Il est vrai que lorsque nous adressons une lettre pour demander une quelconque information ou pour toute autre demande auprès d’une administration (privée ou publique) nous ne recevons le plus souvent aucune réponse.
Il est vrai aussi qu’après même une deuxième relance, toujours aucune réponse. Face àces situations bien connues d’un grand nombre de marocains, je me demande d’une part, quelle est la portée symbolique et causale de ce silence et d’autre part, comment est vécu ce silence par l’expéditeur ?
- Le silence « exclusion de l’autre »
Le silence est une forme de communication négative, un refus de communiquer et d’échanger avec l’autre, un refus d’ouverture et d’accueil. Le silence est une porte fermée qui joue le rôle de la barrière de séparation et de cloisonnement, « le mur de Berlin », la bulle qui exclue l’autre.
- Le silence « violence »
Le silence est aussi une forme de violence, un catalyseur de la douleur morale atroce pour celui qui tente de communiquer.
- Le silence « déni »
Le silence est le déni de l’autre, la non-reconnaissance de l’autre en tant que citoyen, en tant qu’être humain.
- Le silence « makhzen »
La culture du « makhzen », nous renvoie en fait à l’analyse transactionnel « parent-enfant », où l’administrateur prend la position de parent tout puissant et le citoyen la position d’enfant qui doit obéissance au parent. Ainsi l’administrateur en répondant à la demande du citoyen se sent comme s’il était abaissé au rang du demandeur « l’enfant ».
- Le silence « absence de respect »
Dans notre culture, nous ignorons le concept du respect dans sa dimension humaine et nous réservons le respect à celui qui a un rang supérieur au notre. Ainsi, le demandeur d’emploi par exemple, est inférieur à l’administrateur et utilise d’ailleurs dans son courrier la formule de politesse bien connue « J’ai l’honneur de vous adresser ce courrier…. ». L’administrateur ne se sent alors pas obliger de respecter celui qui demande, à l’image d’un « mendiant ».
- Le silence « absence de rigueur et d’organisation »
Il est possible que l’administrateur compte répondre au courrier, seulement il a un ordre de priorité et compte alors le faire une fois qu’il aura réglé ce qui est plus urgent. Toutefois, comme la rigueur fait défaut, ainsi que l’organisation et la planification, rapidement le projet de répondre tombe dans l’oubli.
- Le silence « réponse à l’agression »
Le citoyen demandeur est souvent vécu comme un harceleur et l’administrateur a l’impression qu’il est persécuté par le demandeur. Ainsi, la réponse est violente et agressive et se manifeste par « le silence ».
- Le vécu du demandeur
La pire façon de blesser une personne dans sa propre dignité est de l’ignorer, comme s’il est un moins que rien et qu’il n’a aucune importance. La « hogra » est ancrée dans le vécu du marocain et ne pas répondre à ses courriers, à ses demandes, est une façon d’ancrer d’avantage en lui le sentiment de la « hogra », pour qu’il finisse par croire qu’il n’est rien.
Ne pas répondre aux courriers des citoyens est un déni de l’autre et un acte d’une violence dévastatrice, qui détruit le corps social dans son amour propre et dans son image. Par conséquent, cette société lésée dans son intérieur, ne pourra jamais s’épanouir !
Docteur Jaouad MABROUKI
Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe.