Le prophète Simon Kimbangu et l’éminent Koongonologue belge le Père Joseph Van Wing

Le père VAN WING est un missionnaire belge ayant, des années durant, vécu au milieu des Koòngo du Congo démocratique (presque un demi-siècle). Il est auteur des « Etudes Bakongo sociologie, magie et religion » publiées en 1959 aux éditions Désclée Brower. Un remarquable ouvrage qui lui confère la qualité d’un véritable koòngologue compte tenu de sa portée quelque peu encyclopédique.

Son témoignage sur le prophète Taàta Simon KIMBANGU comporte d’innombrables informations sur la fondation même du mouvement kimbanguiste. Il est d’autant plus remarquable qu’il est, lui, missionnaire belge catholique qui, à ce titre n’est ni pour Taàta Simon KIMBANGU ni pour le mouvement qu’il crée.

A ce propos, le père VAN WING paraît, à la fois, un missionnaire et un observateur digne de foi puisque l’église et le pays dont il est originaire sont avec force contre Taàta Simon KIMBANGU. S’il est sans conteste du côté du colonisateur, l’auteur s’efforce toutefois à comprendre le colonisé en cherchant à percer les mystères de son univers conceptuel de l’existence.

Ici, force est de relever que, si les églises protestantes ont été libérales ayant directement ou inversement favorisé la prolifération des églises autochtones de contestation contre la domination du colonisateur belge sur leur sol, il en a été autrement pour l’église catholique.

A l’instar du capucin italien Bernardo Da Gallo, catholique ayant été le cerveau penseur ou l’instigateur acharné en complicité avec son confrère le père Laurent de Lucques dans la condamnation au bûcher de Yaàya KIMPA VITA le 2 juillet 1706, dans la localité d’Evuluvulu, une contrée environnante de Mbaànza Koòngo, l’église catholique de l’époque de Taàta Simon KIMBANGU a été aussi de beaucoup pour sa condamnation. Celle-ci est intervenue par décision en date du 12 septembre 1921 rendue par une juridiction d’exception, en l’espèce un Tribunal de guerre.

Le père VAN WING quoique catholique aura cependant un autre regard sur Taàta Simon KIMBANGU et son mouvement. C’est à ce titre que son témoignage paraît être, peut-on dire, du moins sur certains aspects dignes d’intértêt.

Voici quelques extraits de ce témoignage :

« C’est vers 1881 qu’il vint au monde à Nkamba…Son père était un nganga (féticheur) renommé dans la région, qui comme ses congénères, se livrait à des tremblements et des convulsions, quand il proférait les incantations rituelles que réclame la mise en action d’un nkisi (fétiche). Simon doit avoir été souvent témoin de ces manifestations impressionnantes qui sont sensées signifier que le sujet a été saisi par un esprit. Il a été élevé par une tante très dévouée. Il ne semble donc pas avoir connu sa mère.

Du village paternel il passa à la mission de Ngombe Lutete. Quoique très intelligent et doué d’un remarquable talent oratoire, il n’accéda pas au grade de pasteur. Il évangélisa plusieurs villages à titre de catéchiste…

Dans la besogne monotone de catéchiste, Kibangu…alla faire l’expérience de la vie plus variée et plus libre des cercles Kinshasa et Matadi, où l’on entre en contact avec des hommes et des idées, qui y affluent de tous les coins de l’Afrique et même de l’Europe. Il est possible qu’il y ait entendu parler du mouvement prophétique d’Elie en Nigérie et de celui de Malachie en Uganda. Revenu dans son village en 1920, il avait alors atteint la pleine maturité.

Ce n’est que vingt sept ans plus tard, à Elisabethville, que j’ai pu faire sa connaissance. Après vingt six ans de captivité, il n’avait encore rien d’un vieillard décrépit. Malgré sa corpulence il se tenait encore bien droit et se mouvait avec aisance. Il avait gardé une excellente mémoire et ne laissait nullement échapper le fil des ses idées. D’une voix encore harmonieuse il parlait un kikongo très pur. D’un bout à l’autre notre conversation s’est déroulée dans l’affabilité et la courtoisie, et quand je m’apprêtai à prendre congé, il tint à me remercier de lui avoir fait cette visite et de lui avoir apporté des nouvelles de son pays.

…Nous avons…été amenés à rappeler le souvenir de son mouvement de 1921 et même des thèmes principaux dont il était constitué. Nous n’avons parlé toutefois que d’éléments qui étaient de notoriété publique, notamment de l’interdiction du fétichisme, de la polygamie et des danses de Ngoma (danses habituellement obscènes). Il ne cacha pas la satisfaction qu’il éprouvait à se rappeler ces points. Quand toutefois je fis allusion à l’interdiction pour ses adeptes d’aménager encore des champs de manioc, je le vis sourciller et se récrier vivement : « Ce n’est pas moi qui ai édicté cette défense ». Un peu plus tard il eut une réaction toute pareille, quand je fis mention de la défense faite aux Kibanguistes de payer l’impôt de capitation.

La spontanéité de ces protestations, sans constituer pour moi un argument décisif, m’a cependant sérieusement confirmé dans l’idée que Simon Kibangu avait bien à lui tout seul lancé le mouvement, mais que très tôt il avait eu des codirigeants, qu’il couvrait de son prestige.

…c’est en 1921 vers la fin du mois de mars que nous arrivaient à Kisantu les premiers échos du mouvement : « A Nkamba, dans la Londe, un ngunza (prophète) prêchait des choses nouvelles de Nzambi (Dieu). Il faisait ses exhortations avec une grande force et tremblant de tous ses membres. C’est Nzambi qui lui avait ordonné de répandre la nouvelle doctrine et de guérir les malades. Le ngunza se nommait Simon Kibangu ». Nous apprenions que des foules se rendaient à Nkamba écouter le prophète et lui présenter leurs malades. Bientôt nous vîmes nous-mêmes le long des chemins des groupes de pèlerins, venus de l’intérieur de la région de Madimba et se rendant chez le prophète, jusqu’au mois d’août cette affluence alla en s’amplifiant. La Compagnie du chemin de fer Matadi-Léopoldville fut contrainte d’augmenter le nombre des voitures pour subvenir au transport des voyageurs. A partir du mois de mai, Nkamba hébergeait en permanence jusqu’à quatre mille pèlerins.

…Kibangu avait proclamé trois lois auxquelles il fallait se soumettre sans délai sous peine de sanctions célestes. La première imposait la destruction de tous les fétiches sans exception. Sans tarder, on obtempéra. Les uns jetèrent leurs fétiches dans les rivières, dans la brousse, d’autres les brûlèrent au village…Pour le trésor artistique Bakongo ce fut une perte irréparable. D’innombrables statuettes anciennes ont été irrémédiablement détruites, ainsi que de très nombreux petits tambours à tête humaine, dont les féticheurs faisaient usage dans leurs incantations.

Outre la destruction des fétiches, Kibangu ordonna également celle des tambours de danse appelés ngoma. Les danses soutenues par le rythme des ngoma constituaient alors la principale réjouissance à l’occasion des festivités organisées et même en d’autres circonstances de la vie ordinaire des villages. Danses « du ventre », elles sont toujours érotiques, très souvent lascives et même franchement obscènes. Elles sont l’occasion d’adultères et, par suite, de discordes et de divorces…

Simultanément, nouvelle épreuve de force, il promulgua l’interdiction de la polygamie. Si bon nombre de polygames obtempérèrent en renvoyant leurs femmes « supplémentaires », ils le firent sans réclamer la restitution de la dot et, par conséquent, sans rompre le lien juridique…

Telles furent donc les trois modifications d’envergure que le prophète osa introduire d’autorité dans la vie sociale de ses adeptes. Qu’il fut obéi dans des domaines où la sensibilité du peuple était le plus en jeu, démontre et l’ampleur de son prestige et la force dynamique du mouvement qu’il avait lancé.

Les missionnaires protestants non seulement ne mettaient aucun obstacle à la propagande kibangiste, mais allaient jusqu’à la seconder dans sa marche conquérante, ne voyant en elle qu’une sorte de « revival » semblable à ceux qu’ils avaient vus à l’œuvre au sein de leurs églises dans leur pays d’origine. A leurs yeux Kibangu était un inspiré qui ravivait et exaltait opportunément la foi de leurs adeptes. Ne s’appuyait-il pas sur la Bible, dont il avait toujours un exemplaire en main ? Et son comportement moral, que laissait-il à désirer ? De quel droit lui auraient-ils reproché d’expliquer la parole de Dieu à sa façon, puisque pour eux l’interprétation personnelle constituait la règle unique et le fondement de la foi ?…

Jusqu’à la fin du mois de mai, l’Administration pour sa part n’y voyait qu’une affaire de chapelles dans laquelle elle ne trouvait pas de raison d’intervenir. Dès les premiers jours de juin il apparut toutefois qu’il s’agissait de bien autre chose…

Au début de juin 1921, nous nous trouvions donc en face d’un messianisme organisé, préparé à cristalliser dans son sein la sensibilité religieuse de la population et à déchainer à son profit toutes les forces explosives du nationalisme… » (Le Père Van Wing in “ Zaïre revue congolaise congolees Tijdschrift Belgian African Review” vol. XII -1958 P.566-576

En somme, le Nguùnza, Taàta Simon KIMBANGU est décrit par le père VAN WING comme un personnage très intelligent, doué d’un remarquable talent oratoire, se mouvant avec aisance en dépit de sa corpulence, ne laissant nullement échappé le fil de ses idées, ayant une voix harmonieuse et parlant un kikongo pur.

D’où certainement la signification profonde du nom qu’il porte lequel, est à rapprocher de KI-MBAÀNGULA (synonyme de KI-YINDULA), qui est une technique consistant en une maîtrise parfaite des tournures idiomatiques de la langue KOÒNGO et de son peuple.

Enfin, il était d’une moralité for exemplaire de sorte que sa conduite humaine et sociale était, dans une certaine mesure, la traduction de l’enseignement afro-chrétien qu’il véhiculait.

Telles sont, entre autres, les véritables caractéristiques d’un véritable Nguùnza lequel mot sur le plan de l’étymologie désigne le porte parole du verbe intelligible, le prophète, et qui, chez les Koòngo, reste un référent, un modèle voire un Nkuùlu.

C’est ainsi d’ailleurs que le message de Taàta Simon KIMBANGU, à l’instar de celui d’Emile Cardinal BIAYENDA reste encore d’actualité.

Rudy MBEMBA-Dya-Bô-BENAZO-MBANZULU (TAÀTA N’DWENGA)

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