Luc Perry Wandji, journaliste, sociologue et anthropologue camerounais, envisage de faire connaître son concept qu’il dénomme «Christité» et qu’il définit comme un moment d’interrogation sur l’histoire du christianisme avec pour vocation de réhabiliter Dieu. La rédaction de Pagesafrik/Starducongo l’a rencontré le 18 octobre 2015 lors de son séjour à Brazzaville.Pagesafrik/Starducongo: Comment dénommez-vous votre concept en promotion ?
De quelle crise s’agit-il, que vous semblez seul à voir ?
L. P. W : Le monde moderne a, au commencement, un projet tout à fait louable qui consiste à rationnaliser avec l’obscurantisme de la société féodale. Il fallait ériger effectivement la raison comme régulateur de l’histoire. Tout laisse croire que je me livre dans cet ouvrage à un vrai bilan. Il sied toutefois de reconnaitre que le projet de rationalisation moderne a été un échec. Je pense que je n’exagère pas en disant les choses comme cela, mais plusieurs auteurs m’ont précédé sur ce terrain. J’ai cependant constaté à partir de l’œuvre que je viens de publier, à partir de ma sensibilité chrétienne, une double crise pour ainsi dire.
C’est une crise que tous les auteurs d’accordent à reconnaître, mais pas seulement dans son développement scientifique. Il s’agit également d’une crise de l’idéologie moderne. Encore une fois, il s’agissait de rationnaliser. Il me semble que l’homme est devenu beaucoup plus déraisonnable aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été mais on peut toujours en discuter.
A quel niveau se situe alors la double crise ?
L. P. W : La double crise se situe dans le fait que le christianisme qui aurait dû se positionner, comme une alternative devant la crise de l’idéologie moderne, et c’est mon parti pris dans cet ouvrage, semble être lui-même en crise. Je situe donc cette crise dès ses origines. Le christianisme a lui-même tout l’air d’un paganisme gréco-romain qu’on a tout simplement recycler. On est devant une double impasse, l’impasse d’une civilisation moderne qui a tout simplement échoué dans son projet de rationalisation. L’impérialisme, le colonialisme et les crises en cours dans le monde sont là pour le prouver et le démontrer à suffisance.
Il y a également la crise du messianisme qui n’a pas été capable, en ces temps modernes, de porter un projet anthropologique de civilisation, qui soit capable de remplacer la modernité qui a visiblement échoué, encore une fois,
Des arguments pour appuyer vos assertions ?
L. P. W : En effet, j’ai découvert devant cette double impasse qu’on devrait redécouvrir le message du Christ qui me semble ouvrir une fenêtre dans la perspective de la construction d’une nouvelle modernité ou d’une nouvelle civilisation.
La Christité est avant tout un moment d’interrogation sur l’histoire du christianisme, de questionnements sur les causes de l’échec de la modernité. La Christité apporte donc une réponse, d’un point de vue épistémologique. L’erreur de la modernité a été d’éjecter Dieu du champ de la connaissance et de la science. C’est une erreur qu’elle aurait dû ne jamais commettre. La Christité a pour vocation de réhabiliter Dieu, l’idée de Dieu tout au moins dans la construction de la science, du savoir et de la détermination de l’histoire. C’est également une dynamique culturelle qui se veut critique à l’égard du christianisme.
Nous estimons que le christianisme n’aurait jamais dû être une religion comme elle l’a été depuis plus de 20 siècles. En écrivant ce livre, j’affirme que le projet du Christ est un projet de civilisation, entendu que Jésus Christ est venu manifester un royaume avec un système de pensée, une façon de voir et de construire l’histoire.
Ce qui est paradoxal, c’est que le christianisme a tué le scientifique. Il a tué Galilée. Il a ramé à contre-courant de la science. Je dis dans ce livre que la science a pour vocation de nous révéler la déité. Tout le sens de la science doit être de nous révéler Dieu. Il n’y a ensuite pas de spiritualité possible que celle qui pourrait évidemment se manifester par le truchement de la science. Je relève dans cet ouvrage un rapport dialectique entre connaissance et raison ; progrès et foi ; ce qui est visiblement aux antipodes de la pensée du christianisme qui jusqu’à présent, a établi une sorte de dichotomie ou d’antagonisme entre science et raison.
La Christité est un vrai projet qui innove d’un point de vue de la spiritualité, nous donnons une autre définition à ce qu’elle devrait être. En fait, nous voulons construire une civilisation qui soit une réponse crédible et sérieuse à la modernité. A cela, il fallait commencer par déterminer le substrat théologique de cette nouvelle civilisation. Nous l’avons identifié en la personne de Jésus Christ.
Si tel est le cas, peut-on penser que la Christité a un Dieu particulier ?
L. P. W : Le Dieu de la Christité, c’est Jésus Christ parce qu’il est la seule possibilité aujourd’hui pour la condition humaine, qui soit capable de postuler à l’universalité et à l’éternité. Jésus Christ m’a semblé, dans l’histoire des grands géants qui ont traversé l’histoire, avoir le discours le plus pertinent, l’expérience de vie et l’expérience mystique la plus puissante qui soit de nature, précisément, à nous permettre d’inventer un nouveau monde théorisé en futur comme dirait Jacques Attali.
N’avez-vous pas l’impression de naviguer à contre-courant de l’humanité ?
L. P. W : C’est dans l’ordre du possible. Il y a en effet des gens qui pensent que je navigue à contre-courant. J’espère que les gens auront suffisamment le bon sens pour, dans un premier temps, avoir la bonne intention de questionner ce que nous voulons faire. Je précise que la Christité n’est pas une religion, ce n’est pas une nouvelle église, ou encore moins une nouvelle croyance. C’est quelque chose qui engage l’ensemble de la condition humaine, qui intéresse la condition humaine et qui œuvre beaucoup pour l’intérêt de cette condition humaine.
Ceux qui me jetteront des cailloux pourront faire preuve de très peu de raison. J’espère qu’ils seront très peu nombreux et que la Christité trouvera un public suffisamment ouvert pour travailler. Je répète que nous ne faisons que proposer une alternative dans un monde qui est en crise. Le drame aujourd’hui, c’est de n’avoir pas suffisamment pensé alors que tout nous commande de penser le futur, de le déterminer, de lui donner un sens devant les échecs du christianisme et de la modernité.
Que proposez-vous dans ce cas ?
L. P. W : Nous avons en effet quelque chose à proposer. Nous invitons la condition humaine à plus de raison et à réfléchir sur l’éventualité d’une civilisation qu’on pourrait construire à partir des messages de Jésus Christ et de son expérience mystique. La Christité va donc devoir réhabiliter la spiritualité et la raison et réconcilier un tout petit peu rationalité et spiritualité. Cela devrait avant tout intéresser les hommes raisonnables.
Y’a-t-il un lien entre la Christité et la démocratie ?
L. P. W : La Christité a pour vocation de réfléchir sur ces concepts. J’ai jeté les jalons conceptuels de cette nouvelle civilisation mais tout le travail de théorisation n’a pas encore été achevé. Nous travaillerons également dans le cadre d’un mot nouveau que nous avons fondé et que nous appelons Intelicclesia qui renvoie à Intelligentsia de l’église.
Avez-vous les moyens de votre politique et êtes-vous conscient qu’un tel projet nécessite une mobilisation financière ?
L. P. W : Il faut avouer que c’est très difficile. Pour l’instant, nous sommes très portés par la passion de répondre à une crise qui nous interpelle tous. Il serait déplorable de passer devant cette opportunité d’inventer un futur possible. Vous avez raison de dire que ça nécessite beaucoup de moyens, il faut se déplacer pour partager de projet, organiser des conférences avec des penseurs. Tout cela a un coût. Nous sommes obligés de nous saigner financièrement pour tenir les deux bouts de ce projet.
Toutefois, nous avons tout à fait l’espoir d’avoir quelque personne qui soit soucieuse du devenir de l’humanité. Nous espérons, que toutes les personnes qui s’interrogent sur ce qu’elles vont léguer aux générations futures viendront soutenir ce projet.
Propos recueillis par Florent Sogni Zaou