L’odyssée de la grande guerre ne peut être comprise sans restituer les faits historiques à travers ce que le colonel Mangin a appelé « La force noire ». Quels sont les pays qui constituent cette force noire ? D’où venaient ces soldats coloniaux ? Pourquoi et comment ont-ils accepté de combattre pour la France ?
En cette année du centenaire, souvenons-nous d’eux à travers leur épopée. Ce livre est une illustration parfaite de cette histoire qui devra demeurer indélébile dans les consciences humaines. Si l’UNESCO affirme que la guerre nait dans l’esprit des hommes, c’est aussi dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger des valeurs de paix.
Dans sa Préface Mémoire d’Hommes, Jean Heuclin, professeur émérite doyen honoraires de l’U.C. Lille aborde
La période des commémorations de la Grande Guerre qui a mis en évidence les nombreux « oublis » d’un récit historique national inspiré et conçu pour mettre en évidence les généraux vainqueurs, porteurs des nobles idéaux de la justice et du droit face à la barbarie. Ce discours de propagande est bien perceptible dans les textes de « l’Histoire illustrée et vécue de la guerre » de l’académicien Gabriel Hanotaux (1853-1944).
La recherche historique menée depuis un siècle dans les différents pays belligérants a montré un certain « somnambulisme » des dirigeants et un autre regard sur un conflit considéré comme la «urkatastrophe » du XXe siècle ; boucherie inégalée de jeunes talents pleins d’ingéniosité, de savoirs et de valeurs morales et spirituelles qui auraient pu rendre meilleure notre Humanité. Le tempo de cette guerre totale ne peut plus se réduire aujourd’hui à la seule lecture des pertes et gains sur le champ de bataille mais à ses effets sur toute une société mondialisée depuis la fin du XIXe siècle.
Au temps des grandes batailles succéda celui des offensives de paix (1917-1918) suivi de la difficile conquête de la paix (1919-1924) qui fut aussi celui des désillusions nombreuses, notamment des combattants, des femmes et des peuples indigènes engagés dans le conflit. L’Odyssée des Soldats Noirs entre 1914 et 1918 s’inscrit parfaitement dans ce regard renouvelé sur la Grande Guerre.
Les communications retenues ici témoignent d’une expression forte et dramatique à travers des images poétiques très prégnantes : ils sont partis… à leur corps défendant mais avec fierté sans bagage mais avec beaucoup d’espoirs mais ils ne sont pas revenus. Destins, fatalités, vaillance avait-on le droit de les oublier ces tirailleurs venus boucher les trous des classes d’âge des recrues métropolitaines dont on n’a pas gardé les noms, tombes inconnues que personne ne vient fleurir ou qu’aucun monument n’honore, noms perdus dans le grand anonymat de la bêtise humaine.
Et pourtant ils étaient là dans leurs beaux uniformes, arborant avec fierté une médaille qui témoignait de leur valeur d’homme. Il convenait de les sauver de l’oubli en rappelant leur odyssée. L’idée de faire appel aux soldats coloniaux était apparue vers 1910 dans le projet du colonel Mangin de constituer « une force noire » qui se révéla être une hécatombe au Chemin des Dames.
De Dakar à Brazzaville, on a recruté à coup de fausses promesses et de raids d’enlèvements, 26.000 « tirailleurs sénégalais » en 1914, puis 50.000 en 1915-1916. En 1917, en raison des pertes énormes, on recrute encore 183.000 hommes et 77.000 en 1918.
Au total, près de 250.000 combattants noirs en France dont les pertes sont proportionnelles sans compter les grands blessés, amputés, défigurés et traumatisés qui survivront à peine au conflit dans la petite patrie retrouvée au-delà des mers. De retour, comment décrire l’indicible et comment en conserver le souvenir dans une société postcoloniale confrontée elle-même à d’épouvantables guerres civiles.
Si des voix comme celles de Jaurès se sont élevées contre ce transport lointain, il a été demandé, sans scrupule, à ces hommes qui ne savaient où aller durant les permissions en raison de leur séparation du pays et de la famille, un sacrifice plus grand qu’aux soldats de la métropole, dans un univers de froid, d’humidité et de fatigues occasionnées par les multiples attaques inutiles. De leurs souffrances multiples et diverses, il a été in extremis conservé le souvenir dans l’opération « frères d’armes » lors de la commémoration du Centenaire.
On cherchera en vain les lieux de mémoire voués après la guerre aux soldats des colonies. La France négligea de partager ses principes fondamentaux de liberté, d’égalité, de fraternité au profit d’une la vision étriquée et égocentrée de son rôle dans le monde. Il convenait de rappeler que des coloniaux, ont participé souvent avec brio et de façon décisive à la défense de la France dans les deux guerres mondiales. Leurs souvenirs sont autant de leçons à tirer pour mieux fonder encore la paix sur un continent qui reste bien convoité (fin de citation).
Clément Ossinondé