Philopolitique africaine
OPINION. Le rapatriement de la dent de Lumumba en grande pompe me fait réfléchir sur l’importance du héros sacrificiel en Afrique. Nos ancêtres de référence sont la plupart du temps des gens qui ne sont pas arrivés au bout de la mission qu’ils s’étaient assignés. Ils deviennent héros par leur mort prématurée et de ce fait, par leurs échecs. Lumumba, Sankara, Matsoua, Boganda, Samory Touré… On peut remonter jusqu’à Kimpa Vita en pays Kongo, Toussaint Louverture… Les exclamations du style « S’ils étaient là, s’ils avaient réussi, s’ils avaient gagné »… apparaissent finalement comme la recherche d’une version fantasmée de ce qu’aurait été notre futur en nous réfugiant dans l’imagination ou l’espoir d’un destin qui n’a pas eu lieu ou la mise en place a échoué. Mieux, en nous nous efforçons à prendre l’échec pour leçon. Il faut faire comme eux, parce qu’ils avaient tout compris. Qu’ils se soient attirés l’inimitié de tous, aient été vaincus par leur adversaires, n’est que la preuve de la justesse de leur démarche et finalement leurs échecs, est la preuve de leur succès. Comment gagner en ayant pour référence l’échec ? Je me demande souvent. Par Hervé Mahicka
Congo. MATSOUA, naissance de l’amicale: « Nous voulons être libres » (suite 6)
HISTOIRE. Au mois de mai 1926, Matsoua réunit des proches dans un bar de Paris pour leur parler de son projet d’association d’entraide. L’assemblée générale improvisée la dénomme « Association Amicale congolaise de Paris. » Après quelques tergiversations, elle devient « Association Amicale des Originaires du Congo Français ». En renvoyant les statuts pour approbation au ministère des colonies début juin, l’agent, un certain Lucien Harlée, va corriger quelques anomalies juridiques d’usage, mais ce sera surtout l’article 13 qui mettra le feu aux poudres. Plus que cela, cet article va créer à jamais les rapports conflictuels entre Matsoua et l’administration française. Pour Matsoua l’Article 13 se libelle comme suit: « Toute question politique où religieuse ne pourra être discutée a l’association. Toutefois celle ci conserve toute liberté à l’égard du Congo ». Pour Harlée, Article 13, « Toute question politique où religieuse ne pourra être discutée a l’association. [Point] » Matsoua sous-entend qu’il n’est pas disposé à parler politique sauf en ce qui concerne le Congo. Pour Harlée, pas de politique du tout. Autre sujet de mésentente et non le moindre, le règlement intérieur que Matsoua n’a pas déposé est entière rédigé par Harlée qui suggère un renouvellement annuel du bureau de l’Amicale, puis place l’association sous le patronage du service d’assistance aux indigènes du ministère des colonies (donc lui même Harlée) qui nommera un fonctionnaire comme commissaire aux comptes. A la réception de ces textes corrigés, Matsoua furieux, rétorque au monsieur la suivante lettre reproduite fidèlement: « Monsieur l’Administrateur, En vous accusant reception de vos copies, statuts et reglement interieur. Pour les premiers, je ne ferai qu’une seule observation c’est le maintient de cette phrase à l’article 13 : (…… ; Toutefois, l’Association conserve toute liberté à L’EGARD DU CONGO. En effet nous voulons avoir le droit d’intervenir, et, ce, lorsque nous le jugerons nécessaire et utile dans toutes les questions où l’intérêt de notre Pays sera en jeu. Pour le reglement interieur, je n’y comprend plus rien, que vient faire ici le « Patronage du Service d’Assistance aux Indigènes » ? et ce membre de ce service à titre de Conseiller et controleur financier, ayant signature ? Non, Monsieur l’Administrateur, non ce ne peut-être, Nous voulons former une Association de secours mutuels et de prevoyance ; nous accepterons volontiers vos conseils, nous ne voulons pas vous méconnaître, mais nous ne voulons pas de Tutelle, nous voulons être libres, et votre patronage, votre conseiller financier avec signature, nous ne pouvons l’accepter, c’est une, et je le repète, une tutelle n’en voulons pas. – La signature du Président et du Trésorier suffisent pour cette question financière et nous voulons, je ne saurai trop le dire, être libre. Voilà ce que je trouve de mauvais dans cette minute du reglement intérieur, qui doit être approuver, en assemblée générale et j’ai la certude que tous mes compatriotes refuserons ces deux clauses. En attendant l’honneur de vous lire. Veuillez accepter Monsieur l’Administrateur l’assurance de ma distinguée considération. [signé] Grènard André P.S. Jusqu’à nouvel ordre nous maintenons la date du 3 juillet pour notre première réunion, où j’expliquerai et détaillerai et les statuts et le reglement interieur. » Matsoua veut dès le départ se cacher derrière une association servant de soutient aux compatriotes en difficulté en France. Il sait qu’il y’en a d’autres, et que ce prétexte lui facilitera l’accord des autorités. Mais dans sa tête il est déjà clair que son but est d’incarner une voix qui a son mot à dire sur la conduite des affaires du Congo. C’est dans cet esprit qu’il avait écrit dès Janvier 1926 à Kyelé Ténard pour lui demander de rattacher son association non officielle qu’il animait depuis Léopoldville pour accorder les positions entre ressortissants du Congo français. Qu’il s’agisse du développement, des rapports économiques avec les sociétés concessionnaires, des décisions administratives et politiques qui sont prises sur le territoire, Matsoua souhaitait avoir un oeil et un mot à dire. Mais le solliciter d’emblée dans ces termes, alors que les droits politiques en colonie sont réduits à relayer les ordres de l’administration coloniale par les chefs de terres et de tribus nommés par l’administration elle-même, aurait fait de son association un mort-né. Au delà des rapports avec l’administration, cette question va nuire au développement de l’Amicale en Afrique à ses débuts, car de nombreuses personnes cooptées ne comprendront pas qu’on leur demande de participer financièrement à une association qui aide les personnes en difficulté en France, alors qu’elles sont au Congo. Pour simplifier, on va leur dire que ces personnes souffrent parce qu’elles n’ont pas la nationalité française là bas. Et si elles l’obtiennent, nous aussi au pays nous l’auront tous avec tous les droits que cela implique: fin de l’indigénat, du travail forcé, de la ségrégation, des châtiments physiques, des études et carrières limitées, droits politiques et syndicales, égalité salariale, liberté de circulation etc. L’indépendance n’était pas dans leur esprit. Tout le monde était conscient du retard et des insuffisances (Matsoua écrira « je sais que nous sommes encore un peu sauvages »), mais n’acceptait pas qu’ils soient traités d’inférieurs ou d’incapables de progresser. A l’assemblée générale du 3 juillet 1926, dans un bar au 2 rue du Bouloi dans le 1er arrondissement de Paris, les statuts et règlement intérieur sont adoptés sous la forme souhaitée par Matsoua. Le nom même change et devient « Association Amicale des originaires de l’Afrique Equatoriale Française ». Il faut ratisser large. Il n’adopte pas le renouvellement annuel du bureau « suggéré » par Harlée et fait du président fondateur un « inamovible ». Le siège social est fixé dans la bar où ils se rencontrent, 2 rue du Bouloi, qui n’est autre que l’adresse de naissance du cardinal de Richelieu. Il renvoie ces textes en l’état. Divine surprise, le récépissé lui est accordé sans modification des textes, le 17 juillet 1926. Le bureau est alors composé de: Président fondateur : André Matswa Vice-président : Constant Balou Secrétaire : Lucien Tchykaya Commissaire aux Comptes : Pierre Ganga Trésorier : Joseph Kangou Tous les autres sont membres fondateurs. Le 21 juillet, Matsoua se rend
CONGO. MADAME GRENARD (suite 5)
HISTOIRE. Lorsque le mercredi 2 avril 1930 à 8 heures commence le procès des amicalistes devant le tribunal indigène du second degré de la circonscription du Pool, audience tenue dans une salle du rez-de-chaussée de la mairie de Brazzaville (un ancien bâtiment au même endroit que celui d’aujourd’hui, détruit en 1960) avec au prétoire Marius Camp, à la question sur son état matrimonial, Matsoua répond « Marié. Avec une française. Blanche ». Julie apparaît pour la première fois dans les archives de police parisienne le 12 de janvier 1929, lorsqu’un commissaire de police de la ville de Paris, Louis Lefèbvre, flanqué de trois de ses assistants, fait irruption dans son nid conjugal du 79, rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans le 3e arrondissement. La chambre, puisqu’il s’agit bien d’une simple chambre, fait également office de siège social officiel de l’Amicale. La dame qu’ils y trouvent leur répond facilement: « Grenard est mon ami, déclare t-elle au commissaire qui prend note, et nous vivons ici tous les deux. Mon ami est absent il doit être à l’hôpital Lariboisière, car il est atteint d’un abcès à la cuisse. » Jeune Bretonne, d’origine sociale modeste, absolument pas politisée et craignant l’autorité, les policiers tireront d’elle toutes les informations qu’ils voudront sur Matsoua et l’Amicale. « Il y a ici quelques papiers qui concernent son association, mais il y en a peut-être aussi 2 rue du Boulois, où se réunit chaque mois l’association » lâche Julie, honnête et persuadée que son ami l’est aussi. La police embarquera toute la paperasserie sur laquelle on pourra mettre la main. Elle se refuse cependant de reconnaître la mise sous scellé des documents confisqués par la signature qu’on lui demande d’apposer. Julie Alexandrine Plevert est née le 12 avril 1902 à Auray dans le Morbihan, elle est la troisième d’une famille de six enfants. Son père, Jules Plevert, travaille comme débitant de boissons au quai du port de Saint-Goustan à Auray et sa mère, Marie-Louise Leju, est ménagère. Matsoua l’a rencontrée à l’hôpital Cochin où lui travaille comme aide-comptable et elle comme fille de salle. Ils ne sont pas mariés, bien qu’elle signe ses lettres « Mme Grenard ». Elle est une compagne attachée, mais effacée dans l’action publique comme à peu près tous les Bretons à l’époque, région particulièrement marginalisée et dont les ressortissants s’intègrent aussi mal à Paris que les étrangers dont ils s’entichent souvent. Elle n’effleure que très superficiellement l’action du mouvement. Elle connait les acteurs qui pour elle sont avant tout les amis de Grenard, et les appelle par leurs sobriquets familiers que les congolais aiment se donner dans leurs milieux. En la quittant, les inspecteurs ne manquent pas de remarquer que Julie est enceinte jusqu’aux yeux. Par Hervé Mahicka
Congo. M22, une erreur qui a la peau dure (suite4)
RETRO. Cette photo a certainement été prise au début de l’année 1926. Grenard la multipliera en 10 exemplaires envoyés à Jacques Mayassi en même temps qu’il lui demande d’implanter l’Amicale. Quand le mouvement prend de l’ampleur, elle est copiée au dessin et à la peinture, puis les copies copiées en copies de copies vont se répandre. Progressivement l’image est « améliorée ». Le personnage est grossi, gagne en âge, coloré avec une large palette de teinte pour l’uniforme et la peau. Finissant par suivre les modes, il est par exemple recoiffé avec la pointe sur le front comme l’affectionnait Youlou et plus tard Sassou. Chaque auteur choisit le sien pour illustrer son livre, son culte, sa page sans réel intérêt pour trouver l’original. Le 22 sur son uniforme représente le 22e régiment mitrailleur des tirailleurs sénégalais pour lequel il a combattu au Maroc entre 1923 et 1925. Un numéro porté donc par tout le régiment. Une persistante interprétation en a fait le numéro matricule de son uniforme de douanier à Brazzaville. Matricule 22 ou M22, titre d’une pièce de théâtre a fini par populariser cette erreur grossière et ce surnom erroné lui a été affublé. Par Hervé Mahicka Lier également: CONGO. MATSOUA: LE PÉRIPLE VERS LA FRANCE (SUITE2) CONGO. MATSOUA : JEUNESSE (SUITE) CONGO. MATSOUA FÉVRIER 1942-FÉVRIER 2022
Congo. MATSOUA: Paris, les papiers, le boulot et sa garde rapprochée (suite3)
HISTOIRE. À son arrivée à Paris, sans doute vers le début de l’été 1925, Matsoua pose d’abord ses valises chez un compatriote au 16, rue Albouy (rebaptisée, en juin 1946, rue Lucien-Sampaix), dans le 10e arrondissement. Quelques semaines plus tard il emménage dans la première des multiples adresses où il résidera à Paris, au 250, rue du Faubourg Saint-Martin, dans le même arrondissement. C’est à Paris qu’il adopte une nouvelle doublure. Il se fait désormais appeler Matchouand Grenard, se rajeunit de deux ans (né le 17 janvier 1901) sur la déclaration qu’il remplit le matin du 21 janvier 1926 au bureau de la mairie pour l’obtention d’un titre d’identité. Il conserve cependant son lieu de naissance apocryphe, Brazzaville. Comme il « se prétend Sénégalais, citoyen français, de par son père », et que l’on subodore une supercherie, le service habilité recommande l’établissement d’un titre de séjour de trois mois en attendant la vérification de sa qualité de citoyen français. On contacte donc, par le truchement du ministère des Colonies, les services administratifs de l’A-EF. Un certain Auclair, chef de la circonscription du Pool, se renseigne et fait remonter l’information jusqu’au CAI. Un certificat d’identité, établit le 9 août 1926, arrive donc à Paris. On y lit que Matsoua est bel et bien indigène d’une colonie donc sujet français, et non citoyen français. Qu’il serait bien né vers le 17 janvier 1899, au village Bembé, terre Kandza N’Zaba, tribu Masamba N’Dala, subdivision de Kinkala-Boko, dans la circonscription du Pool. L’administrateur ne ménage aucun effort pour tirer cette affaire au clair et fait montre d’un zèle peu ordinaire. L’enquête qu’il diligente révèle que pour toute famille, Matsoua a un « frère » (mis entre-guillemets dans le texye), Malonga N’Goma, cultivateur et demeurant au village précité. Peu importe que le pot aux roses, d’ailleurs négligemment gardé, soit découvert. Il en faut plus pour décourager Matswa. Sans en démordre, il met tout en œuvre pour se prévaloir de sa citoyenneté française et des droits qui en découlent, notamment celui de voter. Pourquoi Matchouand ? Et surtout pourquoi Grenard ? Lors de sa première comparution, le 29 janvier 1930, devant le tribunal indigène de Brazzaville, le juge Darius Roux ne rate pas l’occasion de soulever la question. « Pourquoi vous faites-vous appeler Grenard ? », lui demande-t-il de but en blanc. « C’est un nom à tournure française que je me suis donné moi-même », rétorque Matsoua. On le retrouve dans les archives et sous la plume de Matsoua lui-même indistinctement écrit « Grenard », « Grénard » ou, plus souvent, « Grènard. ». En quittant le 10e pour venir s’établir dans le 2e arrondissement de Paris, Matsoua ne se rapproche pas seulement du centre de la capitale, il va à la rencontre de son destin. Il n’y a jamais été aussi près. Sa nouvelle résidence de la rue de Cléry, où il emménage le 15 juin 1925, se situe à 800 mètres du marché des Halles. La nécessité faisant le reste, il décide, parce qu’il faut bien payer son loyer et survivre à Paris, de se faire marchand de fruits et primeurs dans le « ventre de Paris ». Son commerce semble générer suffisamment de profits pour lui faire songer à acquérir le fonds de commerce d’un certain Jean Monod, avant d’y renoncer quand la Banque Nationale du Crédit (ancêtre de la BNP Paris-Bas) lui refuse un crédit. Matsoua augmentera alors son commerce de fruits et légumes en s’investissant dans le marché des produits exotiques à Paris: peaux d’animaux, cornes, queues, dents, qu’il réussit à acquérir grâce à ses relations avec les matelots de Marseille. Mais il va plus loin. Une lettre qu’il adresse à un « grand frère » qui se trouve en poste à Bangui (Oubangui-Chari) donne quelques détails sur les articles prisés par sa clientèle parisienne. Il y fait la commande de « 15 peaux de singes noirs et une dizaine de queues d’éléphants avec leur crin de poil », précise-t-il, et réceptionne tous ces articles en poste restante au bureau de poste sis 24, rue de Cléry. Nul argent ne circule pour opérer ces transactions entre Paris et l’Afrique. En échange pour ces produits exotiques, Matsoua, qui lui-même attache une importance toute particulière à l’habit, nourrit le désir immodéré pour la mode parisienne qui s’empare alors des jeunes « écrivains » et « boys » de Brazzaville en leur procurant des articles de mode de premier choix savamment sélectionnés. Matsoua semble avoir continué ce commerce lucratif de manière sporadique même lorsqu’il commence à travailler régulièrement comme comptable. On a pour preuve une lettre qu’il envoie au procureur général à Brazzaville pour protester contre une saisie de « registres de commerce se rapportant uniquement à [s]es propres affaires » lors d’une perquisition faite à son domicile, le 12 janvier 1929. « Ces documents personnels, insiste Matsoua, me sont absolument nécessaires pour pouvoir continuer mes affaires ». Matsoua trafique également avec le Congo belge comme l’atteste une lettre datant de mai 1929 qui fait état d’une commande expédiée à partir de Léopoldville et comprenant 20 bracelets, dont 10 en ivoire. En échange pour ses marchandises, à vendre à Paris, le fournisseur demande des ouvrages en latin et en français, sans oublier un « porte monnaie Paraissien [parisien] de luxe ». La lettre, signée « Votre Philanthrope Obeissant », en dit long sur l’aura que commence déjà à projeter Matswa sur les fidèles de l’Amicale en Afrique. En août de la même année 1929, c’est Matsoua lui-même qui écrit : « […] seriez-vous assez gentil de m’envoyer un souvenir du Congo belge 20 bracelets a crin de giraf ou d’élephant. » Revenons à 1926. Matsoua qui prend désormais des cours du soir à pour améliorer son niveau parvient à se faire embaucher comme stagiaire comptable dans plusieurs institutions de la capitale, y compris à la Banque de France au printemps 1926. Il en sort pour se faire employer chez un certain Mainro, à la gare du Nord, en qualité de secrétaire des douanes. Le
Congo. MATSOUA : Jeunesse (suite)
HISTOIRE. INTRO. Cette série s’appuie sur le livre « Matswa vivant. Anticolonialisme et citoyenneté en Afrique-Equatoriale française » de Didier Gondola, professeur d’histoire africaine et des études afro-américaines de l’université Paris 7- Denis Diderot, paru en février 2021 aux éditions de la Sorbonne. J’ai pris une année pour en vérifier les sources. La qualité du travail est remarquable et je l’en remercie profondément. J’ai tout de même été dérouté par le style du récit qui tend à faire trop d’aller-retour chronologiques (on s’y perd vraiment) et où domine bien souvent le contexte indirectement rattaché à la biographie en cours. Ces exposés sont mes notes de lecture et commentaires. SOURCES. L’essentiel des sources exploitées ici se trouvent dans la très nombreuse correspondance de Matsoua. Ces courriers se trouvent aux Archives Nationales d’Outre-mer en France, ainsi qu’en Belgique (Archives africaines) en ce qui concerne sa longue et riche correspondance avec Mahuku Prosper, un natif de Linzolo, secrétaire de la section de l’Amicale à Léopoldville. Ces documents furent recueillis après des perquisitions chez les intéressés (Jacques Mayassi, Nkéoua Joseph, Mahuku, Matsoua, Ngoma Louis…) et mis sous scellés avant leur mise à disposition au public quand fut venu le temps de l’histoire. La police coloniale (mais c’est le cas partout) et ses services de renseignement constituent la source historique la plus sûre, la plus précise et la plus documentée. Les interrogatoires et enquêtes autour du mouvement l’Amicale ont fournis avec force détail suffisamment d’éléments, professionnellement vérifiés par les enquêteurs de l’époque, et annotés avec leurs réseaux d’espions et d’informateurs jusque dans les lits des intéressés qui peuvent aujourd’hui permettre au chercheur de construire un récit assez proche de la réalité. CITATIONS. Les extraits des lettres de Matsoua sont reproduits in extenso. ________________________________ « Il n’y a pas des écoles primaires pour instruire les noirs, nous affirmons ici à M. Antonetti que ce n’est pas l’Association Amicale qui empechera de mettre en valeur l’A.E.F. au contraire l’Association Amicale souhaite vivement que l’A.E.F. soit développer par lui. Pour développer l’A.E.F. il faut fonder des routes, des dispansaires, des pharmacies, des grandes Postes, des hotels de ville, des hopitaux, installer l’éclairage et créer des régiments coloniaux de tirailleurs congolais. » Ainsi écrivit André Grenard Matsoua, sous l’entête « Grenard, président fondateur de l’Association Amicale à Monsieur le ministre des Colonies, Paris, le 16 août 1929 ». Ces mots résument bien le combat qu’il va mener toute sa vie avec une façade officielle, et une autre plus cachée. Si on connait beaucoup de ce qu’il est devenu, on sait peu de ce qu’il a été. Matsoua est né le 17 janvier 1899 à Mandzakala, petit hameau situé dans un territoire jadis occupé par les Batéké, dans la circonscription administrative qui deviendra à partir de 1911 le district de Kinkala, à moins d’une centaine de kilomètre de Brazzaville. Dans sa lettre au président français Raymond Poincaré qu’il signe « Grenard », il ne décline pas son identité comme Kongo ou Lali comme on disait à l’époque pour franciser « lari », mais comme Congolais : « Je suis né à Brazzaville, Congo Français le 17 janvier 1899 Fils de Congolais et Congolaise. » écrit-il. Il se détache de l’appartenance ethnique à laquelle les colons désignaient systématiquement les indigènes et s’octroie un qualificatif plus englobant. Mais né à Brazzaville et non à Mandzakala? Matsoua, prend ici quelques libertés avec les faits. Sans doute pour souligner son modernisme ancré, en se rattachant à cette ville promesse de lumière. Selon Martial Sinda, il est l’aîné d’une famille de trois enfants dont le père, N’Goma Mousoungou, et la mère, N’Koussou, se préoccupent très tôt de leur éducation. Baptisé catholique, il est dès 1910 écolier à Brazzaville (et non à l’école de la mission catholique de M’Bamou comme le prétend Sinda). Il n’est pas inscrit dans la filière régulière de l’école, qui ouvre ses portes en 1912 et permet un cycle primaire classique, mais dans sa section professionnelle qui existe depuis 1903 et forme des dactylographes, des interprètes, des assistants comptables, des géographes. Après l’apprentissage du français, de la lecture, l’écriture et le calcul qui se faisait en 3 ans, on ne connait pas bien la filière complémentaire de 1 à 2 ans qu’il y a suivi. Mais dans une lettre aux autorités où il se présente, il s’en dit diplômé. En quoi? en quelle année? Les sources sont silencieuses. Fut-il bien formé? Les résultats de ces formations à la va-vite ne sont pas appréciés des autorités coloniales elles-mêmes. Dans une circulaire du gouverneur Antonetti datée de 1925, on y lit: « Trop d’élèves, chaque année, quittent nos écoles avec un mince bagage, sachant vaguement lire, ayant des notions d’écriture, ayant enregistré dans leur mémoire un certain nombre de mots français dont ils ignorent parfois le sens exact, juste assez savants en un mot pour s’écarter de la terre et mépriser leurs frères restés aux villages, mais incapables de se servir de ce semblant d’instruction dont ils sont puérilement fiers pour gagner leur vie. Aucun n’est capable de faire un écrivain, un dactylographe, un comptable. Ce sont trop souvent des déclassés, des mécontents, des parasites de la collectivité travailleuse. » Ce qui est sûr c’est qu’il quitte Brazzaville à la fin 1914, et officie comme catéchiste à Kindamba, chez les pères du Saint-Esprit. Plus que de suppléer la dizaine de religieux européens dans la contrée, il est interprète et comme dans une pré-école, il apprend aux gens à lire, écrire, compter, parler français. Mais jamais Matsoua ne commentera cette expérience ni même ne la mentionnera dans les courtes biographies qu’il donne dans ces lettres ou devant ses juges. Black out total. Il passe souvent de sa formation à son service dans les Douanes Françaises auprès de la Direction Centrale de Brazzaville (voir photo), comme secrétaire, puis commis du cadre local. Mais c’est sûr, il a eu son « sacerdoce » à Kindamba. Même spirituellement, il ne fait jamais la moindre allusion à Dieu, à la religion, aux Évangiles. Ces thèmes sont absents de la rhétorique
Congo. MATSOUA Février 1942-Février 2022
HISTOIRE. Le plus célèbre des précurseurs de l’indépendance du Congo est aussi mal connu. Les légendes, les récupérations messianiques et tribales nous ont donnés une image complètement erronée alors que la vie de cet homme à la fois aventurier, ambitieux, mégalomane et panafricain mériterait une série télévisée. A ma modeste place de curieux, je vais tenter de lui donner le canevas historique de ce qu’on sait de sûr sur sa biographie, à l’heure actuelle. La première tentative de retracer sa vie nous vient de Martial Sinda. Mais son récit est très romancé, et très peu référencé. A sa décharge, les maigres sources en sa disposition ne permettaient pas de construire une biographie proche de la réalité sans oublier que Matsoua lui-même a beaucoup brouillé les pistes sur son parcours en donnant des informations pas toujours exactes. Il s’enregistre comme fils de sénégalais à telle administration, signe ses lettres « André Matchouand », ou Grenard tout court, un nom autochoisi, s’arrange pour obtenir une carte d’électeur alors qu’il n’est pas français, s’enregistre comme commerçant à Marseille alors qu’il est assistant comptable à Evry, puis à Paris, en même temps. C’est un casse-tête que grâce à l’accès aux archives en ligne, on commence peu à peu à démêler. J’aimerai autant prévenir ceux qui m’attendent sur les lieux communs de leurs idées reçues qu’ils voudraient que je confirme, que je n’en ai pas l’intention. Je n’ai par exemple pas trouvé trace du mot indépendance ou quelque chose qui s’en rapprocherait dans la nombreuse correspondance de Matsoua désormais disponible, ni dans ses propres prises de positions devant les tribunaux ou les interrogatoires de police qui ont jalonné son histoire. Matsoua se battait pour l’émancipation de l’homme noir, pour l’égalité des droits entre les enfants de la république française sans distinction de couleur, pour le développement économique des territoires de l’AEF, pour la fin des mauvais traitements et du racisme, pour la reconnaissance et le soutien aux anciens combattants (ce qui n’est déjà pas rien) mais le terme indépendance est anachronique dans son cas. Il n’y pas non plus de trace d’un messianisme en lui. Il ne plaide pas cette cause en invoquant des concepts moraux ou religieux. Il ne réclame pas l’égalité entre Blancs et Noirs au nom de Dieu, mais au nom de la loi, mettant à chaque fois la république française face à ses propres contradictions qui faisaient du travail forcé et de la colonisation elle même, un crime. Jamais il n’évoque les Tchimpa Vita, Mabiala Mâ Nganga ou Boueta Mbongo qui l’ont précédé, ni une prééminence de l’ethnie bakongo ou balari. C’est ce Matsoua, le plus proche possible de la réalité historique que nous allons traverser à l’occasion des 80 ans de sa disparition. A bientôt Par Hervé Mahicka