Le monde littéraire a rendu, le 22 avril 2017 à Brazzaville, un vibrant hommage au grand écrivain congolais, Tchicaya U T’am’si, à travers un festival dénommé «Epitomé, nuit de la poésie» organisé par l’Association Tchicaya U Tam’si pour la promotion du théâtre et le développement socioculturel.L’homme, Tchicaya U Tam’si
A la naissance, le poète s’appelle, Gérald Félix Tchicaya, puis il devient plus tard, Tchicaya U Tam’si. Il a vu le jour le 25 août 1931 à Mpili, à quelques kilomètres de Diosso, dans la région du Kouilou du Congo-français. Cette région est jusqu’à ce jour arrosée par un grand fleuve, le Kouilou. Son père, Jean Félix Tchicaya est un homme politique de premier plan. Elu député à l’Assemblée constituante en 1945, il est resté membre du parlement français jusqu’en 1958.
Très tôt, le désir de donner une éducation fiable et viable à son fils lui fait prendre la décision de l’envoyer se faire éduquer en Europe.
Mais le fils n’est pas de cet avis. Il le prouve en quittant le lycée à l’âge de 17 ans, juste avant de passer le bac. Il décide de vivre de poésie et de petits métiers.
Il justifie cependant cet acte quelque peu précipité, au cours d’un entretien avec le couple Chemin, dans «Notre librairie» de Septembre-octobre 1977, comme une manière d’aider son père qui avait huit enfants à charge. Tchicaya U Tam’si est également un grand romancier et un grand dramaturge.
Partageant un témoignage sur Tchicaya U Tam’si, le Président de l’Association des Ecrivains du Sénégal, Alioune Baïdara Beye, a annoncé en novembre dernier à Dakar au Sénégal, que le prix Tchicaya U Tam’si au Maroc passait de 10 000 USD à 15 000 USD parce qu’on l’étendait désormais aux autres genres littéraires : le roman, le théâtre, la nouvelle et l’essai.
Il a aussi informé qu’à 300 km de Casablanca dans ce pays, se trouve un espace sublime dédié à ce fils du Congo, Tchicaya U Tam’si.
Tchicaya U Tam’si, un prophète vivant
L’initiative de l’association Tchicaya U Tam’si est si louable qu’elle constitue un canal pour mettre Tchicaya U Tam’si dans les esprits des siens au Congo ; pour tordre le cou à cet adage qui dit que nul n’est prophète dans son pays. C’est l’occasion de faire du poète Tchicaya U Tam’si, ce prophète visible et vivant chez lui. Le grand Tchicaya U Tam’si a donc été grandement et dignement célébré à Brazzaville, au Congo.
Tchicaya U Tam’si a utilisé beaucoup de symboles ans son écriture parmi lesquels le fleuve auquel cet article s’intéresse.
Le fleuve ou l’élément d’ouverture au monde Tchicaya U’Tam’si est entré dans le monde littéraire et particulièrement dans celui de la poésie par son recueil de poèmes intitulé «Le Mauvais sang», publié en 1955 aux Editions Caractères à Paris. Cette publication lui a valu les félicitations du grandissime Léopold Sédar Senghor.
Dans le Mauvais sang en effet, Tchicaya U Tam’si évoque déjà le fleuve. Il y annonce les couleurs quant aux relations qu’il entretient et qu’il va entretenir avec le fleuve tout au long de sa vie littéraire.
On peut dire à la limite que ce sont, d’entrée de jeu, des relations privilégiées. Dans un autre entretien avec Roger Chemain, il affirme :
«Je suis parti de Pointe-Noire et j’allais à Brazzaville qui représentait pour moi le fleuve, bien entendu, et le pays, dans son acception la plus large». Il l’exprime dans le poème, Le gros sang, dans lequel il dit ce qui suit:
«Des fleuves où végètent crument des poissons/Monde grossièreté Astre
gueule à jurons/ Vois j’apporte plus qu’un rêve humain dans mes mains»…
Aux lendemains de la publication de ce recueil, il reçoit comme un appel politique et rejoint Emery Patrice Lumumba, le leader des indépendantistes du Congo ex-Belge. Mais Lumumba est assassiné.
Affecté, il rentre en France, où il se consacre à sa vie professionnelle ; il occupe plusieurs postes au siège de l’UNESCO à Paris. Il y vit et écrit en toute indépendance.
«Vous habitez le Congo, moi c’est le Congo qui m’habite».
Le poète avait coutume de répéter à qui voulait l’entendre que : «Vous
habitez le Congo, moi c’est le Congo qui m’habite».
Pour parler du fleuve dans l’oeuvre de Tchicaya U’Tam’si, il est possible de dire que le fleuve n’est pas venu dans la vie de Tchicaya U Tam’si par hasard. Tchicaya U Tam’si est né avec le fleuve, ainsi peut-on lui prêter, mieux, lui attribuer cette citation sur le fleuve et lui faire dire à titre posthume que : «Vous habitez le fleuve, moi, c’est le fleuve qui m’habite ».
C’est bien pour cela que le fleuve est présent dans presque toute son œuvre. Il a vécu avec le fleuve et est mort avec le fleuve.
Tchicaya U Tam’si a rencontré le fleuve à l’aube de sa vie, en l’occurrence le fleuve Kouilou. Le fleuve l’accompagne pendant toute sa vie, dans les deux Congos, ce fleuve qui longe le chemin de fer Congo océan en changeant de nominations.
Dans le Kouilou, le fleuve s’appelle, Kouilou ; dans le Niari, il devient Ndouo, dans le Pool, il est Pool avant de devenir Fleuve Congo sur les deux rives et même d’être rebaptisé Zaïre dans les années 70 et 80 par le président Mobutu.
Tchicaya U Tam’Si le compare à une assiette creuse, l’écuelle dans le poème, la natte à tisser :
«Son fleuve était l’écuelle la plus sûre/Parce qu’elle était de bronze/Parce qu’elle était sa chaire vivante»…
Tchicaya U Tam’si a donc eu le bonheur de connaître les deux rives du fleuve Congo, tant avec son Congo biologique qu’avec sa première aventure politique. Il a aussi connu le fleuve dans sa vie adulte, La Seine en France.
Tchicaya U Tam’si a considéré le fleuve qui l’a vu naître et affronter les vicissitudes de la vie, je veux parler des fleuves qui l’ont accompagné dans sa vie congolaise. Le fleuve est pour lui le chemin qui le conduit vers les autres. C’est l’espace qui le nourrit. C’est le pont entre les humains et entre les civilisations. Il était conscient que le fleuve n’était pas seulement la vie, mais aussi la mort. C’est également le liquide amniotique dans lequel baigne le
fœtus, c’est ce verre d’eau qui est donné au nourrisson dès qu’il voit le jour ; c’est le liquide pour étancher la soif toute la vie. C’est également le bain et l’assainissement. Quand survient la mort, c’est la dernière toilette et voici ce qu’il clame clairement :
«N’ayant pas trouvé d’hommes /Sur mon horizon/J’ai joué avec mon corps
/L’ardent poème de la mort/J’ai suivi mon fleuve…/Je me suis ouvert au monde…/Où grouillent des solitudes»…
Le fleuve, c’est aussi le mouvement général de la vie et dans la vie du poète Tchicaya U’Tam’si. Dans le poème Feu de brousse, il le souligne :
«Le feu du fleuve c’est-à-dire/La mer en suivant le sable/Les pieds et les mains/Au-dedans du cœur pour aimer/Ce peuple qui m’habite me repeuple/Autour du feu vous ai-je seulement dit Ma race/Il coule ici et là un fleuve».
Tchicaya U Tam’si définissait lui-même sa poésie comme le fleuve Congo, qui charrie autant de cadavres que de jacinthes. Comme le dit donc Léopold Sédar Senghor, l’imaginaire du fleuve dans la poésie de Tchicaya U Tam’si se lit dans ses œuvres et constitue une force indescriptible. Le fleuve, c’est l’eau et cela se justifie par le fait qu’il est l’eau, il est le fleuve, il est le fils de l’eau et le compagnon du fleuve et des fleuves. Mais aussi le fils de l’eau salée.
L’océan atlantique. La mer qu’il a louée, qu’il a chantée et qui l’a aussi beaucoup inspiré.
En plaçant des vers sur le fleuve dans ses textes, Tchicaya U’Tam’si montre son amour pour l’environnement, le développement durable. Avec un peu de recul, on peut penser qu’il avait déjà senti venir les changements climatiques, qu’il invitait le monde à veiller sur les eaux afin de barrer la route au désert qui avançait à pas de géant. Il l’exprime dans le poème, Le vertige:
« J’écume je meurs fleuve sans lames/Qui me venge des poissons apathiques/O mes fleuves/Je vous rends l’eau salée/De mes pores».
Le fleuve dans l’œuvre de Tchicaya U’Tam’si, c’est aussi le destin, ce sort particulier de tout homme et de toute chose.
«Ce soir laissez venir les vierges/Sur mon flanc/Sinon arrêtez/Arrêtez
ce fleuve qui s’en va Comme va le fleuve/A la crevé »…
Le poète y revient régulièrement, comme à une sorte de recours ultime.
Tchicaya U’Tam’si dramatise dans le même état d’esprit, son exil, sa
solitude, le vol de sa terre natale et de sa race entière. Dans ses
notes de Veille, il dit : «Les fleuves n’apparaissent majestueux que
dans la claire conscience qu’on a de toutes les immondices qu’ils
charrient».
Dans cette poésie de Tchicaya U’Tam’si, l’essentiel réside peut-être
dans la saisie globale des choses qui s’inscrivent dans la quotidienneté. Il ne cite pas le fleuve en tant que tel mais parle des jacinthes d’eau qu’on trouve dans le fleuve. Ainsi découvre-t-on ce qui suit :
«Qui vivra /Verra le Congo/A cheval sur le Congo /Ou flottant parmi les jacinthes d’eau ».