RD Congo. Fuka Unzola ou ce héros Kongo d’août 1998 à Matadi

RETRO. Aux dernières heures du régime du Maréchal Mobutu, le gouvernorat du Kongo Central (jadis appelé Bas-Zaïre) va connaitre une grande effervescence. Après le décès de Me Bieya Mbaki et l’intérim de Mvuma Ngieti, l’honorable Mbenza Thubi sera nommé gouverneur mais il ne fera que quatre jours.

Les événements vont se précipiter avec l’avancée des troupes rebelles de l’AFDL et au regard de la position stratégique du Bas-Congo, le maréchal Mobutu se sentira obligé de nommer gouverneur, un homme de poigne en la personne de l’Amiral Liwanga Mata Nyamunyobo qui y restera durant un petit mois jusqu’à la chute de Mobutu en mai 1997.

Quelques semaines après que l’AFDL soit entrée dans la capitale congolaise et que Mzee ait prêté serment, des élections provinciales sont organisées au stade Lumumba de Matadi sous la supervision de Mwenze Kongolo et de Modero Kinkela Vikansi. Le stade est noir du monde et plusieurs candidats se bousculent au portillon dont le plus célèbre Eric Koyongo, un jeune ancien étudiant en sciences politiques et administratives de Lubumbashi mais c’est le plus populaire parmi eux : Léonard Fuka Unzola qui sera voté à l’unanimité de la foule en délire.

Ce nouveau gouverneur va révolutionner les méthodes de gestion de la province par une grande proximité avec ses administrés et par son style de vie personnelle fait d’humilité, de simplicité, du sens de l’écoute, de l’amour du prochain et de la volonté de servir le peuple tel qu’il l’avait été lorsqu’il fut jadis bourgmestre de la commune de Nzanza.

Son mandat sera parmi le plus prolifique en actions sociales. Il sera comptable de l’érection des infrastructures immobilières telles l’annexe construit derrière le gouvernorat occupant le service de la phonie, le secrétariat, le bureau des archives et d’autres cellules mais aussi le projet de droit de péage sur la nationale Matadi-Kinshasa et la remise à niveau des infrastructures routières notamment le tronçon allant de la garde de train jusqu’à place Métropole, le tronçon de route Baobab de l’Epom à l’Ep Tuzolana à Nzanza bien avant que la Banque mondiale achève les travaux.

C’est aussi le gouverneur FUka qui lancera les travaux de bétonnage de la route Nkala-Nkala à Matadi , l’asphaltage de la route de Dinalo à Boma et surtout la remise en état de nombreuses routes de desserte agricole comme celle vitale qui relie Kisantu à Kimvula avec l’objectif de désenclaver les zones reculées de la province.

Sous Fuka Unzola, les habitants du Kongo Central avaient un réel sentiment de vivre l’âge d’or de l’administration de leur entité provinciale. De nombreux témoignages circulaient et d’après lesquels beaucoup d’individualités ou des groupes associatifs en difficultés de fonctionnement couraient à la porte du gouvernorat et n’en sortaient jamais sans solution concrète.

Seulement voilà ! Cette prospérité ne durera pas longtemps. A Kinshasa, se manifestent de premiers signes évidents de couacs au sein du système AFDL qui a pris le pouvoir sous peu. Dans les coulisses, de nombreux groupes tentent de s’accaparer du pouvoir, notamment les débiteurs étrangers, désireux de garder leur influence jusqu’au plus haut sommet de l’État. Par ailleurs, la présence ostensible des Rwandais dans la capitale irritait au plus haut point les Congolais qui commençaient à voir Kabila comme le jouet de puissances étrangères.

Mzee L.-D- Kabila pris entre deux feux commença à distiller de-ci de-là des phrases assassines indiquant qu’il était prêt à mettre un terme aux accords signés à Lemera avec ses alliés rwandais et ougandais. Les tensions atteindront de nouveaux sommets le 14 juillet 1998 quand Kabila poussera à la démission son chef d’état d’état-major James Kabarebe tout en le remplaçant par un congolais. Deux semaines plus tard, soit le 27 juillet de la même année, Kabila rompt les accords diplomatiques avec le Rwanda et demande officiellement le retrait du pays des forces militaires rwandaises et ougandaises. Dans les 24 heures qui suivirent, les conseillers militaires rwandais furent évacués sans ménagement de Kinshasa.

Pendant que le climat politique se détériore dans la capitale, au Bas-Congo, on était loin de savoir qu’au mois de mai 1998 soit deux mois avant son limogeage, James Kabarebe avait pris la précaution de nommer comme commandant de la Province du Bas-Congo, un certain Dieudonné Kabengele, né d’un père militaire (commandant Amundala) originaire de la province orientale et d’une mère moitié kasaienne, moitié belge. C’est un kinois de Bandalungwa, baroudeur et qui a grandi dans la brutalité et la soif d’aventures. Et c’est sur ces entrefaites qu’en 1994, Dieudonné Kabengele sera recruté par le camp des Tutsis rwandais opérant en catimini à Gombe et suivra des entrainements militaires dans des camps de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) jusqu’à accéder au rang d’officier en 1996.

Il deviendra un très proche de Paul Kagame et il est dit qu’il sera chargé de la formation de jeunes militaires rwandais dont le jeune Hippolyte Kabange. En 1996, il va rejoindre la révolution de Mzee Kabila et fera partie du bataillon Zulu qui va gagner Kinshasa en mai 1997. Dans les jours qui suivront, Dieudonné Kabengele sera nommé à la tête de la DMIAP (Direction Militaire des Activités Anti-Patrie) puis Commandant de la ville de Kinshasa et finalement en mai 1998, quelques mois avant la formation de RCD de Ruberwa, il exercera le rôle de commandant en chef du bataillon Zulu et c’est à ce titre qu’il sera affecté à Matadi pour superviser des opérations militaires dans cette province.

Sa mission principale consistera à préparer le terrain à l’arrivée aux forces militaires rwandaises par la porte du Bas-Congo. Le commandant du bataillon Zulu, D.kabengele, ne voulait pas que le commandement de la région militaire du Bas Congo s’installe à Matadi. Il s’y opposera catégoriquement dès son arrivée à Matadi. Pour lui, le commandant de région militaire, comdt Nzolowe et son adjoint le commandant Kassongo Mississipi devraient s’installer à Boma. L’on comprend mieux aujourd’hui pourquoi le comdt Kassongo de Moanda était à cette époque commandant de la ville de Matadi. Mais Kabengele ira très loin dans sont travail de sape des institutions : il commencera donc par éliminer un à un, tous les officiers gênants, en commençant par le commandant Kassongo, originaire de Katanga et proche de Mzee L.-D- Kabila.

Ne se doutant de rien sur la fausse rébellion qui venait d’éclater à Goma le 2 août 1998 et sur les ramifications qu’elle pourrait avoir sur sa la stabilité de sa province, le gouverneur Fuka Unzola continue inlassablement son travail d’administration provinciale. C’est le 3 août 1998 que le commandant Kassongo licencié manu militari par Kabengele vient voir le gouverneur dans ses bureaux, lui racontant la relation des faits de son licenciement sans préavis. En bon gestionnaire responsable, le gouverneur va convoquer le commandant Dieudonné Kabengele à qui il donnera l’ordre de réintégrer le commandant Kassongo à son poste.

En retour le commandant Dieudonné Kabengele demandera au gouverneur de lui prêter sa jeep car il avait une « mission » à effectuer à Moanda et le gouverneur Fuka Unzola la lui accordera sans savoir que son collaborateur était en route vers Moanda pour accueillir des troupes aéroportées venant de Goma et qui allaient atterrir le lendemain à Kitona le 4 août 1998 à 11 :30. Le 7 août suivant, les rebelles prennent le contrôle de Muanda et de la base navale de Banana dans le Bas-Congo, coupant efficacement les principales voies d’approvisionnement de Kinshasa depuis le port de Matadi. Le 11 Août 1998, l’ordre est enfin donné de progresser vers Kinshasa. Le 13 août 1998, les rebelles prennent le barrage hydro-électrique d’Inga dans le Bas-Congo, ayant ainsi le contrôle sur l’approvisionnement en électricités dans Kinshasa.

Les rebelles arriveront à Matadi le 14 Août 1998 et le bac à sac, ce terme militaire qui veut dire la carte géographique qui devrait aider ces rebelles à parcourir de Matadi à Kinshasa suivant la voie ferrée sera dressée par les commandants Izua et Pele-Pele sous ordre du commandant Kabengele. Car ce n’est qu’à Luila que James Kabarebe le rejoindra pour inspecter l’avancement des travaux. C’est seulement après que le commandant Ougandais BUGEMA, chef de l’opération, ait trouvé la mort à Songololo que Kigali ordonnera à Dieudonné Kabengele de jouer le rôle du défunt. Dieudonné Kabengele deviendra alors chef des opérations militaires, secondé du Rwandais BUTERA. C’est sous ses ordres qu’une fois arrivés à N’sanga, le mot d’ordre sera donné au commandant Mwayina Nduwa qui était à Matadi de couper l’électricité d’Inga pour permettre aux rebelles d’entrer par Masina et d’occuper l’aéroport de Ndjili.

Pour revenir à l’actualité du gouvernorat de Matadi, ce fut un moment de grande épreuve. Le gouverneur Léonard Fuka Unzola assiste à des trahisons de haut rang. Son proche collaborateur en matière de sécurité provinciale et à qui il venait de céder sa jeep en signe de confiance change de camps ou plutôt lui dévoile qu’il travaillait déjà pour le camp ennemi. Et ce n’est pas tout. Les troupes militaires gouvernementales encore en positionnement à Matadi abandonnent leurs treillis militaires pour se réfugier à la cité. Le gouvernement central n’émet aucun ordre ni son chef hiérarchique, Gaëtan Kankudji, l’alors Ministre de l’Intérieur, qui était déjà entré dans la panique de fin du règne.

Fuka Unzola était abandonné à lui-même, exposé face à une armée rwandaise aguerrie qui avançait sur Matadi et face à sa hiérarchie dépassée par la situation et sans aucun plan sécuritaire au profit de la province. Il lui restait pour ce faire deux alternatives : ou celle de fuir pour sauver sa propre vie ou encore celle de rester même si pour cela il fallait mourir pour le bien de ses administrés. C’est cette deuxième option qu’il adopta avec une grande maestria diplomatique résumée dans cette formule digne de la sagesse kongo et restée dans la mémoire de la province: « Wamana kuela mama, u tata kuani » (« Si tu épouses ma mère, tu es aussi mon père »).

En bon fin connaisseur de la chose politique du pays, Léonard Fuka Unzola avait très bien pris le temps de mesurer les rapports de forces en présence et de l’incapacité du pouvoir de Mzee de défendre sa province. Il avait compris qu’opposer une résistance armée dans ces conditions était fatale. Il passera ainsi en personne à la radio et à la télévision provinciale pour expliquer d’une manière subtile à ses administrés de quelle manière il fallait rester malin face aux nouveaux venus de Goma pour limiter des dégâts humains et matériels. Sa diplomatie du moment consistait donc à sauver la vie de ses administrés en les poussant de faire semblant de bien accueillir les troupes ennemies. Cette sagesse sera très payante et va épargner des massacres inutiles à la province. Les troupes rwandaises de RCD ne sentant aucune résistance locale vont mettre le cap sur leur véritable objectif politique qu’était la prise de Kinshasa, le siège des institutions et du pouvoir en RDC.

Lorsque les troupes angolaises et zimbabwéennes arriveront le 21 août 1998 à Kinshasa et au Bas-Congo pour renforcer l’armée gouvernementale, l’Angola occupera Muanda qui était la base-arrière des rebelles de RCD qui, eux, seront pris en sandwich entre deux feux et n’auront d’autre solution que de battre en retraite dans une grande débandade.

Il fallait attendre le 30 août 1998 pour que les troupes gouvernementales et leurs alliés reprennent le port de Matadi et le barrage hydro-électriques d’Inga dans l’ouest de la RDC. Le retour du pouvoir central à Matadi occasionnera la purge dans le rang de l’administration provinciale. Alors que c’était connu de tous que le pouvoir central n’avait rien fait pour venir en aide à la province prise sous les feux de l’ennemi, voilà que maintenant pour se laver de l’opprobre, il s’emploie à couvrir ses lacunes en punissant des boucs-émissaires. C’est alors que le Gouverneur de Province, Léonard Fuka Unzola, le Directeur de Province, Augustin Massibu Kundi Ay Mataya et d’autres autorités urbaines seront aux arrêts. Ils seront internés à la Prison de Makala à Kinshasa et tous leurs administrés dont je faisais partie vont se relayer chaque jour à la prison de Makala pour leur rendre visite et leur témoigner de leur affection et leur soutien.

La province du Bas-Congo qui n’avait jamais connu des guerres proprement dite restera très meurtrie par ce conflit et par l’injustice que le pouvoir de Kinshasa fera subir à ses autorités qui n’avaient jamais abdiqué à des moments des plus difficiles. Pendant ce passage à vide, le Chef de Division en charge de l’Administration, Antoine Lusilawo Nlemvo aura la charge de diriger la Province jusqu’à l’arrivée en 1999 de Séraphin Bavuidi Babingi, médecin en fonction à la Gécamines à Lubumbashi qui sera nommé en remplacement de l’icône provinciale Léonard Fuka Unzola qui vient de quitter la terre des hommes à l’age de 83 ans et à qui nous rendons un vibrant hommage pour tous les bienfaits accomplis en faveur de la province du Bas-Congo tour à tour comme bourgmestre de commune de Nzanza, comme gouverneur de Province et enfin comme ministre provincial chargé de l’Intérieur, Sécurité, Ordre public et Décentralisation sous le mandat de feu Monsieur le gouverneur Mbadu.

Ce 28 décembre 2023, soit ce cinquième anniversaire de son trépas, les Ne Kongo nourrissent l’amer sentiment d’avoir perdu un digne fils kongo et plaise au ciel que parmi les jeunes, en émergent beaucoup d’autres animés de cette nouvelle conception du pouvoir comme service du peuple et de ce même esprit de dévouement sans ménagement pour la noble cause de la Mère-Patrie!

Par Germain Nzinga

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