
Sorel Boulingui est un des artistes comédiens et acteurs de cinéma qui se bat pour le maintenir en selle. Il a déploré, lors de sa rencontre avec Pagesafrik (ex-Starducongo) à Ouesso dans le département de la Sangha, la descente aux enfers de la culture congolaise en général et du cinéma en particulier.
Sorel Boulingui : Un artiste comédien est une personne qui fait de la comédie et un artiste musicien est la personne qui fait de la musique. C’est un canal par lequel on peut accéder au cinéma.
Vous dites que vous êtes un artiste congolais mais ce métier est-il connu du public congolais ?
Sorel Boulingui : Ce métier était considéré par les congolais à un certain moment. Nous ne devons pas oublier que le Congo a eu des grands comédiens qui ont fait valoir le Congo sur le plan artistique tant national qu’international. Il y a de ce fait une génération qui a fait parler de ce métier noble avec un public qui les a accompagnés pendant des années. Ce métier a commencé à décliner au début des années 80. On peut dire qu’il est en berne et mieux, inexistant. Les quelques artistes encore en activité se battent avec leurs propres moyens pour tenter de la pérenniser. C’est un métier de combat, de résistance.
Est-il vrai que les comédiens sont des provocateurs qui passent leur temps à ne rechercher que la petite bête ?
Sorel Boulingui : ce sont les affirmations de certaines personnalités. Aujourd’hui, on classe les activités culturelles en fonction des aspirations et de vocations. On dit que le comédien est un provocateur, simplement parce qu’il n’a pas sa langue dans la poche comme l’écrivain. Nous puisons dans la littérature ou nous nous inspirons du vécu quotidien de la société. Nous ne faisons pas de l’art pour l’art. Selon mon analyse, l’art est avant tout engagé. Je rappelle que lorsqu’on est engagé dans l’art, il faut choisir des contextes pour dénoncer ce qui est dénonciable ou faire valoir ce qui a de la valeur.
On ne saurait dire que le comédien est la personne qui perturbe. Sinon, que dire des musiciens, des politiciens ? Nous avons connu des musiciens qui ont dénoncé le comportement des hommes politiques et de manière particulière les gouvernants. C’est peut-être pour ces dénonciations que ce métier n’est pas financé ou soutenu. Pour eux, ce métier devrait être au service de certaines personnalités qui aiment toujours recevoir des salves d’applaudissements.
Je ne pense pas que les artistes devraient vivre ce qu’ils vivent. On reconnait que le comédien passe son temps à dénoncer, c’est ce qui explique la réticence de certaines personnes quant à apporter un tant soit petit soutien aux artistes comédiens.
Vous êtes aussi acteur de cinéma comme vous l’avez dit au début de cet entretien, vous est-il arrivé de parler de cet art avec les cinéastes et surtout avez-vous concocté un plan de remontée de la pente ?
Sorel Boulingui : Nous essayons de remonter la pente. Le théâtre, comme vous le savez, bat sérieusement de l’aile. Le cinéma congolais, on peut le dire sans risque de se tromper, a presque disparu, à l’exception de quelques réalisateurs qui essaient de se battre de jour comme de nuit.
Le cinéma est le septième art. C’est un art assez complexe et qui nécessite beaucoup de moyens financiers et matériels, un investissement complet. Le Congo est un pays qui pourrait apporter un soutien tant matériel que financier aux artistes et aux cinéastes. Je crois qu’il y a une certaine volonté manifestée pour faire valoir la chose. Vous ne pouvez pas vous imaginer des pays comme ceux de l’Afrique de l’Ouest où les gouvernants ont manifesté la volonté d’accompagner les cinéastes dans leur action. Ici au Congo, on ne voit pas. Pourquoi ? Il y a eu à Brazzaville, un collectif de cinéastes congolais dénommé Tozali, incluant les cinéastes de la diaspora et les locaux ainsi que les acteurs.
Ils ont tenté de faire valoir les œuvres artistiques et purement cinématographiques, mais qui n’ont jamais bénéficié d’un quelconque soutien. Ce sont des individualités qui se débrouillent avec leurs propres moyens pour créer des œuvres. Lorsque nous participons à certains films, en tant qu’artiste comédien, nous sommes obligés de puiser dans nos propres poches pour accompagner les réalisateurs afin de trouver ensemble les meilleures possibilités de faire valoir ce cinéma.
Comment se porte votre art sur le plan international après le tableau sombre que vous venez de peindre sur le plan national ?
Sorel Boulingui : Sur le plan international, on peut dire que c’est un problème de coopération. Vous savez que lorsqu’un pays a des accords de coopération culturelle avec un autre, le pays accompagne les artistes nationaux pour aller se produire à l’international. Par contre, lorsqu’un pays n’a pas de partenaires à l’étranger, ce sont donc les artistes qui créent les conditions pour se frayer des voies et trouver des créneaux pour une visibilité.
Je crois que c’est ce qui se passe présentement au Congo. Je doute qu’il y ait à ce jour un groupe d’artistes qui a été soutenu par les pouvoirs publics pour aller se produire à l’extérieur. Je vous informe que dans le domaine du théâtre par exemple, chaque artiste essaie de trouver son créneau pour aller se vendre hors du pays. Les artistes peuvent être très connus à l’étranger mais ne bénéficient d’aucune considération dans leur pays.
Ce n’est que lorsqu’il a forcé les portes par ses propres moyens qu’on vante ses mérites et on crie partout que c’est le fils du pays et on a un petit regard sur lui. Je ne dérange personne si peux affirmer que le cinéma ou le théâtre sur le plan international est une affaire de coopération entre artistes ou entre individus.
Je ne pense pas qu’on se représente des artistes comme Dieudonné Niangouna, Rufin Mbou qui fait du cinéma en France, Fortuné Batéza et Bissila ne valent pas une pièce trouée dans leur propre pays. Les artistes que nous sommes, avons tout de même besoin d’un soutien matériel ou financier de notre pays. C’est pour cela que je dis toujours que les artistes qui restent hors du pays ne fuient pas le pays, il faut plutôt dire qu’ils choisissent de vivre ailleurs. Ce n’est qu’après avoir acquis une situation socioprofessionnelle appréciable qu’il pense rentrer au pays.
Voulez-vous dire que la disparition de ce métier est programmée depuis des laboratoires ?
Sorel Boulingui : Je veux dire qu’on ne peut pas vivre dans un pays sans culture, lorsque je regarde du côté des musiciens qui ont fait du très bon travail et qui ont fait parler du pays, qui ont inspiré les musiciens étrangers et qui meurent sans bruit tout en laissant leurs œuvres tomber dans les oubliettes comme eux-mêmes. C’est dire que le Congo a perdu son âme culturelle. Certains ne sont mis en valeur qu’à titre posthume et c’est malheureux.
Parler du Congo politiquement est une bonne chose mais il faut aussi le faire culturellement. Ce n’est que justice. Vous ne pouvez pas croire qu’un pays comme le Burkina Faso qui n’a pas de pétrole, pas de bois mais qui ne vit que de la culture. C’est la culture qui est sont pétrole. Le Nigeria y a trouvé une industrie et nous sommes devant nos écrans regarder suivre sans honte les films de l’Afrique de l’ouest. Il faut promouvoir le cinéma au Congo. Les films des congolais passent difficilement à la télévision. On ne se l’explique pas. On pense certainement que les congolais n’ont pas d’initiative et ne sont que des idiots.
Les hommes de culture du Congo ne sont pas là uniquement pour chasser les mouches autour des ministres. Ils ont besoin d’être valorisés. Il faut que ça change.
Propos recueillis par Florent Sogni Zaou