Le recueil de poèmes de Jean-Baptiste Tati Loutard, Les Racines congolaises, publié en 1968, faisait écho d’une grande poétique d’enracinement et montrait à la lumière d’Aimé Césaire, comment le poète congolais postulait un « retour au pays natal ». Cette poésie du ressourcement marquée par un élan nostalgique, semble se découvrir parfaitement dans Les Roses du Congo, première publication de Prince Habib Lekouelewe.
- Une poésie de l’enracinement
Le thème de l’enracinement remonte de la naissance même de la littérature négro-africaine. Ce thème de par sa récurrence a été occasionné par des réalités historiques liées justement à l’affirmation des traditions africaines. Ainsi donc, certains écrivains africains (notamment les poètes), plutôt que de s’arrimer à des valeurs théoriques et classiques de la littérature française, se sont plus tournés vers leurs origines ancestrales par une exaltation plus ou moins de l’âme noire. Et dans Les Roses du Congo, le jeune poète Prince Habib Lekouelewe tend à renouveler tant soit peu ce thème, en explorant les valeurs culturelles de son Congo natal et de l’Afrique. Mais ce désir patriotique et nationalitaire, s’accompagne d’une poétique de ressassement de ses souvenirs d’enfance. Il semble construire son « royaume d’enfance », en étant tout de même attaché à ses liens de parenté. Déjà le titre en est très évocateur : Les Roses du Congo. Il faut lire ici une quête nationalitaire ; mais au-delà de cette quête, il faut découvrir là un chant de l’espérance sur l’avenir de l’Afrique en général et du Congo en particulier. « Les roses » comme nous le savons, sont explicitement l’expression de l’amour, de la beauté, elles traduisent sans nul doute ce sentiment majestueux que le poète témoigne pour sa patrie. Des poèmes comme « hommage au Congo », « flûte sous le baobab », « patrie », « village africain », sont très expressifs de cet attachement manifeste et inconditionné du poète à ses origines, mais aussi l’émerveillement devant les richesses incommensurables de l’Afrique tant sur le plan culturel que naturel. Loin d’approfondir la thèse sur la place de l’Afrique dans la construction du monde, notamment avec l’affirmation selon laquelle l’Afrique serait bel et bien le berceau de l’humanité, Prince Habib Lekouelewe loue sans ambages les valeurs importantes du continent africain, il montre comment grâce à ses nombreuses ressources naturelles, elle occupe actuellement une place de choix dans le concert des nations. Cependant, ce discours apologétique tend également à dévoiler les responsabilités de l’Africain dans cette stagnation multisectorielle à laquelle il est confronté pour moult raisons.
Il faut également lire là, un appel à l’unification des peuples, à l’harmonie sociale et surtout à l’humanisme. Le poète ne s’arrête pas qu’à cet aspect élogieux, en parlant du Congo par exemple, il exhorte le peuple à un changement des mentalités, à la culture de l’effort afin de contribuer à son développement.
« Congo ! Terre de nos pères, terre de nos mères, unissons ces forces pour lever cette terre […] Congo ! Notre pays soignons-le. Congo pays si grand,
n’oublions pas. Aimons-nous, entendons-nous, entraidons-nous. Que le Congo et nos enfants vivent ! » (pp.38-39)
Il y a effectivement là un désir d’unité nationale qui va générer par la suite le progrès du Congo d’après le poète. En réalité, le poète est conscient de ce que la division, le tribalisme et autres maux barbares, auraient causé du tort au Congo. C’est partant de ces conséquences néfastes qu’il dénonce avec force, une autre manière de croire en le Congo, construire des socles efficaces pour un développement intégral. « Que jaillisse la lumière, l’espoir du lendemain, sans fin que vive le drapeau ! », ajoute-t-il comme pour dire que l’idée d’une nation forte part du refus total de l’ignorance, c’est-à-dire sortir des sentiers ténébreux qui nous condamnent à la division. En s’enracinant dans les valeurs culturelles de son pays le Congo et de son continent l’Afrique, Prince Habib Lekouelewe ne peut exister qu’à partir du moment où il est gagné par la nostalgie, le souvenir de tout ce qu’il a de plus précieux au monde.
- Le ressassement de la mémoire ou la nostalgie du poète
Le thème de la nostalgie vient renforcer le premier. Il s’agit là de percevoir la distance dans le temps et dans l’espace. Le poète ici puise dans ses souvenirs et les raffermit davantage à force de les évoquer. Plusieurs indices dans sa poésie prouvent la distance géographique qu’il endurait au moment où il écrivait ses textes, loin du Congo natal, mais habité par celui-ci comme un os supplémentaire à son squelette, comme le proclamerait avec fierté Tchicaya U tam’si en son temps. Ce ressassement de la mémoire lui permet de croire en l’avenir, en son avenir et celui de l’Afrique. Cependant, il convient de souligner que tous les souvenirs qu’il évoque dans son œuvre, ne sont toujours pas agréables, ils sont parfois fades et interpellateurs. La lecture des poèmes comme « le chant du vieillard », « les larmes du Congo », « mère ! Loin de vous, votre fils grandit », « un voyage lointain », et « l’âme d’une enfance », nous met au cœur d’un lyrisme qui tend à ressusciter une certaine pensée, à exhumer tous les souvenirs d’enfance et à consolider davantage ses liens de fraternité avec les proches. Ici le souvenir n’est pas comme dirait Jean-Baptiste Tati Loutard, « une mue qu’abandonne le reptile », mais plutôt un éternel miroir dans lequel se mire le poète pour orienter pour toujours son destin.
- Conclusion
Les Roses du Congo est un chant plein d’amour, un champ ouvert au monde, mais plus concrètement, c’est un hymne à l’espérance. Il y a lieu de voir en cette poésie, la présence des thèmes à la fois universels et ceux dont les traces témoignent purement de l’univers poétique congolais. Entendons par-là que, le poète évoque certaines images qui nous rappellent la poésie de Tchicaya U Tam’si ou de Jean-Baptiste Tati Loutard, pour ne citer que ces deux icones. Mais la subtilité de ses poèmes nous renvoie plus à la poésie congolaise féminine, à travers les plumes comme celles de Marie-Léontine Tsibinda, Amélia Néné et Alima Madima. La particularité de ce recueil est qu’il est écrit en prose.
Rosin LOEMBAEcrivain et critique littéraire
rosinloemba@gmail.com
[1] Prince Habib Lekouelewe, Les Roses du Congo, Paris, L’Harmattan, 2015.