La caricature de procès politique des révolutionnaires congolais des 13, 14 et 15 août 1963 contre l’abbé Fulbert Youlou
Après le coup de force des 13, 14 et 15 août 1963, considéré par ses auteurs comme une révolution, le premier président du Congo-Brazzaville, l’abbé Fulbert Youlou avait préféré démissionner.
Une manière élégante du prélat président et démocrate abbé Youlou pour éviter un bain de sang.
Ainsi, après sa chute, il avait été emprisonné. Mais la bonté et la popularité de l’abbé Fulbert Youlou firent de lui un prisonnier assez exceptionnel, aimé, en dépit de tout par le peuple.
Des mois durant, l’emprisonnement de l’abbé Fulbert Youlou, donna du fil à retordre au nouveau régime de Brazzaville institué au lendemain de la fameuse révolution d’août 1963.
Le mouvement de la révolution au Congo-Brazzaville comportait deux courants de pensée. Un premier courant très radical tourné vers un régime scientifique et marxisant du pays et un deuxième courant incarné par le président Alphonse Massamba Debat prônant un socialisme bantou et donc un socialisme beaucoup plus modéré et beaucoup plus réaliste que celui des révolutionnaires.
Le premier courant de la révolution radicale est celui qui voyait en la personne de l’abbé Youlou le type même de valets locaux du colonisateur français qui, à ce titre devait être traduit dans les meilleurs délais devant un jury populaire pour ne pas dire un tribunal de la révolution.
C’est dans ces conditions, et de surcroît en raison d’un climat soi-disant révolutionnaire, consistant en une élimination physique des opposants à la révolution congolaise marxiste et léniniste, que le président Fulbert Youlou, échappa à la mort, à la suite d’une évasion spectaculaire en se réfugiant au Congo-Léopoldville ( L’actuel Congo-Démocratique) en mars 1965.
Ainsi, l’abbé Fulbert Youlou est jugé par contumace par un tribunal populaire siégeant pour la première fois en début d’après-midi du mardi 8 juin 1965.
Si Fulbert Youlou a été un grand homme d’état de culture et de connaissance, un excellent écrivain, il fut aussi un fin juriste.
Ce faisant, il n’hésitera pas à faire une critique du jugement le concernant en démontrant, entre autres, le non fondement des chefs d’accusation portés à son encontre.
Comme le dispose un adage populaire et d’après lequel, « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », l’abbé Fulbert Youlou est, pour la science du verbe qui doit être technique, organisatrice, constructive, et dans le cas d’espèce, procédurale avant de se lancer dans les débats du fond.
L’abbé Fulbert Youlou est, en effet, de cette ancienne école méthodique qui refuse l’école de la révolution du désordre, du militantisme aveugle et haineux, de la propagande et de la régression sociale et qui, en matière de procédure judiciaire, exige une application rigoureuse des textes d’autant plus que les chefs de la prévention à son endroit sont gravissimes.
Pour ce faire, l’abbé Fulbert Youlou n’hésite guère à soulever une difficulté procédurale ayant rang de nullité ou de vice de procédure.
C’est ainsi qu’en sa qualité de citoyen congolais fin connaisseur et respectueux de la quintessence des règles judiciaires, l’abbé Fulbert Youlou relève avec perspicacité que :
« Aucune Loi dans le monde entier n’a eu d’effets rétroactifs. La loi ayant institué ce tribunal ne saurait donc normalement nous concerner. Cette loi n’a que quelques mois d’existence, et ainsi donc cette loi ne saurait nous concerner, étant donné que nous sommes arbitrairement en détention depuis bientôt deux ans. C’est pourquoi donc au nom de tous mes amis aujourd’hui encore en prison et en mon nom propre, je récuse la validité de tout jugement porté par ce tribunal en ce qui nous concerne. Je récuse ces jugements, parce que les bases mêmes sont fausses sur lesquelles s’est fondé ce tribunal populaire. » ( Fulbert Youlou in « J’accuse la Chine » La Table Ronde 1966 P.208.
Ici, la règle que rappelle l’abbé Fulbert Youlou dispose très clairement que la loi n’est applicable que pour des faits à venir et n’a point d’effet rétroactif.
Elle est, peut-on dire de portée générale et est surtout d’ordre public de sorte qu’elle peut être soulevée d’office par le juge. Si le principe de non rétroactivité ne s’impose pas au législateur, encore faut-il que, lorsqu’il entend donner à un texte une application rétroactive, son intention apparaisse sans équivoque. Et lorsqu’il entend adopter des dispositions rétroactives justifiées par des motifs impérieux, cela ne doit pas être contraire à la notion du procès équitable.
Or, de l’examen du procès de l’abbé Fulbert Youlou, force est de relever qu’aucun desdits principes ne sera respecté. L’équité, l’impartialité et le délai raisonnable sont autant de principes non appliqués dans ce simulacre de procès.
Par ailleurs, les chefs d’accusation retenus à son encontre et les membres de son gouvernement sont difficilement soutenables sur le plan du droit, en l’occurrence du droit pénal faute de preuve.
A titre d’exemple, l’abbé Fulbert est accusé d’avoir utilisé à des fins personnelles un avion de guerre de type héron sans que le tribunal de la révolution n’apporte une quelconque preuve sur la matérialité de cet appareil ou sur son envoi sur le territoire congolais.
Dans le même ordre d’idées, les révolutionnaires créeront une sorte de « délit ou de crime d’opinion » en condamnant par exemple l’abbé Fulbert Youlou pour cause de soutien politique à son homologue, le président du Congo démocratique Kasa-Vubu et son premier ministre Tshombé.
Des peines lourdes et non judiciairement justifiées seront prononcées à l’encontre de certains ministres proches collaborateurs du président abbé Fulbert Youlou à savoir :1.) D. Nzalakanda pour cause de détournement et de complicité de haute trahison (15 ans de travaux forcés), un fidèle parmi les fidèles dont les chefs d’accusation étaient montés de toutes pièces.
2.) S. Tchitchellé occupant respectivement durant tout le régime de l’abbé Youlou les fonctions ministérielles de l’intérieur, des affaires étrangères et de vice-président de la République (15 ans de travaux forcés)
3.) V. Sathoud pour cause de détournement de deniers publics, trafic d’influences et abus d’autorité ( 10 ans d’emprisonnement).
La condamnation de Victor Sathoud est l’une des condamnations les plus fantaisistes que le tribunal de la révolution ait prononcée à l’encontre d’un ministre de l’abbé F. Youlou. Ni l’abus d’autorité, ni le trafic d’influence ni même le détournement des deniers publics ne furent établis tant à l’encontre du ministre de la fonction publique et ancien secrétaire d’état à la présidence du conseil, Victor Sathoud qu’à l’endroit même du vice président Stéphane Tchitchellé. Quoique jeune et probablement le plus jeune des ministres, Victor Sathoud fut effectivement l’un des gouvernants auxquels tenait beaucoup le président abbé Youlou pour son sens aigu des affaires de l’état et de celui du respect des principes de fidélité, de conviction et de la parole donnée. Il devait probablement cette qualité sans doute à son éducation et probablement à la signification profonde du nom qu’il portait et qui, dans la tradition Koòngo exprime toute idée d’intelligence et d’humanité à savoir : SA-NTU.
4.) J. Senso pour cause de détournement de deniers publics (10 ans d’emprisonnement). L’ancien chef de l’administration municipale de Brazzaville passait pour être l’un des hommes de confiance de l’abbé Youlou.
5.) A. Nzingoula, pour cause de détournement de deniers publics (8 ans d’emprisonnement). Il fut le dernier directeur de cabinet de l’abbé F. Youlou.

En tout état de cause le tribunal populaire ou de la révolution d’août 1963 « visait à rabaisser et humilier les anciens dirigeants du pays. Le Ministère Public et les juges avaient démontré que les jeux étaient faits d’avance. Ils s’étaient montrés rigoureux à l’encontre de ceux qui appartenaient au parti de l’abbé Fulbert Youlou. Ils avaient, en revanche, marqué une singulière bienveillance à l’égard des anciens syndicalistes et des ministres qui avaient milité au sein du Mouvement socialiste africain. » ( Adolphe Tsiakaka in L’abbé Fulbert Youlou la mémoire oubliée du Congo-Brazzaville autoédité 2009 P.226.)

TAÀTA N’DWENGA

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