Rose crucifiée1 de Neil Davis Batchi ou la consécration sacerdotale

Quand on observe l’évolution actuelle de la poésie congolaise, on remarque plusieurs plumes émergentes qui d’une manière ou d’une autre, renouvellent thématiquement cette poésie tout en l’ouvrant à d’autres horizons. Et parmi cette nouvelle génération de poètes, Neil Davis Batchi se distingue par une poésie qui mêle foi chrétienne et raison devant les faits sociaux. C’est pourquoi il y a lieu d’affirmer sans ambages que, son œuvre se construit sur une logique de confluence poético-religieuse. Voyons-en le sens dans son recueil Rose crucifiée.

  1. Postulation ecclésiastique

Ce qui se dévoile en premier dans l’œuvre de Neil Davis Batchi, c’est son statut de prêtre. L’exposition de sa croyance ou son grand message sur la foi chrétienne, donne à sa production littéraire une particularité importante et vient surtout ajouter à la poésie congolaise un axe nouveau, celui de la poésie ecclésiastique. Tout au long de son cheminement poétique, le lecteur découvre entre les lignes, le sermon sacerdotal du poète et son attachement aux valeurs divines. De ce fait, en prédicateur averti, l’Abbé-poète ne rapporte pas seulement les faits en observateur inspiré, mais aussi en témoin expérimenté. C’est surtout le témoignage de son existence, sa longue expérience de séminariste.

Rose crucifiée est une consécration évangélique, un acte de foi entre le poète et son Dieu créateur. Il s’agit de sa relation avec Dieu . Tout au long des poèmes, le poète pour s’adresser à Dieu emploie comme les disciples dans la Bible, le substantif « Maître ». Un tel substantif de supériorité prouve à suffisance le surpassement du poète en homme ordinaire, celui-ci revendique sa mission de serviteur dont le rôle cardinal est de prêcher le Salut aux humains, de ramener à Dieu les brebis perdues, de purifier les âmes tout en restant plongé dans le respect des principes divins. Ce recueil est l’accomplissement pratique de son ordination presbytérale. Il est initiatique et ravive sa relation avec Dieu. On y découvre quasiment un champ lexical important qui renvoie à la religion chrétienne.

De ce fait, Rose crucifiée est une sorte d’évangélisation sous forme poétique. Notre Abbé-poète interprète les Saintes Ecritures à travers la crucifixion de Jésus Christ qui explique à non point douter, l’aboutissement d’une mission salvatrice, délivrer l’humanité tout entière. S’appuyant sur sa base théologique, il accentue son discours sur cette mort du Christ et ses répercussions sur le rachat des âmes. Ainsi une sorte de prise de conscience se dégage

sur la Grandeur et l’Amour éternel de ce Dieu qui accepta de donner sa vie en holocauste pour la survie des Hommes, tel qu’on peut le lire dans les Saintes Ecritures.

La « rose » est le symbole de l’Amour au sens noble du terme, et cette métaphore s’emploie à exalter cet amour puissantiel, comme principe premier de l’existence. Si « Dieu est amour » comme on peut le lire dans la Bible, c’est que la « rose » ici symboliserait Dieu dans son grand Amour. En clair, ce titre se traduit littéralement comme étant la crucifixion de Jésus-Christ, il rappelle ce sacrifice du Christ sur la croix, et de ce sacrifice, évoque les mesures d’une vie paisible ; aussi invite-t-il l’homme à saisir la portée essentielle de l’humanisme. En parlant de cette crucifixion, le poète esquisse les mystères de la croix tout comme de la résurrection.

Cette omniprésence de la notion d’Amour s’exemplifie dans sa dernière publication Chants de Vénus, à partir de la portée mythologique qu’il assigne à ce titre. « Vénus » comme déesse de l’amour, permet à la fois de réfléchir sur l’impact des mythes sur le monde actuel et de comprendre que rien de constructif ne peut se faire sans amour. Mais par-delà tout, il est question de l’amour éternel. Or l’amour définit la vie et atteste la présence de l’Esprit Saint.

Cette postulation ecclésiastique du poète – discursivité plurielle sur la foi –, réinvente la vie et réhabilite l’homme en général, marqué par un fort désir de recrudescence. Le poète est très attaché à ses souvenirs, et les dates en bas de chaque poème, informe mieux sur son itinéraire créatif.

  1. La poésie évangélisatrice

Le poète ne m’empêche de manifester sa foi en Dieu Tout Puissant, en perpétuant son œuvre car témoin et représentant de la Parole divine. En se révélant au monde sous la casquette de poète, c’est surtout dans le souci de réaliser sa mission ecclésiastique avant de décrire les profondeurs de son cœur, son lyrisme. L’œuvre poétique s’appuie sur les Saintes Ecritures, allusions et références y sont faites comme la marque d’une écriture-prédication. Ecrire pour lui, devient comme l’acte de lire la messe. D’où cette dimension homilétique, qui a pour mission majeure d’évangéliser, de conscientiser et de faire prendre conscience des mystères de l’au-delà. La purification de l’âme ici, passe d’abord par la repentance et la foi en Dieu Créateur. L’omniprésence des traces bibliques témoigne la connaissance théologique du poète, fruit de ses longues années de formation au grand séminaire Emile Biayenda, où

d’ailleurs, ont été rédigés la plupart de ses poèmes, tel qu’on peut s’en rendre compte à travers les dates données à la fin de chaque poème. Dans la littérature congolaise, c’est Jean-Pierre Makouta-Mboukou qui dans ses romans, semble présenter cette dimension théologique dans l’écriture : une quête d’évangéliser et la fiction devient le lieu et le moment de cette prédication indirecte.

Cette évangélisation devient urgente dans la mesure où l’Abbé-poète s’oppose de certaines réalités sociales actuelles. L’urgence d’une parole salvatrice pour le salut des peuples, ainsi se lit en majorité la plupart de ses poèmes :

Prêchons l’Amour de Dieu

Pour vaincre le tribalisme

Notre labyrinthe

Qui martyrise l’histoire de notre patrie.

Rose crucifiée, « …Evangélisons-nous… » (p42)

« L’amour de Dieu » devient une nécessité, une possibilité de rompre avec notre propre animalité, sortir des ténèbres pour s’ouvrir aux autres. Ainsi son œuvre homilétique perpétue-t-elle, sinon l’œuvre biblique, du moins rend compte des vertus existentielles permettant à l’homme de manière générale, d’hériter le royaume des cieux. Les mots ici reflètent le progrès qui aurait pour socle l’amour. L’amour comme fondement de notre existence, « Dieu est amour » dit-on. La mission du poète ici est d’amener le peuple à sa propre repentance afin de porter les indices de cet amour céleste, source d’harmonie sociale et du développement mental et matériel. Car rien ne peut se faire sans amour, l’Amour de soi et des autres. Cet hymne à l’Amour se lit également dans Chants de Vénus. En promouvant l’amour, le poète fustige les comportements barbares, l’ignorance qui fait oublier à l’homme les valeurs coercitives le liant aux autres.

  1. Conclusion

Mais toutefois, il convient d’affirmer que le lyrisme patent du poète essaie tout au moins d’interpréter les muses, c’est-à-dire le poète reste sensible au bruissement de la nature et de la société. La poésie devient fantasmatique par un jeu important de l’inconscient. L’écriture poétique de Neil Davis Batchi se veut un champ ouvert, véhiculant une philosophie

de la vie qui procède par la croyance à un Etre supérieur censé être Créateur du Ciel et la Terre. Ce chant sur le salut des hommes fait à ce que son œuvre soit considérée comme une Bible en miniature, d’où le sens de la postulation ecclésiastique.

rosinloemba@gmail.com

[1] Neil Davis Batchi, Rose crucifiée, Brazzaville, L’Harmattan-Congo.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *