Le FMI prend note de la nomination de Christine Lagarde, à la présidence de la Banque centrale européenne
Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a pris note de la nomination de Christine Lagarde, directrice générale de l’institution, à la présidence de la Banque centrale européenne. « Nous acceptons la décision de Madame Lagarde de quitter provisoirement ses fonctions de directrice générale du FMI pendant la période de nomination », a souligné le FMI dans un message publié récemment. Avant de souligner son entière « confiance en David Lipton, premier directeur général adjoint, en tant que directeur général par intérim du FMI.» Martin Kam
La fiscalité des entreprises dans l’économie mondiale
TRIBUNE. Les citoyens ont l’impression que certaines grandes multinationales paient peu d’impôts et exigent donc du monde politique qu’il passe urgemment à l’action. Cela n’a rien d’étonnant. Permettez-moi de souligner trois raisons pour lesquelles il est urgent d’adopter une nouvelle approche en matière de fiscalité internationale des entreprises. Premièrement, vu la facilité avec laquelle les multinationales semblent pouvoir échapper au fisc et la baisse constante, depuis trente ans, du taux d’imposition des sociétés, l’équité du système fiscal est mise en doute dans son ensemble. Deuxièmement, la situation actuelle est particulièrement dommageable pour les pays à faible revenu, car elle les prive de recettes dont ils ont pourtant besoin pour accélérer leur croissance économique, réduire la pauvreté et atteindre leurs objectifs de développement durable pour 2030. Voilà longtemps que les pays avancés établissent les règles de la fiscalité internationale des entreprises sans se préoccuper des répercussions pour les pays à faible revenu. Selon une analyse du FMI, les pays non membres de l’OCDE perdent environ 200 milliards de dollars de recettes par an, soit quelque 1,3 % du PIB, à cause des entreprises qui transfèrent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. Ces pays doivent avoir voix au chapitre. La plate-forme de collaboration sur les questions fiscales, établie conjointement par le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et les Nations unies, y contribue. Troisièmement, il est temps de repenser la fiscalité internationale des entreprises pour tenir compte de la montée de modèles commerciaux très rentables qui s’appuient sur les avancées des technologies numériques. Ces modèles se fondent largement sur des actifs intangibles, tels que des brevets ou des logiciels, dont il est malaisé de déterminer la valeur. Comme ces modèles le montrent, il serait faux de croire encore qu’il est nécessaire d’avoir une présence physique pour produire des revenus et des bénéfices. Cette évolution soulève des questions d’équité. Des pays comptant de nombreux utilisateurs ou consommateurs de services numériques perçoivent peu de recettes fiscales auprès de ces entreprises, voire aucune — pour la simple raison qu’elles n’y sont pas présentes physiquement. Il est donc clairement nécessaire de revoir les fondements de la fiscalité internationale. Mais cela signifie que les pays doivent s’y atteler ensemble : pour progresser dans cette voie, ils devront se coordonner pour avancer dans la bonne direction. Dans une nouvelle étude publiée il y a deux semaines, le FMI analyse différentes options à la lumière de trois critères principaux : mieux aborder les questions de transfert de bénéfices et de concurrence fiscale ; surmonter les obstacles juridiques et administratifs aux réformes ; et assurer la pleine reconnaissance des intérêts des pays émergents et des pays en développement. L’architecture actuelle de la fiscalité internationale des entreprises est fondamentalement dépassée. Une refonte du système existant, s’attaquant aux causes profondes des problèmes, bénéficierait à tous les pays, y compris ceux à faible revenu. Par Christine Lagarde Directrice générale du FMI
Les bienfaits économiques de l’inclusion des femmes sont même plus élevés qu’on ne le pensait
TRIBUNE. Malgré certains progrès, les écarts de participation à la population active entre hommes et femmes restent considérables. Pour ne citer qu’un exemple, aucun pays avancé ni à revenu intermédiaire n’a réduit cet écart à moins de 7 points de pourcentage. Cette inégalité des chances entre femmes et hommes implique un coût économique colossal, car elle bride la productivité et pèse sur la croissance. Selon une récente étude du FMI, les obstacles à l’entrée des femmes dans la vie active (distorsions fiscales, discriminations, facteurs socioculturels) ont un coût supérieur à toutes les estimations faites précédemment, et les bienfaits d’une élimination des inégalités entre les sexes sont encore plus importants qu’estimé auparavant. Il incombe donc aux décideurs de tout faire pour lever d’urgence ces obstacles. L’importance de la diversité de genre Notre analyse repose sur l’observation suivante, étayée par d’innombrables données microéconomiques : les femmes et les hommes apportent au monde du travail des compétences et des optiques différentes, et ont notamment une approche distincte du risque et de la collaboration. Les recherches ont aussi montré que les entreprises voient leurs résultats financiers s’améliorer lorsque la composition de leurs conseils d’administration est plus équilibrée entre hommes et femmes. Il est surprenant qu’aucune étude n’ait encore analysé les retombées macroéconomiques de ces données microéconomiques. Selon la définition des manuels, la main‑d’œuvre est l’ensemble des effectifs d’hommes et de femmes sur le marché du travail. Dans la mesure où le remplacement d’un homme par une femme dans cet ensemble ne change rien à la main‑d’œuvre, la diversité de genre n’a pas d’intérêt : hommes et femmes sont censés être parfaitement substituables. Or, selon nos données (macroéconomiques, sectorielles, et au niveau des entreprises), les femmes et les hommes sont complémentaires dans le processus de production, ce qui bénéficie davantage à la croissance que le seul fait d’augmenter le taux d’emploi des femmes. Autrement dit, l’accroissement du nombre de femmes dans la population active devrait entraîner des bienfaits économiques plus importants qu’un accroissement équivalent du nombre d’hommes (ou pour utiliser le jargon des économistes, l’élasticité de substitution entre femmes et hommes dans la production est faible). Les principaux bienfaits de la réduction des disparités femmes–hommes Ce constat a de profondes conséquences. Un plus fort coup de fouet à la croissance : Dans la mesure où les femmes apportent de nouvelles compétences au monde du travail, l’augmentation de leur participation à la main‑d’œuvre (moyennant la réduction des obstacles qui s’y opposent) entraîne une amélioration de la productivité et une accélération de la croissance qui dépassent ce que l’on pensait précédemment. En effet, notre étalonnage semble indiquer que, pour la moitié inférieure des pays de notre échantillon sur le plan de l’inégalité entre les sexes, l’élimination des disparités femmes–hommes pourrait entraîner une augmentation du PIB de 35 % en moyenne. Une telle accélération de la croissance provient pour quatre cinquièmes de la hausse de la population active, mais pour un bon cinquième des bienfaits de la diversité de genre sur la productivité. Une augmentation de la productivité : Dans les situations où les disparités femmes–hommes se sont atténuées au fil du temps, l’interprétation des données a accordé trop d’importance à l’amélioration de l’efficacité (ou aux gains de la productivité totale des facteurs) comme source de croissance. En réalité, l’amélioration attribuée à la productivité s’explique en partie par l’augmentation progressive du nombre de femmes dans la main‑d’œuvre. Une hausse des revenus masculins : Nos résultats semblent indiquer que l’insertion d’un plus grand nombre de femmes dans la main‑d’œuvre aura aussi pour effet une hausse des salaires masculins, en raison de l’accroissement de la productivité. C’est important, car cela devrait renforcer les arguments en faveur de l’élimination des obstacles qui empêchent les femmes d’accéder à un emploi décent. Les bienfaits sont encore supérieurs si les obstacles à la participation des femmes sont levés durant les phases de développement : L’essor du secteur des services sous l’impulsion du développement économique fait entrer davantage de femmes dans la population active. Toutefois, nos travaux montrent que cette évolution est ralentie par les obstacles auxquels se heurtent les femmes pour accéder à l’emploi, obstacles qui varient d’une région et d’un pays à l’autre, et sont écrasants dans certaines parties du monde — équivalant à des taux d’imposition du travail féminin pouvant aller jusqu’à 50 %. Les pertes de bien-être qui en découlent (consommation et loisirs) sont considérables, même si l’on tient compte de la diminution de la « production domestique » lorsque les femmes accèdent au marché du travail. Nous constatons, par exemple, que les coûts en bien‑être économique sont supérieurs à 20 % dans la région Moyen-Orient–Afrique du Nord de même qu’en Asie du sud. Tirer parti de ces bienfaits Même s’il n’existe aucune solution miracle, plusieurs mesures peuvent contribuer à réduire les disparités femmes–hommes, notamment la promulgation de lois assurant aux femmes l’égalité des droits d’accès à la propriété et au crédit. Des réformes fiscales (qui remplacent par exemple la fiscalité familiale par une fiscalité individuelle et accordent des crédits d’impôt) peuvent favoriser la participation à la main‑d’œuvre parmi les populations à faible revenu. La réduction des inégalités dans les domaines de l’éducation et de la santé, avec notamment des congés de paternité et de maternité financés par l’État et une disponibilité accrue des structures d’accueil d’enfants et de personnes âgées, peut accroître la participation des femmes au marché du travail, de même que l’amélioration de l’accès aux infrastructures de transport, d’eau et d’électricité. Le tableau complet de la situation Ces enjeux n’ont rien de nouveau, mais ils acquièrent un caractère d’urgence. Depuis des années, le FMI est à l’avant-garde de l’analyse des coûts économiques des inégalités et des remèdes éventuels. Nous savons que l’inégalité des chances entre femmes et hommes représente des coûts économiques colossaux et peut porter atteinte à la santé économique des nations. Nous découvrons aujourd’hui que ces coûts sont même supérieurs à toutes nos estimations précédentes. Maintenant que nous sommes face au tableau complet de la situation, il est d’autant plus impérieux de tout mettre en
Quand l’histoire rime
TRIBUNE. Comme l’a dit un jour Mark Twain, « l’histoire ne se répète pas, elle rime ». Tandis que les chefs d’État se rassemblent à Paris cette semaine pour célébrer le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, ils devraient prêter grande attention aux échos de l’histoire et éviter de rejouer les notes discordantes du passé. Pendant des siècles, notre situation économique à l’échelle mondiale a été déterminée par les forces conjointes du progrès technologique et de l’intégration mondiale. Ces forces sont porteuses de prospérité dans tous les pays. Mais si elles sont mal gérées, elles peuvent aussi provoquer des catastrophes. La Première Guerre mondiale constitue un exemple percutant de tout ce qui peut mal tourner. Les cinquante années qui ont précédé la Grande Guerre ont été caractérisées par des progrès technologiques remarquables, tels que les bateaux à vapeur, les moyens de locomotion, l’électrification et les télécommunications. C’est cette période qui a façonné notre monde moderne. Ce fut aussi une période d’intégration mondiale sans précédent : la première ère de la mondialisation, comme beaucoup l’appellent, où les biens, l’argent et les personnes pouvaient traverser les frontières relativement facilement. Entre 1870 et 1913, les ratios des exportations au PIB ont fortement progressé dans de nombreux pays, un signe d’ouverture croissante. Il en a résulté une grande richesse, mais elle n’a pas été distribuée de manière égale ou équitable. Ce fut l’ère des usines obscures et dangereuses, et des requins de l’industrie. Ce fut une ère où les inégalités ont augmenté de manière massive. En 1910, au Royaume-Uni, le pourcent le plus riche de la population disposait de près de 70 % de la richesse de la nation, une disparité jamais atteinte auparavant, ni après. Puis, comme aujourd’hui, la montée des inégalités et les gains inégaux tirés des progrès technologiques et de la mondialisation ont entraîné un retour de flamme. Pendant la période qui a précédé la guerre, les pays ont réagi en recherchant leur propre intérêt, renonçant à l’idée de coopération mutuelle en faveur d’une domination à somme nulle. Le résultat fut une catastrophe, la technologie moderne étant pleinement utilisée à des fins de carnage et de destruction Et, en 1918, lorsque les dirigeants ont inspecté les champs jonchés de cadavres, ils n’ont pas tiré les bons enseignements. De nouveau, ils ont privilégié les bienfaits à court terme par rapport à la prospérité à long terme, en se retirant du commerce, en cherchant à recréer l’étalon-or et en délaissant les mécanismes de coopération pacifique. En réaction au traité de Versailles, John Maynard Keynes, l’un des pères fondateurs du FMI, a écrit que la volonté de ruiner l’Allemagne financièrement finira par nous mener à une catastrophe. Il avait tout à fait raison. Il a fallu attendre les horreurs d’une autre guerre pour que les dirigeants mondiaux trouvent des solutions plus durables à nos problèmes communs. Les Nations Unies, la Banque mondiale et, bien entendu, l’institution que je dirige aujourd’hui, le FMI, sont fiers de faire partie de cet héritage. Et le système mis en place après la Seconde Guerre mondiale a toujours eu vocation de pouvoir s’adapter. Du passage à des taux de change flexibles dans les années 70 à la création de l’Organisation mondiale du commerce, nos prédécesseurs ont reconnu que la coopération mondiale doit évoluer pour survivre. Aujourd’hui, nous pouvons trouver des similarités frappantes avec la période qui a précédé la Grande Guerre : des progrès technologiques vertigineux, une intégration mondiale qui s’approfondit, et une prospérité croissante, qui a sorti de la pauvreté un grand nombre de personnes, mais qui, malheureusement, en a aussi laissé beaucoup de côté. Les filets de sécurité sont meilleurs aujourd’hui et ont été utiles, mais, par endroits, nous constatons de nouveau une montée de la colère et de la frustration, conjuguée à une réaction de rejet de la mondialisation. Et, de nouveau, nous devons nous adapter. C’est pourquoi j’ai récemment préconisé un nouveau multilatéralisme, plus inclusif, plus centré sur l’humain et plus redevable de son action. Ce nouveau multilatéralisme doit redynamiser l’ancien esprit de coopération, tout en s’attaquant aussi à un plus large éventail de questions — de l’intégration financière aux technologies financières (« fintech »), en passant par le coût de la corruption et le changement climatique. Nos études récentes sur les avantages macroéconomiques de l’autonomisation des femmes et la modernisation du système commercial mondial offrent de nouvelles idées quant aux moyens de créer un meilleur système. Chacun d’entre nous, chaque dirigeant et chaque citoyen, a pour responsabilité de contribuer à cette reconstruction. Après tout, ce qui était vrai en 1918 l’est toujours aujourd’hui : la coexistence pacifique des nations et les perspectives économiques de millions de personnes dépendent directement de notre capacité à découvrir les rimes dans notre histoire commune. Christine Lagarde DG du Fonds monétaire international (FMI)
Leçons et défis dix ans après la faillite de Lehman Brothers
La crise financière mondiale demeure l’un des événements déterminants de notre époque; elle marquera à jamais la génération qui l’a vécue. Les retombées de la crise — coûts économiques élevés pour la population, amertume à la vue des banques renflouées et des banquiers jouissant de l’impunité à une époque où les salaires réels continuaient à stagner — font partie des principaux facteurs qui expliquent la forte réaction contre la mondialisation, particulièrement dans les pays avancés, ainsi que l’érosion de la confiance dans l’État et d’autres institutions. En ce sens, la crise a étendu un long nuage sombre qui ne semble pas vouloir s’estomper de sitôt. Pourtant, le dixième anniversaire de l’effondrement de Lehman Brothers — un événement incroyable, comme je l’ai dit un jour — donne l’occasion d’évaluer notre réponse à la crise au cours de la dernière décennie. La chute précipitée de Lehman Brothers a entraîné un assaut général contre le système financier, conduisant à une crise systémique. Au total, vingt-quatre pays ont été victimes de crises bancaires et, dans la plupart d’entre eux, l’activité économique n’est pas encore revenue à la normale. Selon une étude, l’Américain moyen perdra 70 000 dollars de son revenu sur la durée de sa vie à cause de la crise. Les pouvoirs publics continuent de s’en ressentir aussi. Dans les pays avancés, la dette publique a augmenté de plus de 30 points de pourcentage du PIB, à cause de la faiblesse d’une économie qu’il fallait stimuler et du sauvetage des banques en difficulté. Aujourd’hui, les sources de tension semblent évidentes, mais elles l’étaient moins à l’époque. La plupart des économistes n’ont pas su prédire l’avènement de la crise. C’est une leçon en comportement de groupe qui donne à réfléchir. Quelles étaient ces sources de tension ? Essentiellement, l’innovation financière qui a largement surpassé la réglementation et le contrôle. Les institutions financières—surtout aux États-Unis et en Europe—ont commencé à prendre énormément de risques téméraires, notamment en comptant moins sur les dépôts classiques et davantage sur le financement à court terme, en abaissant considérablement les normes d’octroi de prêt, en sortant les prêts hors des bilans par le biais de titrisations opaques et, plus généralement, en déplaçant leurs activités vers les recoins cachés du secteur financier, moins soumis à la surveillance réglementaire. Par exemple, la part de marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis représentait 40 % de l’ensemble des titres adossés à des créances hypothécaires en 2006, contre presque rien au début des années 1990. La mondialisation croissante des services bancaires et financiers a entraîné, à son tour, une propagation rapide et dangereuse de la crise. Les banques européennes ont été les principaux acheteurs de titres américains adossés à des créances hypothécaires. En même temps, l’introduction de l’euro a déclenché d’importants flux de capitaux vers la périphérie de la zone euro, à mesure que les coûts d’emprunt diminuaient. Ces flux ont été financés par des banques du cœur de la zone euro—encore un facteur de contagion financière. La mondialisation a également contribué au problème par le biais de l’arbitrage réglementaire : les institutions financières ont été en mesure d’exiger un allégement de leur contrôle en menaçant de s’établir dans des pays où la réglementation leur était plus favorable. Si la réaction à ces risques antérieurs à la crise a été inadéquate, je dirais que la réponse immédiate à la crise fut impressionnante. Les gouvernements des principaux pays du G20 ont coordonné leurs politiques à l’échelle mondiale. Les pays souffrant de problèmes bancaires ont limité le frein exercé par leur secteur financier sur l’économie réelle, grâce notamment à des apports de capitaux, à des garanties de dette et à des achats d’actifs. Les banques centrales ont réduit les taux directeurs et se sont ensuite aventurées en dehors des sentiers battus en adoptant des politiques monétaires non conventionnelles. Les gouvernements ont soutenu la demande au moyen de vastes programmes de relance budgétaire. Le FMI a joué son rôle aussi, en demandant à ses pays membres d’accroître considérablement ses ressources financières : ainsi, il a pu engager près de 500 milliards de dollars en faveur des pays touchés par la crise. Nous avons également injecté un montant sans précédent de 250 milliards de dollars de liquidités dans le système mondial. Nous avons modernisé nos mécanismes de prêt pour répondre plus rapidement et plus souplement aux besoins des pays—notamment en offrant des taux d’intérêt zéro sur les prêts aux pays à faible revenu. Nous avons aussi repensé fondamentalement notre approche de la macroéconomie afin de mieux maîtriser ce que nous avions tous négligé, y compris les liens complexes entre le secteur financier et l’économie réelle. Ensemble, ces politiques économiques—dans le contexte d’une action internationale collective—ont largement fonctionné dans la mesure où le pire a été évité. Rien n’était certain; dans le sillage immédiat de l’effondrement de Lehman, nous faisions vraiment face à l’abîme. Incroyable, en effet… Les politiques économiques ont également remédié aux erreurs à l’origine de la crise. Les positions de fonds propres et de liquidités des banques sont beaucoup plus saines. Les entités hors bilan ont été réduites et placées sous l’égide de la réglementation. Les grandes banques doivent observer une réglementation plus stricte et l’effet de levier est maintenant réduit. L’émission de prêts hypothécaires à risque a essentiellement disparu. Une grande partie des produits dérivés hors cote a été transférée à la compensation centrale. C’est très bien, mais ce n’est pas assez. Trop de banques, surtout en Europe, restent affaiblies. Les fonds propres des banques devraient probablement augmenter davantage. Le slogan « trop grande pour faire faillite » reste problématique car la taille et la complexité des banques augmentent. Le redressement des banques en difficulté n’a pas encore assez progressé, particulièrement au niveau international. De nombreuses activités opaques se réfugient dans le secteur bancaire parallèle. En outre, la poursuite de l’innovation financière, notamment par les transactions à haute fréquence et la technologie financière, rend la stabilité financière plus délicate. D’autre part—et c’est peut-être le facteur le plus inquiétant—les dirigeants sont confrontés à de
Estimer le cyberrisque pour le secteur financier
Le cyberrisque menace sérieusement le système financier. Selon une modélisation effectuée par les services du FMI, les pertes annuelles moyennes des institutions financières imputables aux cyberattaques s’élèveraient à quelques centaines de milliards de dollars, ce qui gruge le bénéfice des banques et pourrait compromettre la stabilité financière. Si l’on en juge par certaines affaires récentes, la menace est bien réelle. Des attaques réussies ont en effet permis aux voleurs d’accéder à des renseignements confidentiels et de commettre des fraudes. Nous songeons notamment au vol de 500 millions de dollars à la bourse de cryptomonnaie Coincheck. Mais, au-delà de ces considérations strictement financières, la menace réside aussi dans la possibilité qu’une institution ciblée par une attaque ne soit plus en mesure de poursuivre ses activités. Rien d’étonnant donc que selon plusieurs enquêtes, les cyberattaques soient au premier rang des préoccupations citées par les gestionnaires de risques et autres dirigeants d’institutions financières. Vulnérabilité du secteur financier Le secteur financier est particulièrement vulnérable aux cyberattaques. En raison de leur rôle crucial d’intermédiaires financiers, les institutions financières sont en effet des cibles invitantes. Une cyberattaque réussie contre une institution pourrait déclencher une réaction en chaîne qui frapperait l’ensemble du système financier, fortement interconnecté. Nombre d’institutions utilisent encore d’anciens systèmes dont la résilience à une éventuelle cyberattaque est douteuse. Une cyberattaque réussie pourrait entraîner des coûts directs importants (pertes financières) et des coûts indirects, comme une réputation entachée. Certaines affaires récentes fortement médiatisées ont mis le cyberrisque à l’ordre du jour du secteur officiel, et notamment des organisations internationales. Pourtant, l’analyse quantitative du cyberrisque demeure embryonnaire, surtout à cause de l’absence de données sur le coût de ces cyberattaques et à cause de la difficulté à modéliser le cyberrisque. Une étude récente du FMI établit un cadre de réflexion sur les pertes que pourraient causer les cyberattaques, plus particulièrement dans le secteur financier. Estimation des pertes potentielles Le nouvel outil de modélisation s’appuie sur des techniques actuarielles et sur la mesure du risque opérationnel pour estimer les pertes globales que les cyberattaques sont susceptibles de causer. Cette méthode nécessite une évaluation de la fréquence à laquelle les institutions financières sont ciblées par ces attaques et une idée de la répartition des pertes découlant de ces événements. On peut ensuite utiliser des simulations numériques pour estimer la distribution des pertes globales causées par les cyberattaques. Nous avons appliqué notre cadre au moyen d’un ensemble de données sur les pertes imputables à des cyberattaques survenues récemment dans 50 pays. Cette analyse donne un exemple de la manière d’estimer les pertes potentielles des institutions financières. L’exercice est difficile et compliqué par l’important déficit de données sur le cyberrisque. Par ailleurs, heureusement, aucune cyberattaque de grande envergure contre le système financier n’a réussi à ce jour. Nos résultats doivent donc être considérés comme purement indicatifs. À première vue, ils semblent montrer que les pertes annuelles moyennes potentielles imputables aux cyberattaques pourraient être élevées, à savoir près de 9 % du bénéfice net mondial des banques ou environ 100 milliards de dollars. Dans un scénario plus pessimiste, où la fréquence des cyberattaques serait deux fois plus élevée que dans le passé, avec un effet de contagion supérieur, les pertes pourraient être deux fois et demie à trois fois et demie plus élevées et atteindre 270 à 350 milliards de dollars. Le cadre peut être utilisé pour analyser des scénarios de risque extrêmes supposant des attaques massives. Selon la distribution des données collectées, dans un tel scénario, qui représente la tranche de 5 % des cas les plus graves, les pertes moyennes potentielles pourraient être aussi élevées que la moitié du bénéfice net des banques, ce qui mettrait en danger l’ensemble du secteur financier. Les pertes estimées sont de plusieurs ordres de grandeur supérieures à la taille actuelle du marché de la cyberassurance. Malgré sa croissance récente, ce marché demeure en effet restreint, avec des primes versées de plus ou moins trois milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2017. La plupart des institutions financières ne détiennent aucune cyberassurance. La protection est en effet limitée et les assureurs éprouvent des difficultés à évaluer le risque à cause de l’impossibilité d’établir avec certitude l’exposition au cyberrisque, du manque de données et de la contagion possible. La voie à suivre L’évaluation des risques est éminemment perfectible. La collecte par les autorités de données plus granulaires, uniformes et complètes sur la fréquence et les effets des cyberattaques permettrait de mieux évaluer le risque pour le secteur financier. Les obligations de déclaration des infractions, par exemple celles envisagées dans le cadre du Règlement général sur la protection des données de l’UE, devraient permettre de mieux détecter les cyberattaques. L’analyse de scénarios pourrait servir à une évaluation approfondie du mode éventuel de propagation des cyberattaques sur laquelle on pourrait s’appuyer pour concevoir des modes d’intervention satisfaisants à l’intention des institutions privées et des administrations publiques. De nouvelles études sont aussi nécessaires pour en venir à une meilleure compréhension des moyens de renforcer la résilience des institutions et des infrastructures financières, pour à la fois réduire les probabilités de succès des cyberattaques et faciliter une reprise rapide et en douceur des activités. Il est également nécessaire que le secteur officiel se dote à l’échelle mondiale d’une capacité de surveillance et de réglementation de ces risques. En somme, il convient de renforcer les cadres de réglementation et de surveillance des cyberrisques, en mettant l’accent sur le développement de pratiques efficaces de surveillance et de tests réalistes de vulnérabilité, sans oublier la reprise des activités ainsi que la planification des imprévus. Le FMI offre une assistance technique pour aider ses pays membres à améliorer leur cadre de réglementation et de surveillance. Par Christine Lagarde Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).
Christine Lagarde: les autorités congolaises s’engagent à faire un audit sur toutes les questions de gouvernance et de corruption avec l’aide du FMI
La directrice générale du Fond monétaire international (FMI), Christine Lagarde, se félicite de l’engagement des autorités congolaises à faire un audit sur toutes les questions de gouvernance et de corruption avec l’aide du Fonds, précisant que « c’est une exigence dans le cadre de nos relations ». Dans un entretien accordé à RFI, la DG du FMI rappelle qu’« on s’est trouvé dans des situations, je pense au Mozambique par exemple, où dans le cadre d’un programme qui avait été conclu, on a découvert une dette qui n’avait pas été révélée, des contrats qui n’avaient pas été pris en compte dans la comptabilité publique, on a suspendu le programme. Et on pratiquera exactement dans les mêmes conditions pour tout pays ». Pour bien faire passer son message, la patronne du FMI explique que « c’était Warren Buffett [homme d’affaires et investisseur américain], qui disait : quand la mer est haute, on ne voit rien de particulier. Quand elle est basse, on s’aperçoit de ceux qui ont un maillot et ceux qui n’en ont pas ». Pour Christine Lagarde, il est évident que « les situations de crise financière ou de difficulté économique révèlent toujours les fragilités et les vulnérabilités des systèmes de gouvernance ». A ce propos, elle assure que l’on se trouve vis-à-vis de certains pays dans cette situation-là. Ainsi, estime-t-elle, « c’est le moment aussi, surtout quand la détermination des politiques, c’est d’inviter le FMI à bord pour pouvoir assainir la situation, c’est le moment de prendre non seulement des bonnes résolutions, mais de les mettre en œuvre. On approche de la fin de l’année et j’espère que ça ne sera pas un vœu pieux ». Pour ce qui est de la République du Congo, elle affirme que « s’il y a des déséquilibres macros qui sont très importants, c’est un pays avec lequel nous avons maintenant engagé des discussions sur la base de ce qui est toujours l’exigence du FMI, c’est-à-dire livre ouvert, chiffres clairs et parfaite détermination de l’ensemble de la dette publique parce qu’on ne peut pas entrer en relation avec un pays si on n’a pas une idée claire de la dette du pays ». D’où le point précis qu’il a fallu faire sur les engagements bilan et hors bilan. En ce qui concerne la transparence, Christine Lagarde indique qu’elle y est « particulièrement attachée parce qu’on prête l’argent de la communauté internationale, on joue un rôle de catalyseur parce que les investisseurs autres, y compris institutionnels de type Banque mondiale ou Banque africaine de développement, se fient à notre appréciation. Donc, on est redevable de cette transparence et on l’exige de nos partenaires ». Enfin, au cours de cet entretien, elle assure que le Fonds « sera engagé avec la République du Congo, sans aucun doute ».
Pas une minute à perdre : il est temps de renforcer la croissance mondiale et de créer des économies inclusives
TRIBUNE. Les dirigeants du G20 se sont réunis à Hambourg pour examiner comment affermir la reprise de l’économie mondiale. Il y a bientôt soixante ans, des musiciens encore peu connus, les Beatles, débarquaient à Hambourg, passaient chez le coiffeur, enregistraient leur premier titre et trouvaient leur voix. Prenant exemple sur les Fab Four, les dirigeants du monde entier qui se retrouvent cette semaine au sommet du Groupe des Vingt peuvent mettre à profit leur séjour à Hambourg pour écrire la partition d’une croissance mondiale solide. Une reprise en bonne voie Ce sommet s’ouvre dans un climat d’optimisme suscité par une reprise mondiale qui dure depuis un an. Alors que les réunions précédentes du G20 étaient régulièrement assombries par une croissance capricieuse et des révisions à la baisse, cette évolution vient à point nommé. Cet optimisme doit cependant s’accompagner de prudence car des efforts restent nécessaires pour renforcer la reprise et rendre les économies plus inclusives. Quelle est l’origine de cette dynamique de croissance ? Un redressement récent de l’activité manufacturière et de l’investissement dans le monde montre que la reprise que nous avions prévue en avril reste en bonne voie. Nos prochaines prévisions seront publiées à la fin juillet, mais nous nous attendons d’ores et déjà à une croissance mondiale de l’ordre de 3 ½ % cette année et l’année prochaine. Toutefois, comme l’explique notre dernière Note de surveillance pour le G20, la répartition de la croissance a évolué selon les régions. Aux États-Unis, qui connaissent leur neuvième année d’expansion et où le chômage conjoncturel a quasiment disparu, un passage à vide au début de 2017 et l’incertitude liée à l’action des pouvoirs publics ont tempéré nos perspectives. La zone euro, tirée par les mesures de relance monétaire et la demande intérieure, a obtenu des résultats meilleurs que prévu et la situation des pays émergents a été favorisée par une croissance robuste en Chine et une stabilisation en Russie et au Brésil. C’est pourquoi, si une dynamique s’est bel et bien déclenchée, nous ne pouvons nous reposer sur nos lauriers. Des risques, tant anciens que nouveaux, menacent notre objectif d’accélérer une croissance qui profite à tous. Un horizon assombri Ces risques ne se limitent pas à une région ni à un type d’économie et, dans certains cas, sont les conséquences négatives des éléments moteurs de la reprise. Les vulnérabilités financières sont préoccupantes dans l’immédiat. Après une longue période de conditions financières favorables, caractérisée notamment par de faibles taux d’intérêt et un accès plus aisé au crédit, l’endettement des entreprises est trop élevé dans de nombreux pays émergents. En Europe, il faut encore assainir les bilans des banques après la crise. En Chine, une expansion plus rapide que prévu, si elle continue d’être alimentée par un crédit rapide et une hausse des dépenses, risque de se traduire par une dette publique et privée insoutenable. Si rien n’est fait, ces multiples sujets de préoccupation vont à coup sûr provoquer des difficultés financières soudaines alors que les pays du monde entier continuent d’être aux prises avec plusieurs problèmes de long terme. Citons simplement des inégalités économiques trop profondes, une faible croissance de la productivité, un vieillissement de la population et une disparité entre les sexes. Nos recherches montrent que ces difficultés limitent la croissance potentielle et freinent la hausse des revenus et des niveaux de vie. Comment le G20 doit-il réagir ? Un appel à agir Le mieux est de commencer par entretenir la dynamique économique actuelle. Des mesures monétaires et budgétaires peuvent soutenir la demande là où cela est nécessaire et possible. Ainsi au Japon, où la production reste inférieure à son niveau potentiel, un soutien budgétaire et monétaire conjugué à une conjoncture économique mondiale favorable a alimenté une croissance particulièrement forte depuis plusieurs trimestres. Ces mesures ont cependant des limites. Les pays doivent chercher les moyens de se prémunir contre les risques, d’accélérer la croissance et de tirer profit de la coopération internationale. Aucun pays ne fonctionne en vase clos, et toute mesure prise par l’un d’eux peut avoir des répercussions plus fortes et durables si elle est prise en coordination avec les autres pays membres du G20. Nous devons en priorité : • Relancer la croissance de la productivité. De nombreux pays pourraient consacrer des moyens accrus à l’éducation, à la formation et à des mesures d’encouragement de la recherche et du développement et ainsi stimuler l’investissement et mobiliser l’énergie entrepreneuriale. Ils donneraient ainsi à leurs économies le coup d’accélérateur dont elles ont tant besoin pour parvenir à une croissance durable. • Protéger le secteur financier. La période de croissance que nous traversons peut être mise à profit pour lutter contre les vulnérabilités des entreprises et des banques en renforçant les fonds propres et les bilans. De plus, pour parvenir à une croissance durable, c’est le moment non pas de supprimer les dispositifs de contrôle et de réglementation mis en place au lendemain de la crise, mais de les améliorer. • Nous attaquer aux déséquilibres excessifs des transactions courantes. Les pays qui enregistrent un déficit courant, tout comme ceux en excédent, doivent s’attaquer à ce problème dès à présent pour éviter de prendre des mesures correctives de plus grande ampleur plus tard. Ce sommet est aussi l’occasion de renforcer le système commercial mondial et de réaffirmer notre engagement à bien appliquer des règles qui encouragent le jeu de la concurrence tout en créant des conditions équitables. Surtout, nous devons nous attacher à bâtir des économies inclusives. Des réformes structurelles s’imposent afin d’augmenter les revenus et d’aider davantage les victimes de l’évolution de la technologie et de l’intégration de l’économie mondiale. Par ailleurs, nous devons déployer de nouveaux efforts pour autonomiser les femmes et éliminer les disparités entre les sexes. Dans les pays avancés membres du G20, la différence entre la main d’œuvre rémunérée masculine et féminine est de 15 points de pourcentage environ. L’écart est encore plus important dans les pays émergents membres du G20. Si les pays du G20 atteignent leur objectif d’accroître de 25 % le taux