Voici un récit construit à partir des événements tragiques de la guerre du Congo des années quatre vingt dix. Le lecteur se voit entrainé dans les méandres de l’horreur et du sang, depuis Brazzaville jusqu’à Pointe Noire en passant par certaines régions de la région du sud occupés par les enfants-soldats, les insurgés, l’armée loyale du président Denis Mathurin et ses mercenaires. À cela s’ajoute le regard révélateur et historique du narrateur vers certains pays du continent tels Le Zaïre, le Gabon, la Centrafrique…
En dehors de quelques péripéties qui se passent à Brazzaville et à Pointe Noire, le récit de Bloody Kongo dévoile la faune et la flore où surgissaient à certains les pygmées de l’Afrique centrale. Si dans la plupart des romans, se découvrent des héros sur lesquels se focalise le trajet du récit du début à la fin, chez Dina Mahoungou, l’histoire racontée est grande partie « écrite » par des « groupes-personnages » auxquels viennent se greffer certaines individualités comme Denis Mathurin, Yacine Diémé, Makoumbou Mâ Mpombo dit le grêlé qui apparaissent et disparaissent au cours de la guerre qui met sur scène les enfants- soldats, l’armée loyale du président Denis Mathurin et ses mercenaires.
Ce roman apparait comme une suite de séquences narratives dont l’horreur de la guerre interpelle le lecteur. Aussi, on remarque que Bloody Kongo ne peut se lire linéairement car se présentant comme un long reportage sur la guerre de Brazzaville et l’environnement dans laquelle elle se manifeste. Des récits de la guerre au récit-pluriel défini par plusieurs genres, l’auteur nous plonge dans une écriture qui rappelle la technique du Nouveau roman du siècle dernier. En dehors de rares déclarations dialogiques des personnages, ces derniers sont focalisés en grande partie de l’extérieur dans un récit que l’on pourrait définir comme un reportage de presse. Et cette façon atypique de nous révéler un texte où les dialogues sont presqu’inexistants donne une autre dimension au roman congolais où cette réalité diégétique est rare.
Des personnages sans personnalité
En dehors de président Denis Mathurin, Yacine Diémé, Makoumbou Mâ Mpombo alias le grêlé, le professeur Milandou, (exilé à Zanzibar, qui apparait au dernier moment), tous nommés par l’auteur, la plupart des personnages de Bloody Kongo sont anonymes et évoluent toujours en groupe : les enfants-soldats, l’armée du président Denis Mathurin, les mercenaires de ce dernier, les résistants de Makoumbou Mâ Mpombo, les amazones de Yacine Diémé. Les personnages de Bloody Kongo vivent et agissent en groupe sans pour autant s’adresser la parole entre eux ; ils sont en général synonymes de l’horreur que développe le roman : « Le carnage était à son comble, les enfants-soldats pisteurs infatigables, admirables et terribles, tiraient au bazooka sur les mercenaires surpris » (p.38). Si les enfants-soldats se montrent guerriers intrépides, de leur côté les mercenaires au service du président Denis Mathurin se confrontent aux difficultés du terrain dans l’exercice de leur « sale » boulot : « Puisque les mercenaires du chef de l’Etat ne connaissaient pas le terrain, les partisans semaient des leurres et, de loin, les surveillaient. Ils jaillissaient brusquement des eaux (…). Aussitôt les mercenaires étaient noyés sous les plantes aquatiques » (p.112). Quant aux amazones et leur cheffe Yacine Diémé, on les rencontre dans la forêt où elles se sont installées. On remarque que ces groupes de personnages anonymes sont toujours sous la direction d’un timonier dans l’exercice de leur métier. Les résistants ont pour chef le grêlé : « Makoumbou Mâ Mpo, alias le grêlé, restait seul, isolé en surplomb de l’océan. (…) le chef des résistants, le cœur gonflé de haine leva les yeux vers le ciel (…). L’oiseau-Dieu franchit les airs (…) tandis que le grêlé (…) regardait l’oiseau foncer sur lui » (p.103).
Bloody Kongo, un récit de la guerre
De l’incipit à la clausule, la lecture de ce roman fait penser à un film de guerre où les enfants-soldats et l’armée loyale du général Denis Mathurin soutenue par des mercenaires se livrent à des combats sans merci. Et le roman s’ouvre par un morceau de la guerre de Brazzaville des années quatre vingt dix : « Dans les grandes cités telles que Bacongo ou Makélékélé, de grands carrefours étaient défigurés par les bombardements, les rues ressemblaient à des tranchées » (p.20). Aussi, à propos de quelques descriptions liées à cette guerre de Brazzaville, l’auteur y met un peu du sien par la technique de l’hyperbole et de l’exagération artistique pour donner une autre couleur à sa peinture. Et nous le remarquons dans sa façon de décrire l’horreur de cette guerre : « Les quartiers entiers furent soufflés par des bombes. Isolé dans sa rage et dans son humiliation, l’état major employait du gaz moutarde sur des villages des autochtones et des indigènes pygmées » (p.87). Et des scènes d’une extrême horreur et d’une violence qui dépasse un peu la réalité de la guerre de Brazzaville, reviennent de temps à autre dans le coulé narratif. Aussi, le lecteur qui pourrait croire à ces séquences de guerre peintes avec exagération, seraient la risée des historiens. Ceux-ci se moqueraient de ce dernier et lui lanceraient : « Malheur lecteur qui pense que ce qui est écrit dans ce roman est vrai, alors que nous sommes en pleine fiction » ; voici un exemple d’hyperbole de ces scènes : « Le long de la jetée, sur les poteaux télégraphiques, on avait pendu des dizaines d’hommes d’affaires blancs, de l’autre côté des massifs » (p.95).
Du récit de la guerre au récit-pluriel
Dans son ensemble le roman Bloody Kongo se lit comme une succession de roman de guerre, roman d’histoire fondé sur une partie de l’Histoire de l’Afrique centrale, de roman fantastique qui épouse la technique du reportage quand le narrateur, qui se transforme en reporter, nous plonge, pendant certains moments, dans la faune et la flore dans lesquelles se déroule une partie de la guerre qui oppose l’armée loyale avec ses mercenaires aux enfants-soldats.
–Bloody Kongo, un roman de guerre : « Dans la grande cité de Pointe-Noire. Il y eut des braquages partout, des vols et des agressions : à Fonds N’Tiétié à Loandjili, (…) Les enfants-soldats, devenus experts en explosifs avaient fait sauter des grosses structures d’habitations militaires à Makaya-falls » (p.107).
–Bloody Kongo, un roman qui rappelle l’Afrique centrale : « À cause de tant de crimes commis par vengeance, les petits guerriers savaient qu’il n’y avait pas de rédemption (…). Un bon nombre d’entre eux s’était installé provisoirement au Gabon, à Port-Gentil, sur la rade de Cap Lopez, ils s’adonnaient au trafic de la baleine à bosse » (p.138).
–Bloody Kongo, un récit fantastique qui rappelle le merveilleux qui réveille la technique du conte : « (…) les anciens racontaient que, tard dans la nuit, une sorte de nain unijambiste et bossu, clopinant, dans l’obscurité, se mettait tout nu et prenait son bain. Alors une lumière descendait du ciel et frappait la surface de l’océan » (p.108).
Avec cet ouvrage, l’auteur sort des sentiers battus du roman traditionnel congolais qui privilégie la dimension référentielle dans le coulé narratif où l’aspect dialogique occupe une place prépondérante. Dina Mahoungou est l’un des « rénovateurs » de l’écriture romanesque, à l’instar de Joao Campès dans son roman Le Denier crépuscule (2). Il a travaillé le texte comme matériau (recherche approfondie au niveau du vocabulaire) pour mettre en valeur la littéralité du texte qui nous révèle que la littérature est d’abord un élément de la création dans l’art avant de la considérer, à certains moments, comme présentation sociale et sociétale. Et c’est dans cette lignée des rénovateurs que l’on peut placer Dina Mahoungou dont le roman, dans son univers polyphonique, pourrait appeler d’autres études intéressantes.
Noël Kodia-Ramata
- (1) Dina Mahoungou, Bloody Kongo, éd. L’Harmattan, Paris, 2020
- (2) Joao Campes, Le Dernier crépuscule, éd. Edilivre, Paris,2009