Littérature congolaise : Fatale obsession1 de Rebecca de Ibende
Loin de tomber dans le piège de l’écriture au féminin, c’est-à-dire cette littérature produite par des plumes féminines, essentiellement intimistes et se basant quasiment sur la même problématique de la femme ainsi que son rôle en société – tels que nous pouvons le découvrir dans le champ littéraire congolais –, Rebecca de Ibende aborde dans ce roman, des questions palpitantes d’une Afrique désorientée tout en soulevant le problème de l’incarnation ou de la réincarnation traditionnelle à travers la figure maternelle. De la blessure de soi à l’incarnation du mal Le sens du titre de ce roman est porté par une relation de complicité mystique et obsessionnelle qu’entretient le personnage principal Molili avec sa mère Botutu. Une relation motivée par un élan maternel insensé qui s’accomplit dans une blessure psychologique, celle de la culpabilité individuelle qui d’ailleurs la condamne à se recroqueviller et à se venger totalement. Tout part de ce sentiment de vengeance, de frustration et d’humiliation pour enfin se transformer en un être monstrueux puisque renfermé et n’admettant plus le regard interpellateur des autres. Le narrateur du roman ne nous apprend absolument rien de personnage central ; le récit commence directement par cette vie indésirable de la mère, repliée sur elle-même et dont l’existence se définirait par la présence de l’enfant. Si l’on peut décrypter ce texte suivant l’approche psychanalytique de Freud, nous serons amenés justement à croire que cette femme aurait divorcé de manière brutale avec son mari, et que son fils serait le symbole révélateur d’un passé amer. Là n’est qu’une hypothèse, mais néanmoins, il faut admettre que le narrateur nous présente là, une mère dont l’animosité entraine à la solitude, puisque repoussée par tous. Autrement dit, ce titre, Fatale obsession, est à percevoir premièrement dans l’interprétation du complexe d’Œdipe et dans la réalité d’une conscience fragilisée permettant de saisir l’amour maternel comme remède. Déjà, sur les noms des différents personnages, l’auteure en se ressourçant dans certaines langues nationales congolaises, le lingala principalement, nous révèle déjà le destin du personnage principal Molili et de sa mère. C’est partant de cet ancrage linguistique (Molili qui veut dire obscurité) que Rebecca de Ibende dévoile cette filiation de marque œdipienne, l’enfant qui tient lieu de père. Et ici, l’image de la mère devient révélatrice de toute une conscience, c’est l’incarnation même des puissances surnaturelles. Molili qui dès l’enfance se donne des objectifs (« Pour devenir président de la République, j’établis trois règles :-règle n°1 : je tricherai sur les autres. -règle n°2 : je serai un obstacle pour tous ceux qui seront susceptibles d’être meilleurs que moi.-règle n°3 : je vendrai mon âme au diable et, enfin, je ferai de ma mère un mythe.» (pp.6-7)), évoluera tout au long du récit comme « l’incarnation du mal ». Dès les premières lignes du roman, le narrateur nous décrit une femme presque répugnée, associable et méprisable dans tout le village à cause de son comportement. Cette absence d’harmonie sociale crée alors une frustration, ce qui la conduit à une introversion, elle est condamnée à partager sa vie en compagnie de son fils, et de cette présence sédative, elle se laisse aller dans un conflit perpétuel à l’égard de tous. Cette introversion est le contexte dans lequel il élèvera son fils en le contaminant de son sentiment d’indifférence et surtout de mépris. La femme est non seulement gagnée par la paranoïa déstabilisatrice, mais aussi envisage une considération inégale ou une surestimation de son fils par rapport aux autres, ce qui renforce d’ailleurs cette situation de conflit et d’inimitié dans tout le village jusqu’au jour où, pour se venger d’une humiliation dont il sera victime après un instant ludique avec ses quelques amis, Molili tuera de colère le chien de l’un des sages du village. Ce meurtre sera à l’origine de plusieurs péripéties dans le roman et ouvrira le récit vers d’autres univers. Ce qui fera accomplir au personnage le destin tant voulu par sa mère. la dénonciation des systèmes politiques Fatale obsession aborde également la question du pouvoir, mais cette fois-ci suivant deux aspects : dans un premier temps, la romancière fait la peinture d’un monde presque détruit à cause des dirigeants politiques qui se limitent qu’à leur profil personnel. La République de Pongui devient de ce fait, le théâtre de plusieurs conflits, en laissant ainsi entendre les sentiments de déchirement et de trahison dont les principaux protagonistes seront ceux aspirant au pouvoir. La problématique du pouvoir est à lire ici sur fond de tribalisme, l’auteure essaie de montrer comment l’inégalité entre les peuples contribue à l’effondrement des valeurs sociales. La quête du pouvoir conduit à l’hypocrisie et à l’ingratitude, ce qui se vérifie d’ailleurs dans le texte. A ce niveau, le tout part de la prémonition de Molili à la magistrature suprême appuyée par des puissances fétichistes de sa mère. Celui-ci s’affichera en faux, en traître à l’égard des siens, jusqu’à assassiner Laurent qui, aurait normalement participé à son épanouissement, dans le souci majeur d’accéder au trône. Tout le récit nous dévoile ici, un monde de fourberie et d’exaltation d’un « moi personnel ». D’autre part, Rebecca de Ibende nous révèle une question qui semble très en vogue dans les sociétés actuelles sur la gestion politique. On y découvre cette « honte continentale » qui soumet certains pays africains à une domination occidentale, dans le sens où le peuple africain se verrait défiler à la tête de leurs Etats des présidents dont le choix préférentiel viendrait des occidents. La République de Pongui se voit imposer les chefs d’Etats par rapport à leurs relations particulières avec l’Occident. Si Molili accède au pouvoir, ce serait grâce à ses compromis avec les pays étrangers sur les contrats d’exploitation des ressources premières de son pays, ce qui le conduira à une trahison meurtrière. Cette fiction de la romancière congolaise devient de ce fait, un miroir qui appelle à une conscientisation de tous sur le rapport entre Etat, surtout en ce qui concerne les relations bilatérales. Conclusion Fatale obsession de Rebecca de Ibende est le reflet