A l’attention des leaders de l’opposition ; car les autres sont convaincus du pouvoir personnel et personnifié d’un homme-dieu.
TRIBUNE. L’opposition s’enlise. Ne nous le cachons pas. Elle est sans solutions 4 ans après le grand espoir de 2016. Le régime, dictatorial, qui est un des moins ouverts au monde, des plus anciens en plus d’être tribaliste, kleptocratique et violent s’est enraciné et s’apprête à se signer une nouvelle prolongation sans que nous n’ayons le moindre accroc à leur opposer.
Certains se déclarent candidats à la prochaine élection présidentielle mais ils ont déjà annoncé en même temps les conditions de leur reddition, comme si c’était juste pour mieux vendre leur capital sympathie.
D’autres ont déclaré forfait d’office, en appelant à la prolongation du mandat de Sassou Nguesso…. sans élection. Ne rions pas. Le plus souvent c’est dans des appels désespérés à un improbable dialogue demandé depuis 4 ans que l’on espère prendre le pouvoir à Sassou comme à la conférence nationale souveraine alors qu’il a déjà rejeté cette hypothèse – et toutes les précédentes d’ailleurs – et que nous n’avons aucun moyen de lui imposer nos vues sauf qu’à en appeler « au cœur de gentil » de celui que nous qualifions nous-mêmes « de chef des méchants ». A se demander si nous croyons à nos propres dires.
Il y a panne de solutions, c’est clair. Mais cela est dû au fait que les idées en question viennent d’une seule personne ou d’un groupe d’individus peu diversifié, au sommet. Elles sont forcément limitées, alors que celles de la masse seront forcément infinies. Associer cette masse à la réflexion, outre de surprendre par la fontaine d’idées qui en jaillira, permettra en plus d’impliquer ces personnes qui sont autant d’électeurs, de soutiens et de relais, qui se sentiront valorisés, impliqués, provoquant un enthousiasme général au projet bâti ensemble.
J’ai plusieurs fois entendu des hommes politiques d’opposition dire que les congolais de l’opposition pourtant majoritaires sont hélas démobilisés et perdent toute combattivité. Mais si personne ne les associe, les chefs étant préoccupés à « cheffer » et à pondre des solutions dont ils auraient acquis le génie pour les imposer aux autres, n’est il pas normal que plus personne ne fasse rien, attendant les solutions miracles concoctés en haut par ceux qui n’ont rien à demander à personne et savent tout faire ?
Cette manière de faire, est une forme de mauvaise gouvernance qui montre là ses limites : plus d’idées, plus de militants, plus de projets. Nos discours deviennent en réalité aussi déconnectés que ceux de Sassou, et comme lui, on se parle à soi-même. On n’avance pas, on n’enthousiasme pas, on ne fédère pas, on ne construit rien.
L’autre façon de faire c’est l’ouverture, la participation, l’implication et le partage pour mettre en valeur ce qu’on appelle l’intelligence collective.
On me demandera avec raison, si la foule, la masse, monsieur tout le monde, peut apporter une lumière ? Ne serait-il pas mieux de les faire participer en créant des bureaux du parti (ou de la plateforme) partout, mais à la fin ce sont les chefs qui décident ? Non évidemment. Ils se rendront vite compte de leur inutilité, et se désengageront.
En réalité, la foule possède en elle si pas une certaine sagesse, appelons cela un pouvoir d’équilibre de la perception qui tombe presque toujours juste. Après tout, elle est la mesure d’elle-même.
Un statisticien anglais au début du XXe siècle qui était convaincu lui aussi que l’évaluation des experts et des chefs vaut plus que celle de la foule, tenta le curieux test de demander à une foule au hasard d’une foire, le poids que pesait initialement un bœuf qu’on avait dépecé et dont la foule ne voyait devant elle que les petits morceaux mélangés et étalés devant elle. Il nota sur un papier les 787 estimations de poids donnés par autant de passants, puis divisa ce nombre au poids total estimé d’eux. Cela donna le poids exact qu’avait l’animal de son vivant, soit 548 kg exactement ! Aucun expert n’aurait trouvé, ni aucun individu tout seul.
Un autre test qui existe aux Etats Unis depuis 1988 est d’évaluer le pourcentage que fera un candidat à une élection prochaine en transformant son score supposé à venir en « prix » qu’il vaut. Un groupe de gens achètent des tickets portant les nom de candidats, dans un prix compris entre 1 et 100 dollars, sachant que si on achète à 100 dollars, c’est qu’on pense qu’il fera 100% des voix, à 28 dollars, qu’il fera 28% etc. On vous vend du Trump à 54$ vous prenez par exemple. Mis à 15 ou 75, vous refuserez. On peut aussi revendre son ticket, plus ou moins cher durant l’année de la campagne, selon qu’on estime la côte du candidat dessus monter ou descendre. Vers la fin, à l’approche du vote, on constate que les prix se stabilisent et vente et rachat deviennent difficile chacun s’étant fait son opinion du poids des candidats. Au sortir des urnes on constate que le juste prix des tickets de chaque candidat correspond à son score réel. Le système s’avère plus précis que les sondages.
A supposer que les tickets des candidats se soient vendus au Congo en 2016, le groupe de parieurs prendrait en compte le climat électoral, la capacité de tricherie du pouvoir en place, le tribalisme, la gêne du pouvoir de ne pas trop mentir sur le résultat final etc… et aurait pu accorder à un Sassou Nguesso 60% alors que les meilleurs sondages basés sur les intentions de vote réels, ne le créditeraient de pas plus de 8%. A la fin, c’est l’échantillon des parieurs qui aurait certainement eu raison parce que la perception de la foule intègre des éléments incroyablement complets. Même celui qui votera pour un candidat qui ne gagnera pas, est capable de lui attribuer un prix perdant. C’est ça l’intelligence collective : elle est plus vraie que la science, plus juste que la vérité.
Mais pour atteindre de bons résultats en usant de l’intelligence collective il faut que :
– le collectif sollicité soit diversifié dans sa composition,
– que le fonctionnement du collectif garantisse l’indépendance de chaque individu qui la compose (qu’il ait le droit de dire ce qu’il veut selon sa conscience et sa dimension)
– et que le résultat soit une combinaison des différents points de vue ou soit appliqué de manière décentralisée plutôt que de laisser une autorité supérieure avoir le dernier mot ou un système de vote déterminer un choix unique.
Ce dernier point est très important. Car de la même manière que nous concevons mal que les conclusions d’un éventuel dialogue soient soumises au gré de l’approbation du président de la république, les résultats d’un brain storming collectif ne doivent pas dépendre de ce que le chef de groupe voudra bien en retenir ou en exécuter mais doivent bien s’imposer à lui comme à tous.
Au fond, la démocratie n’est autre que la recherche de la mise en exergue permanente de cette intelligence collective. Vous ne pouvez pas conduire des hommes et leur donner une ligne à suivre dont le système de construction n’émane pas d’eux. C’est contre productif et ça ne marche qu’en dictature parce qu’on s’en fout du bonheur des gens, de leur participation volontaire encore moins et on ne s’intéresse qu’à les dominer.
Chers opposants en chef, consultez largement et cessez de jouer au président du comité central du PCT. Vous aurez tout à y gagner.
Je vous invite à une grande réflexion nationale pour que chacun dise comment il voit l’avenir au lieu de nous ressasser des choses auxquelles vous en premier ne croyez même pas.
Sassou ne partira pas en échange d’un mandat cadeau de 2 ans. Il ne changera pas pour devenir un candidat soutenable. Il ne donnera pas une gouvernance électorale qui vous fera gagner. Il n’ouvrira pas un dialogue dont les conclusions s’imposeront à lui. Il y autre chose à faire. Je ne le sais pas, mais la somme des intelligences congolaises trouvera quoi et agira pour que cela se concrétise. Soyons simplement nous mêmes capables du dialogue, de l’ouverture, de l’alternance, du changement de mentalité et de l’écoute que nous exigeons à l’autre.