CLIMAT

TRIBUNE. Intégrer dans l’esprit des Africains que les dérèglements climatiques nous frappent de plein fouet et plus que partout ailleurs sur la planète n’est pas une mince affaire, dans notre mentalité où plus qu’ailleurs, tout est la faute de l’Etat, quand ce n’est pas la volonté de Dieu – le sorcier ayant perdu la cote. Mais je vais réessayer en réchauffant un papier que j’avais écrit il y a quelques années pour une ONG.

En effet, bien que le continent soit le moins responsable des dérèglements du climat et donc du système écologique, il est celui qui en souffre le plus. Pas uniquement ceux qui vivent en bord de mer ou dans le désert, mais tout le continent et partout.

Selon l’indice de vulnérabilité au changement climatique de l’ONU, 7 des 10 pays les plus menacés par le changement climatique sont en Afrique. Il est démontré que ces changements ont des effets dans notre continent sur la survie du biologique, nuisent à la santé humaine, affectent la production alimentaire, insécurisent l’habitat (éboulements, intempéries, prolifération des nuisibles, raréfaction des ressources vitales, d’eau) provoquent les migrations internes et externes et induisent crises politiques et des conflits armés. C’est pas des documentaires d’Arte supposés restés enfermés dans la télé et sans impact dans le réel, des histoires de scientifiques blancs ou des hypothèses d’avenir. Nous le vivons chez nous, même au Congo, tous les jours en s’aggravant, depuis plus de 30 ans.

Ce n’est pas notre mal gouvernance qui fait que 82% de la masse de neige qui couvrait le Kilimandjaro en 1912, année des premiers relevés, a aujourd’hui fondu, selon le GIEC. Or les glaciers sont les châteaux d’eau qui alimentent fleuves et lacs. Le fleuve Congo vient de l’Afrique de l’est, par adduction de cours d’eaux terrestres ou souterraines. En fondant là bas, ça augmente ici. En s’évaporant, il pleut encore plus.
Les inondations sont devenues la principale catastrophe en Afrique centrale, australe et orientale: 400 morts au Mozambique en 2019, 2 millions de déplacés dont la moitié en situation de famine, qui s’ajoutent au 800 morts enregistrés en 2000 dans le même pays, essentiellement en zone rurale. La moitié de la population nigériane est privée d’accès l’eau potable à cause des inondations alors que qu’ils n’étaient que 10% à en souffrir il y’a 50 ans. 42 morts à Bafoussam ce 29 octobre suite à un éboulement du à des pluies exceptionnelles. Il n’y a plus de comme d’habitude, comme auparavant et personne ne sait à quoi ressemblera en terme de saison, l’année prochaine.
Ces inondations font se mélanger les eaux qui se contaminent (bilharziose, onchocercose notamment pour l’Afrique centrale), répondent la propagation du paludisme – car la saison du moustique s’allonge – et d’autres maladies infectieuses (tuberculose, trypanosomiase, lèpre) ou diarrhéiques qui deviennent pandémiques et font des millions de morts. Avant nous n’y arrivions déjà pas, aujourd’hui… !???

Sur l’autre versant de la médaille, la sécheresse frappe ce qui était des greniers à arrosage équilibré. Elle décime des cheptels en Afrique de l’Ouest, mais aussi dans les hauts plateaux du Kenya.
Que les champs soient inondées, ou asséchés, la conséquence est la même: famine! la malnutrition gagne du terrain, les paysans appauvris fuient en ville, l’Etat importe plus de nourriture ce qui empêche une reprise de production locale, trop cher pour les populations appauvris et surtout les nouveaux venus de l’exode climatique qui entrent dans la grande précarité et glissent dans le banditisme par nécessité. Le déplacement des populations en ville ou sur des meilleures terres rurales crée des stress de surpopulations en certains endroits avec leurs dérapages de xénophobie, de conflits – souvent sous forme de clichés politisés (tribalisme, anti-wara, anti-zaïrois, anti-musulman, « anti-autres africains » en Afrique du sud). Les mal acceptés ou ceux qui ne savent ou aller, ou encore veulent profiter de l’insécurité induite font de la contrebande, s’enrôlent dans les groupes armés ou katiba djihadistes entraînant une instabilité politique de plus en plus grandissante depuis les années 1990.
Les conflits au Tchad (qui démarrent avec la grande sécheresse des années 1970 et l’assèchement du lac Tchad qui a perdu 90% des eaux en 50 ans), en Côte d’Ivoire avec l’afflux des populations des pays voisins, au Darfour, au Rwanda (bandes armées de réfugiés qui ont pris le pouvoir en 1994), au Mali (déséquilibre des rapports autrefois équilibrés entre cultivateurs et éleveurs), en Centrafrique (afflux des populations musulmanes du nord et de l’est vers le sud, créant un stress de surpopulation qui va se cristalliser sur l’apparente différence religieuse) ont tous un lien avec le dérèglement climatique.

Ces problèmes nous ont déjà atteint au Congo par l’accélération de l’exode rurale à cause des intempéries, les faibles productions agricoles, et les migrations transfrontalières ou d’étrangers plus lointains qui ont déjà connu leurs premières phases de déstabilisation. Le nombre de Nigérians, Ivoiriens, Ghanéens, rwandais, Camerounais en plus des Maliens, Ex-zaïrois, Sénégalais et Mauritaniens qui sont avec nous depuis toujours a augmenté de manière exponentielle ces 20 dernières années. Nous le vivons. Les plus cultivés (donc les plus ambitieux dans ce que la vie peut leur donner) immigrent vers l’Europe: comptons nous en France, chers congolais!
Sans oublier que ces migrations concernent majoritairement des hommes seuls dans la force de l’âge. Les personnes âgées, les femmes et les enfants restent seules. Les femmes doivent alors prendre en charge la famille alors qu’elles sont moins éduquées, ont moins de force physique nécessaire à la campagne, et les vieux sont malades. Cela augmente la prostitution, l’échec scolaire, le phénomène des enfants de la rue, enfants esclaves, le délitement des valeurs sociales… etc. Ce n’est pas un scénario de roman, ou des prédictions d’avenir, nous le vivons depuis un quarantaine d’années en empirant. Ce n’est pas non plus la mort de Khadafi qui provoque l’immigration, c’est la crise climatique et l’insuffisance des ressources combinée à la surpopulation qui déplace les gens en interne et en externe. Et cela va empirer.

Quant à la nature, c’est dément! Les habitudes migratoires, l’aire de répartition géographique et l’activité saisonnière de nombreuses espèces animales terrestres et marines ont muté en réponse au changement climatique. L’abondance des espèces et leurs interactions se sont également modifiées. Le léopard ne reconnait plus le comportement du lièvre, son repas, quant à sa période de reproduction, sa nourriture et même son odeur. Ils vont se battre entre eux pour réduire leur propre population et survivre. Même phénomène chez les tortues dont le nombre d’oeufs par portée diminue. D’autres espèces disparaissent.

Evidemment, la plupart des gens resteront à prendre les problèmes à leur niveau le plus terre à terre. Il y a inondation dans ma rue? C’est parce qu’il n’y a pas de caniveaux comme j’en ai vu en France. Sassou vole, Bouya est incompétent (ce qui n’est du reste pas faux). Mais l’.ampleur est telle, ses origines si lointaines et si globales que nos basses considérations ne répondent qu’à la partie infime du problème et surtout ne le solutionnera pas. En ne nous focalisant que sur les symptômes apparents, c’est comme demander une serviette pour s’essuyer les pieds au milieu du fleuve.

Par Hervé Mahicka

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