noire, ainsi que la rivière Djoué. Aussi, remarque-t-on à certains moments la fonction policière de l’auteur qui semble se superposer à celle d’un personnage du roman : « Les mains gantées et les visages couverts d’un cache-nez, le chef du commissariat, en qualité d’OPJ, instrumentait la procédure de découverte de cadavre » (p.208).
Avec L’intruse du Khalifat, le texte se lit comme un récit polyphonique : moult thèmes s’y interpellent, révélant ainsi la fécondité de l’inspiration de l’auteur. Et comme l’essentiel dans l’art n’est pas toujours perceptible au premier regard, le thème de l’islam ici, donne une autre dimension au roman congolais.
Noël Kodia-Ramata
(1) Charles N’Kouanga, L’intruse du Khalifat, éd. La Doxa, Paris, 2018 ; Plusieurs publications à son compte aux éditions Edilivre : Le Clochard, 2014 ; Valse sur destins brisés, 2014 ; Nanouche ou l’enfance végétative, 2014 ; La Délicatesse d’aimer, 2015 ; Mourir à huis clos, 2015.