PARLONS-EN. Le monde entier se souvient ce 22 février 2023 de la mort du leader angolais Jonas Savimbi dit « il gallo nero » (le coq noir). La plupart d’analystes ont souvent abordé son action politique dans la confrontation directe de l’UNITA qu’il dirigeait contre le MPLA conduit sous la houlette d’Agostino Neto puis d’Edouardo Santos.
La présente étude a choisi d’aborder la geste politico-militaire de ce leader angolais sous le prisme de ses accointances avec le régime du Maréchal Mobutu depuis ses heures de gloire jusqu’à sa chute qui ouvrira la porte à l’AFDL. Ce qui a attiré notre attention, c’est cette découverte d’après laquelle l’actuelle médiocrité des politiques congolais a plutôt une longue histoire et plonge ses racines dans le passé lointain de cette république à démocratiser. Pour bien l’illustrer, allons relever, dans les lignes qui suivent, les turpitudes des politiciens zaïrois/congolais qui ont laissé un goût amer à Jonas Savimbi.
1. L’étrange visite de la délégation de Likulia à Huambo
En ce mois d’avril 1997, la crise politique bat son plein en Rdc (ex-Zaïre) et le régime du Maréchal Mobutu est en train de vaciller. Lubumbashi et Mbuji-Mayi, les deux poumons économiques de trésor public zaïrois sont tombés après Kivu, Goma, Kindu, Kisangani. La menace devient plus forte, se rapprochant tojjours davantage de Kinshasa, le siège du pouvoir. Le grand Léopard longtemps en soins médicaux en Suisse décide de regagner le pays pour remettre de l’ordre dans la boite.
Contre toute attente de voir Mobutu respecter les accords de la CNS en remettant Etienne Tshisekedi à la primature, le maréchal élève, le 12 avril 1997, le général Likulia au rang de Premier Ministre en lieu et place de Kengo wa Ndondo. Ce nouveau nominé est ancien professeur de droit à la Faculté d’Aix-en-Provence et bénéficie de tous les soutiens du gouvernement français via le puissant réseau Pasqua. Soit dit en passant, cinq semaines plus tard, après la chute de Kinshasa, il sera accueilli dans l’ambassade française et celle-ci le fera fuir discrètement sur Brazzaville puis, lorsque les troubles éclateront dans la capitale congolaise, vers Paris, via l’opération Pélican.
Fermons cette parenthèse. Dès sa nomination, le général Likulia tient à trouver une solution forte contre l’avancée des troupes de l’ADFDL en levant des décisions de haute portée stratégique. Primo, il maintient le général Mahele à son poste de chef d’État-Major général des FAZ et lui confie en outre le portefeuille de la Défense, malgré l’hostilité de Mobutu qui le sait être en intelligence avec l’ambassade américaine et les forces ennemies de l’AFDL. Secundo, il décide de prendre langue avec le leader de l’UNITA pour venir appuyer la Division Spéciale Présidentielle.
Pour ce faire, le nouveau premier Ministre envoie une délégation d’officiers congolais à Huambo, le siège du pouvoir de l’UNITA pour solliciter aussi bien le soutien de ses troupes militaires que son expertise personnelle pour étudier ensemble comment stopper l’avancée des troupes de Kabila à Kenge. Jonas Savimbi qui a écouté attentivement le briefing de la délégation agrée quasi les deux demandes. Et au moment où il leur demande de déployer une carte opérationnelle pour mettre au point un plan de défense et d’attaque, il s’avise qu’aucun officier délégué chez lui ne fut en mesure de lui en fournir une. Jonas Savimbi contient sa déception par respect de son allié Mobutu.
Au moment de congédier la délégation desdits officiers zaïrois, un des leurs demande au chef de l’UNITA de lui parler en aparté. Il lui sort alors des propositions concrètes du tout nouveau Premier Ministre pour pouvoir négocier le marché de diamants. Et chose ahurissante : ce négociant de diamant qui faisait partie de la délégation stratégique des officiers n’était point un militaire mais plutôt le fils propre du nouveau Premier Ministre, le général Likulia.[1] Celui-là même qui dans son discours de prise de pouvoir promettait de « gouverner autrement… de tenir compte dans la gestion de la chose publique de l’intérêt général (…), de s’ouvrir vers les couches les plus démunies (…), d’abolir toute stratification sociale(…), de bannir toute forme de privilège ou d’impunité, toute exclusion sociale. » [2] Savimbi broya du noir avec des officiers qui préparent une guerre sans aucune carte opérationnelle et avec un Chef de gouvernement qui au plus fort de la guerre qui a déjà conquis plus du 2/3 du territoire national a encore le culot de se préoccuper à faire son business personnel.
2. Les FAZ se mettent à tirer sur le contingent de l’Unita venu à leur rescousse…
Dans les années 1990-97 qui ont fait suite à la fin de la guerre froide et à la disparition de deux blocs issus des accords de Yalta, il se déroule une véritable recomposition géopolitiques de l’Afrique centrale et australe. L’empire américain désormais l’unique puissance mondiale après la chute de l’ex-URSS trouve le moment propice pour imposer la Pax Americana reposant sur les deux socles ci-après: la sécurité internationale qui doit partir des USA puis le socle économique et financier chargé de placer le dollar au centre de l’économie du monde globalisé. Sans se douter que les deux socles sont appelés à s’alimenter intrinsèquement dans ce sens que toute la sécurité mondiale est désormais placée sous le service de la croissance de l’économie américaine. Comme je l’écrivais « l’objectif premier, c’est de se faire un Léviathan militaire pour pouvoir trouver la puissance économique d’administrer le système globalisé à partir de Washington »[3].
C’est également dans ce nouvel environnement géopolitique que l’administration Clinton décide de lancer le nouveau credo politique « Traid not aid » (le commerce et non l’assistance) en vue de lancer dès juin 1997 l’initiative africaine. La nouvelle politique yankee ne venait point soutenir le vent de démocratisation qui soufflait sur le continent africain depuis la conférence de La Baule tenue sous la houlette de François Mitterand. En réalité comme nous le fixeront Michel Collon et Grégoire Lalieu, « dans ces guerres yankees, ce n’est point l’Al Qaida qu’elles combattent mais la démocratie »[4].
Et cela se vérifiera dans la nouvelle ligne de conduite de Washington quand il s’agira de vouloir se débarrasser de ses anciens alliés politiques devenus encombrants tels Mobutu et Savimbi en s’appuyant sur un nouveau modèle de leadership politique comme Paul Kagame et Yoweri Museveni tous deux assujettis à son plan de conquête des espaces territoriaux africains pour se donner via la sous-traitance de ces nouveaux alliés, la mainmise totale sur les ressources minérales africaines.
Jonas Savimbi sent le changement de la direction du vent politique et, en 1994, il accepte de se mettre autour de la table de négociation à Lusaka pour signer des accords de paix avec le MPLA qui se traduiront par la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale. Mais le jour même où devrait se concrétiser la mise sur rail de ce nouveau gouvernement, Savimbi jugeant que sa sécurité n’était pas assurée, n’assistera pas aux cérémonies d’investiture à Luanda, malgré son statut de leader du principal parti d’opposition». [5]
Savimbi a eu le flair politique d’établir un parallélisme entre le lâchage de Mobutu par Washington et le rapprochement de ce dernier avec le pouvoir de Luanda pour des intérêts d’exploitation pétrolière. Il avait compris que son salut n’était pas dans le gouvernement de Luanda où il sera condamné de mourir à petit feu mais bien dans le soutien à porter aux troupes de Mobutu pour conforter ses basses-arrière nécessaire à l’approvisionnement en armes et munitions. C’est sur ces entrefaites qu’il décidera d’envoyer ses troupes combattre à Kenge.
Le constat que feront les Nations Unies à propos de la démobilisation des troupes de l’UNITA est porteur d’un message fort révélateur. « Les 63.000 combattants recensés dans les centres de rassemblement apparaissent bien jeunes et les observateurs estiment que 25.000 combattants chevronnés, dont 4.000 vétérans de la lutte, manquent à l’appel. »[6] Jonas Savimbi en bon stratège ne se fiait point de l’apparente bonne foi des autorités de Luanda et tenait à assurer ses arrières en gardant les meilleurs soldats de ses troupes. Ce sont ces derniers qu’il enverra au front pour affronter l’Alliance Démocratique des Forces de Libération (AFDL) aux côtés des ex-militaires rwandais et de la Division Spéciale Présidentielle.
Pendant Luanda venait d’envoyer une délégation à Lubumbashi aller rencontrer la hiérarchie de l’AFDL, il souhaitait certainement tirer profit de l’offensive de l’Alliance pour faire coup double : tenter de liquider les bases arrière de l’Unita qui se trouvaient au Shaba, et renvoyer dans leur pays les descendants des gendarmes katangais des années 60, des combattants aguerris qui furent souvent placés en première ligne, mais qui pourraient devenir quelque peu encombrants en période de paix, Savimbi de son côté savait pertinemment bien la partie liée entre la survie des troupes de Mobutu et le futur des siennes propres. Dans les calculs de Luanda, une éventuelle victoire totale de l’Alliance privera l’Unita de sa base arrière militaire, mais aussi coupera les circuits d’exportation du diamant qui représente la principale ressource des zones toujours occupées par les partisans de Savimbi.[7]
Alors qu’échouent à bord du navire sud-africain l’Outeniqa les pourparlers de la dernière chance et que l’AFDL se trouve déjà à la porte de Kinshasa, Le gouvernement de Kinshasa fort de promesses reçues de l’Unita promet d’opposer une foudroyante contre-offensive militaire. L’ennemi est à deux cent cinquante kilomètres à l’est de la capitale mais la Division spéciale présidentielle tente un baroud d’honneur autour du verrou de Kenge. La DSP a touché de nouvelles armes, achetées grâce justement à un don du chef rebelle angolais Jonas Savimbi – on parle de 20 millions de dollars, dont la moitié aurait été détournée par l’entourage de Mobutu -, et bénéficie du renfort d’environ quatre mille combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) et des bataillons des ex-FAR rwandais.
Soudain, c’est la surprise : pour la première fois depuis le début de leur offensive, sept mois auparavant, les troupes de Kabila et leurs conseillers ougandais, rwandais et angolais sont très sérieusement accrochés. Postés sur la barrière naturelle offerte par les rivières Wamba et Bakali, les Zaïrois et leurs alliés déciment des colonnes entières de l’AFDL. Au camp Tshatshi, la famille du maréchal se prend à rêver d’un retournement de situation.
En fait, selon le journaliste François Soudan, « le handicap majeur des hommes de Kabila est leur méconnaissance totale du terrain : ils ne disposent pas de cartes d’état-major et ignorent tout du dispositif de l’ennemi. Le seul moyen de contourner les positions de la DSP et de l’UNITA est qu’une « cinquième colonne » tapie dans le camp d’en face les renseigne. En deux ou trois appels sur sa ligne protégée, le général Mahele fournit aux chefs militaires de l’AFDL les informations précises qui leur permettent de prendre à revers le dernier carré des mobutistes. »[8]
Les troupes de Savimbi aguerries au combat se mettent en première ligne pour adouber la DSP. Pendant qu’elles étaient en train de faire subir un sérieux revers sur les forces ennemies, elles seront surprises de voir leurs alliés FAZ tirer sur leur dos. Du jamais vu dans l’histoire mondiale de la guerre! Pourtant le Congo est un pays de mystères… Les ordres de tirer sur les alliés émanaient de Kinshasa, plus précisément de l’état-major général des FAZ qui venait de faire un virage à cent quatre-vingts-dix degrés en prenant désormais faits et causes pour le camp ennemi. Dans une stratégie de dispersion et de reconstitution, les troupes de l’Unita ont évité le pire et ont rebroussé chemin, reprenant la direction de l’Angola. Au grand dam et au plus grand étonnement de Jonas Savimbi animé d’une ferme volonté de sauver son ami Mobutu pour se sauver soi-même. A partir de ce jour de débâcle autoprogrammé des FAZ en cette première moitié de mai 1997, Kinshasa était devenu une ville ouverte et à la merci de l’ennemi.
3. La cache d’armes déjà mise aux enchères par les proches de Mobutu
A partir du moment où le général Mahele livrait sa propre armée à l’ennemi, le régime de Mobutu s’écroulait comme un château de cartes. Des réunions de dernière heure se multiplieront au Camp Tshashi mais sans aucun résultat palpable. D’abord celle autour de Mobutu de tous les généraux de FAZ qui poussent subrepticement Mobutu à sa démission et à qui Mobutu en bon félin rétorque par sa volonté d’un bon soldat de demeurer au front. Puis la seconde le soir du 15 mai 1997: celle composée exclusivement des généraux ngbandi à qui il annonce son départ pour Gbadolite.
Le vendredi 17 mai 1997, des colonnes des soldats de l’AFDL, sans coup férir, font leur entrée triomphale dans la ville de Kinshasa. Ce jour là, de Limete où nous habitions, tout ébahis, nous étions témoins de la fin du long règne de Mobutu et du début d’un nouvel ordre politique dont on n’imaginait guère encore la cruauté et l’aliénation de notre sol et sous-sol.
Selon le témoignage poignant recueilli par François Soudan[9], à Gbadolite où venait d’atterrir le maréchal Mobutu, c’était la panique. Lorsqu’ils apprennent la nouvelle de l’assassinat de Mahele, les militaires mbunzas de la garnison toute proche de Kotakoli se soulèvent. Leur objectif : s’emparer de Mobutu et de sa famille et leur faire « payer » l’outrage.[10] Mais il y a encore un tout dernier petit cercle restreint de Mobutu qui lui restait cependant fidèle. Il s’agit par exemple du colonel Mutoko, du Major Ngani et d’Adjudant-chef Matshanza respectivement chargé de la sécurité personnelle de Mobutu et son conducteur. Le colonel Mutoko informe le maréchal de l’imminence de l’attaque du palais de Kawele par ses propres troupes et qu’il fallait partir de toute urgence. Mobutu s’entête : « Je suis un militaire, je me battrai jusqu’au bout ».[11] Mutoko lui fait valoir qu’ils étaient dans l’impossibilité de le défendre et d’assurer sa sécurité pour la simple raison qu’ils n’avaient pas d’armes. Et c’est alors que Mobutu pose avec stupéfaction cette question : « Et les armes de Savimbi ? », faisant allusion à l’impressionnant stock constitué par le chef de l’UNITA à Gbadolite afin d’échapper à l’opération de désarmement menée en Angola sous les auspices de l’ONU.
La révélation que lui fera son aide de camp crucifiera le dernier espoir du Maréchal. « Depuis que votre neveu, le major Movoto Sese, les a planquées quelque part en Afrique de l’Ouest avec votre accord, il n’y a plus rien »[12] lui explique poliment Mutoko. Mobutu est effondré tout autant que le sera son allié angolais Jonas Savimbi qui sait désormais qu’il ne pourra plus attendre grand-chose de Gbadolite en terme de renfort en armes et en munitions pour pouvoir se défendre contre les assauts de plus en plus répétés de Forces Armées Angolaises (FAA).
Le désespoir est immense. La panique totale au palais présidentiel. « Alors, c’est la fin », murmure Mobutu contrairement à son habituelle résistance à toute épreuve. Il se pose l’ultime question pour pouvoir sortir du tunnel « Fuir, mais comment ? » mais il n’a aucun début de réponse. Lâché par ses proches collaborateurs et son armée, trahi par ses plus proches membres de famille ayant pris l’habitude d’agir en son nom sans qu’il en ait réellement donné l’ordre, le maréchal venait d’être informé que le commandant Mukandela envoyé à Brazzaville avec ordre d’en ramener son fils Kongolu, refusait de redécoller de la capitale congolaise pour Gbadolite. Il était, disait-il, lui et son Boeing, à la disposition des nouvelles autorités de son pays. L’unique solution qui lui restait était celle d’embarquer dans un vieil Antonov cargo appartenant à Jonas Savimbi, piloté par des Ukrainiens.
Le temps presse : la colonne des mutins venus de Kotakoli approche. Nzanga et Mutoko doivent pratiquement soulever le Maréchal pour le mettre dans une voiture Mercedès qui s’engouffrera dans un blindé en vue de le sauver de la vindicte populaire des soldats en colère.
Le blindé roule à tombeau ouvert dans les rues désertes de Gbadolite, puis sur la piste où l’Antonov chauffe ses réacteurs. Par la passerelle ouverte, il entre directement dans le ventre de l’avion. Pendant que des coups de feu tirent sur l’avion transportant le président Mobutu et que les impacts de balles réussissent à déchirer un morceau de l’aile de l’Antonov qui met le cap vers Lomé au Togo, Mobutu comme momifié murmure une phrase à son médecin personnel, le docteur Diomi : « Même les miens me tirent dessus, je n’ai plus rien à faire dans ce pays, ce n’est plus mon Zaïre. » Le léopard se sait désormais vaincu puis se replonge dans un grand mutisme.
Seul le témoignage d’Honoré Ngbanda dépêché auparavant par Mobutu à Lomé nous retrace l’issue fatale de cette fuite : «Le dimanche 18 mai 1997 à 09h00, le gigantesque Illiouchine appartenant à Savimbi atterrit donc au Togo. Le cargo est rempli de malles, de boîtes, de valises, d’objets en tout genre jetés à la hâte dans l’avion. Au milieu de ce désordre invraisemblable, une Mercedes comme engloutie dans une énorme poubelle. Tout à coup, une portière s’ouvre. Lentement, une tête en sort. C’est le Maréchal. Et Mobutu de murmurer: «N’Gbanda, c’est moi…» C’était lui. C’était la fin »[13]. Une fin tragique pour le grand léopard qui a régné trente-deux ans durant sur le ce vaste pays et qui erre désormais sans aucun pays d’accueil. Une fin susceptible d’entrainer de nombreux dégâts collatéraux, notamment sur son allié angolais qui subira une fin encore plus tragique cinq ans plus tard.
4. L’intervention de l’Unita dans les rangs de RCD
Après l’exil de Mobutu à Rabbat au Maroc suivi de son décès le 17 septembre 1997, Jonas Savimbi est de plus en plus isolé sur la scène régionale et internationale, lâché par une grande frange des leaders africains et par ses anciens alliés occidentaux. Après la rupture en 1998 des accords de Lusaka signés entre le MPLA et L’UNITA en 1994, Jonas Savimbi est plus que jamais indexé par l’ONU et se voit se fermer la porte de deux de ses meilleurs alliés stratégiques qui lui restaient, à savoir l’Afrique du Sud et le Zimbabwe. Et comme si ce malheur n’arrivait pas seul, les Forces Armées Angolaises (FAA) multipliaient les attaques au moment où son parti connaissait une grave crise interne qui se soldera par une scission. « Une frange de ses généraux ne lui faisant plus allégeance iront fonder Unita Renovada (l’Unita rénovée) plus modérée et proche du pouvoir de Luanda. »[14]
Lucien Epimi dans une étude bien documentée[15] nous décrit si bien cette page d’histoire de la RDC. Savimbi sentant l’étau se resserrer autour de lui va saisir les nouvelles opportunités de la crise congolaise déclenchée le 2 août 1998 où les 10e et 12e brigades des Forces Armées Congolaises (FAC) entraient simultanément en rébellion, à Goma et à Bukavu, sous les ordres du commandant Jean-Pierre Ondekane, un ancien des Forces Armées Zaïroises (FAZ). Dans sa progression vers Kinshasa, ce commandant militaire affirmera avec assurance : « Avant une semaine ou deux, nous serons à Kinshasa. Nos troupes sont également entrées à Tingui-Tingui et avancent sur Kisangani ».
En effet, de violents combats à l’arme lourde se poursuivaient sur plusieurs fronts à la fois : à Kisangani, à Uvira, plus au sud, et à Kitona qui abritait une importante base militaire au Sud-Ouest du pays. Du Kivu, avec des avions réquisitionnés, les rebelles (dirigés par des officiers rwandais) s’emparaient le 5 août 1998 de l’aérodrome de Kitona et libéraient les 8.000 anciens mobutistes qui s’y trouvaient « en rééducation ». Un pont aérien était organisé entre Goma et Bukavu et amenait des hommes et du matériel, dont des troupes ougandaises et rwandaises. Les rebelles auraient ouvert un nouveau front à l’ouest du pays en s’emparant de la ville pétrolière de Moanda, sur la côte atlantique, près de l’enclave angolaise du Cabinda.[16]
Les rebelles s’emparaient rapidement de tout le Mayombe en prenant Banana, Kitona, Moanda et Boma. Matadi tombera le 9 août 1998, interrompant ainsi l’approvisionnement de Kinshasa. Le barrage d’Inga tombait dans les mains des rebelles -parmi lesquels un bataillon ougandais- deux jours plus tard, privant Kinshasa d’électricité, avec toutes les conséquences que cela entraînait.
Le régime de Mzee Kabila vacille. Malgré les 3000 militaires basés à Mbanza-Ngungu et les nombreux comités d’autodéfense populaire, rien ne semble résister à la puissance de feu de rwandais et ougandais cachés derrière des faux insurgés congolais.
Face à la grande dégradation de la situation militaire, Laurent-Désiré Kabila vient par ses services de l’ANR avoir entre ses mains une information de haute portée stratégique qui va changer le cours des événements et lui sauvera son fauteuil présidentiel. Il dépêchera auprès de son homologue Edouardo do Santos des missi dominici avec un courrier top secret contenant des informations précises sur « la présence dans les rangs des rebelles rwandais, d’anciens mobutistes et d’une mouvance favorable à l’UNITA, les ennemis intérieurs de Luanda ».
Le 30 août 1998, l’Angola qui était plutôt favorable à la chute de Mzee Kabila change le fusil d’épaule et envoie les forces spéciales angolaises au Congo-Kinshasa à partir de l’enclave de Cabinda pour soutenir cette fois le régime de L-D. Kabila en difficulté face une rébellion interne depuis le début de l’année. L’entrée de l’Angola dans la bataille portait un coup très dur à la rébellion rwando-congolaise. Les insurgés qui menaçaient Kinshasa à partir du littoral atlantique étaient pris à revers par les troupes angolaises qui prenaient l’aéroport de Kitona, point de passage obligé de l’approvisionnement des forces anti-Kabila[17].[18]
Pour la énième fois, l’UNITA sans le savoir ni le vouloir venait cette fois-ci au secours du peuple congolais. A cause de sa présence dans les rangs des troupes rwandaises sous couvert de RCD, les forces armées angolaises vont intervenir, coupant les insurgés de leur QG de Goma. L’ennemi était pris en tenaille entre les FAA et les FAC appuyées désormais par les angolais et les zimbabwéens. La défaite militaire de ses nouveaux alliés et la recomposition politique des alliances qui s’en suivra signeront l’isolement de Jonas Savimbi et précipitera sa chute totale jusqu’à son assassinat.
Kabila venait de gagner la bataille de l’Ouest mais c’est surtout l’Angola qui devait engranger les dividendes de cette victoire militaire qui contribuera à l’émergence d’un nouvel ordre politique régional favorable à Luanda qui se trouvait plus que jamais en position de force à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Le Congo-Brazzaville et le Congo-Kinshasa formaient désormais avec l’Angola un bloc uni par les liens de la conquête du pouvoir dans lequel le régime de Luanda apparaît comme la puissance incontournable.[19]
L’UNITA sera contraint pour survivre de retourner à la guérilla. Luanda de son coté met en place l’opération, baptisée Kissonde, se déroulant sur les rives du fleuve Luvuei, dans la province de Moxico, à l’est de l’Angola. Laquelle opération entre dans le cadre de la « guerre totale » déclenchée depuis 1998 le président José Edouardo do Santos contre la rébellion.[20]
Après ce coup de téléphone fatal passé imprudemment par Savimbi en plein maquis et dont la géolocalisation sera fournie au pouvoir de Luanda par les experts en communication américains et israéliens, le général Wala a pu préparer une embuscade. Il lui suffira simplement d’encercler le bout de forêt où se terrait le « coq noir »[21] et de rétrécir le cercle pour pouvoir le coincer. Il est mort debout ce 22 février 2002 en grand soldat, tirant de ses deux mains avec les deux revolvers, même après avoir déjà reçu une dizaine de balles dans son corps. Savimbi s’effondrera dans la mort avec une double déception très amère. Déçu de son allié zaïrois qui, au soir de son règne, n’avait plus réussi à faire le ménage dans son camp en vue de discipliner ses forces politiques et militaires. Déçu encore plus profondément en lui-même par l’échec de n’avoir pas pu atteindre la magistrature suprême angolaise qui constituait la plus grande ambition de sa vie.
Par Germain Nzinga Makitu
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] H. NGBANDA ZAMBO, Ainsi sonna le glas ! Les derniers jours du Maréchal Mobutu , Ed. Gideppe, 1998, p. 246
[2] Ibid., p.346
[3] G. NZINGA MAKITU, Stratégie de domestication d’un peuple, Paris, Edilivre, p. 205.
[4] M. COLLON & G. LALIEU, La stratégie du chaos. Impérialisme et Islam, Paris, Investig’Action, 2011, p. 309
[5] C. BRAECKMAN, L’Angola règle ses comptes avec Mobutu dans http//www.lesoir.be
[6] Ibid.
[7] A noter que les rebelles avaient déjà annoncé la prise de Tshikapa dans le Kasaï occidental.
[8] Ibid.
[9] F. SOUDAN, L’histoire secrète de la chute de Mobutu dans http//www.jeuneafrique.com
[10] Ibid.
[11] Ibid
[12] Ibid
[13] [13] H. NGBANDA ZAMBO, Ainsi sonna le glas ! Les derniers jours du Maréchal Mobutu , Ed. Gideppe, 1998, p.335
[14] Angola conflitti. Savimbi è finito. La guerra encora no dans http//www.dehoniane.it
[15] L. EPIMI GUAIA, Les interventions militaires de l’Angola dans les deux Congos : enjeux et perspectives dans http//www.desc-wondo.org
[16] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] M.K. TSHITENGE LUBABU, Ce jour là le 22 février 2002, la mort du chef rebelle angolais Jonas Savimbi dans http//www.jeuneafrique.com
[21] « Gallo negro » était en effet le surnom collé à Jonas Savimbi.