Quand Lucien Bitsikou, garçon originaire du sud et Armande Ngok d’une ethnie septentrionale se rencontrent dans un lycée de Brazzaville, ils ne savent pas qu’ils vont vivre des aventures rocambolesques au moment où ils aller à l’université après leur bac. Au lycée, le jeune Bitsikou découvre les relations on ne peut plus énigmatiques entre élèves et professeurs. Il y a corruption de certains enseignants par des élèves paresseux tel cet enfant métis du secrétaire général du parti au pouvoir. Lucien se voit sermonné par le surveillant général quand l’autorité de sa classe lui est léguée par Armande responsable de la classe : il a montré sans complexe que nul n’est au-dessus de la loi en notifiant les absences de l’élève métis qui sont malheureusement antidatées ; le surveillant a découvert cette faille. Etant souvent ensemble, Lucien et Armande s’apprécient, surtout qu’ils sont de bons élèves ; aussi l’amitié va-t-elle se transformer en amour, malgré la différence de leurs classes sociales. Enfant du quartier Bacongo, Lucien ne peut s’empêcher d’inviter chez lui cette fille de la bourgeoisie congolaise qui découvre la pauvreté dans laquelle il vit avec son oncle. Armande constate la précarité du domicile de son ami avec ce brave oncle qui, battu à mort par des éléments de la police au cours d’une manifestation des retraités qui revendiquaient le paiement de leurs pensions, perdra sa vie. Une fois admis à leur bac, commence pour les deux amoureux la vie estudiantine avec toutes ses turpitudes. Armande habite chez ses parents et Lucien a pu s’acquérir une chambre au campus, ce qui permet à la fille de rendre visite à son amoureux à l’insu de ses parents. Mais les revendications des étudiants à propos de leur bourse impayée, provoquent une grève au sein de l’université. Le campus est menacé de fermeture. Armande apprend cette nouvelle à Lucien ainsi que la décision de l’année blanche qui est imminente. Contre toute attente, Armande quitte Lucien pour retomber dans les bras de son flirt de jeunesse revenu de l’étranger après ses études supérieures. Et le malheur de Lucien atteint son paroxysme quand l’ultimatum donnée aux étudiants de sortir du campus arrive à son terme. Dans le couloir du campus se présente comme un puzzle théâtral de la société congolaise où la jeunesse subit encore les turpitudes de l’école et de l’université. S’y découvrent aussi le mauvais comportement de certains cadres et dirigeants politiques ainsi que quelques réalités multiethniques.
Situation aléatoire de l’école et l’université congolaises
Presque tous les principaux personnages du roman appartiennent à la société de l’école. Sont explicitées dans les aventures du héros Bitsikou les relations plus ou moins tendues entre les élèves, les étudiants et leurs professeurs. L’auteur dans son roman dénonce la précarité de l’enseignant congolais qui lutte parfois contre des tentatives de corruption de la part des élèves : « le prof de philosophie qui n’avait jamais voulu nourrir ses enfants avec un billet de mille francs CFA mal acquis (…) avait repoussé les émissaires de ce fils de bourgeois » (p.16). Malheureusement, c’est au niveau du personnel administratif que l’on constate le mauvais comportement du personnel car, à propos de l’élève métis, « le directeur des études, véritable corrompu [a] bien joué le jeu » (p.16). La désinvolture de cet enfant qui vit dans des bonnes conditions et qui épouse paradoxalement la paresse n’est acceptée par Lucien et Armande. Les relations entre étudiants et professeurs sont à l’image de ce qui se passe à l’université de Brazzaville. Les élèves devenus étudiants se confrontent aux réalités de l’amphi 600 de la faculté de droit de l’université Marien Ngouabi ainsi que les conditions de vie difficile du campus. Bizutage, comportement des anciens étudiants envers les nouveaux, pagaille organisée pendant les cours, toutes ces situations sont décrites dans un langage scénique où les personnages se présentent comme dans un film ou dans une pièce de théâtre. L’auteur nous présente l’une des tracasseries qu’affrontent les nouveaux étudiants dès leurs premières participations au cours : « Nous arrivons à cinq heures pile du matin chaque jour espérer trouver une place assise. Mais il y a mille trois cent trente quatre étudiants pour six cents places seulement » (p.77). De leur côté, les enseignants travaillent dans des conditions difficiles car ils sont souvent pris à partie par les anciens étudiants qui perturbent les cours. Et le cours de droit d’un colonel professeur illustre bien cette situation : « Soudain une voix, deux, trois puis mille se font entendre dans l’amphi six cents : Zéro…zéro et demi…un… un et demi…deux…deux et demi…trois. Les deux gardes du corps ont rejoint leur supérieur [le colonel professeur] au bas de l’estrade dans l’insolence des anciens » (p.106). Ces faits et gestes de la vie courante des étudiants congolais que l’auteur nous relate avec humour nous plonge dans l’univers du campus où Bitsikou et ses collègues semblent être abandonnés par les pouvoirs publics. Vie aléatoire qui les pousse à pratiquer de petits commerces pour survivre au détriment de leurs études car la bourse n’est jamais payée à temps. Et Armande remarque cette précarité quand elle rend visite à son amoureux : « Vous en faites un peu trop, Lucien. Un étudiant qui ne peut même pas s’acheter un fer à repasser. –Ah, le fer à repasser est important ma chérie. Mais c’est l’urgence qui prime ; c’est-à-dire le ventre » (p.111). Et c’est cette situation de précarité au sein de la société des étudiants qui provoque une grève qui met mal à l’aise les dirigeants politiques.
La grève des étudiants ou la dénonciation des mauvais dirigeants politiques
Le retard du paiement de la bourse provoque le mécontentement des étudiants, leurs syndicats décident la grève pour contraindre les politiques à résoudre leurs problèmes : ils demandent le paiement de trois mois de bourse sur les sept que leur doit le gouvernement. Pour la circonstance, ils sont mal reçus par le Premier Ministre qui manifeste sa désinvolture envers les délégués des étudiants quand il les reçoit : « Maintenant sortez ! (…) Comment osez-vous vous présenter devant les plus hautes autorités de la nation en tee-shirt, jeans, chemises sans cravates, ni vestes et encore pire en chaussures de sport » (p.122). Aussi voit-on à travers le comportement du Premier Ministre l’image du politique responsable des souffrances du peuple en général et des étudiants en particulier. Le roman nous décrit un Congo mal géré où n’importe qui fait n’importe quoi, où le sectarisme, le népotisme ainsi que certains maux qui freinent le développement social comme l’impunité sont décriés. Pour Bitsikou, le père d’Armande fait partie des Congolais qui ont provoqué la faillite du pays : « Mon futur beau-père avait raclé toutes les économies de la société urbaine de transport en commun » (p.94). A ce dernier , on peut ajouter d’autres personnalités tristement célèbres dans le pays comme l’adjoint au maire Ngombe accusé de détournement de fons publics, le sieur Mboua qui a provoqué la faillite de la société de transport du chemin de fer Congo océan, le journaliste Makolo Ma Ngoulou associé à toutes les magouilles du pouvoir, l’universitaire Nguembo haï par les gens de son village qui « voit le président de la République comme (…) on voit les fous dans la rue » (p.129). Ce roman de Kéoua Leturmy est riche en rebondissements scéniques où il nous livre l’anthropologie de la société congolaise au niveau des ethnies. Le référentiel congolais se lit facilement à travers le clivage nord-sud que dessinent deux Brazzaville avec leurs ethnies majoritaires sans pour autant entacher l’unité nationale comme on le remarque à travers l’amour qui lie Lucien à Armande.
Transcrites dans une langue théâtrale qui met en exergue quelques subtilités des langues congolaises, les aventures de ce roman avancent dans un pleurer-rire qui annonce un auteur atypique qui, ayant traité plusieurs thématiques, construit un pont entre le roman et le théâtre. Et ce formel donne une autre spécificité au récit congolais
- Letutrmy Kéoua, Dans le couloir du campus, éd. L’Harmattan, 2012, 147p. 15,50€.