LITTERATURE. Les malades précieux (1) : Obambé Gakosso sur les pas d’ E. Dongala ?

Les récits d’Obambé Gakosso révèlent quelques chroniques et instantanées de scène de vie courante croustillantes de la société congolaise peinte avec un humour acerbe, franche et direct. Ils nous rappellent le Dongala du Jazz et vin de palme et des Petits garçons naissent des étoiles au niveau de la caricature de certains personnages.

Dans Les malades précieux, le lecteur passe de l’amertume au rire tout en revisitant la société congolaise gangrenée par plusieurs maux. Le vécu quotidien incertain des étudiants, le comportement de la femme, la caricature de l’homme politique sont les principaux thèmes qui constituent la toile de fond de cet ouvrage dans un style propre à l’auteur. Aussi, dans sa critique de cette société congolaise, ce dernier n’y va pas de main morte.

Le vécu quotidien des étudiants

Les jeunes filles chez Gakosso sont souvent des étudiantes. Dans « La fac au pied du baobab », se remarque une ambiance de rencontre des étudiants où Kimya et Assante semblent être les principaux personnages. Dans « Le ligablo du Vieux Lokosso », on retrouve la jeunesse estudiantine à travers les personnages d’Elenga Mwasi Mayele qui aime les études comme Salisa. Aussi, on n’est pas étonné de la retrouver loin du pays, en train de poursuivre ses études supérieures : « Elenga Mwasi Mayele était maintenant aux USA (…) en train de faire un troisième cycle en microbiologie » (p.105). Remarque-t-on alors l’ambition des étudiants congolais d’aller poursuivre leurs études à l’étranger. C’est le cas du vieux Lokosso qui rêve de l’Europe en visitant tous les consulats des pays occidentaux dans le but de s’octroyer un visa. Dans presque toutes les nouvelles, le lecteur se confronte au vécu quotidien de l’étudiant. Comme Lokosso qui veut quitter le pays pour l’Europe, la jeune Ndzale dans « Le procès de papa » voudrait aller étudier à l’étranger ; elle le signifie à son frère qui est de l’autre côté de la Méditerranée : « Je suis des cours d’anglais et dès que j’ai les papiers qu’il faut avec le fric que j’aurais économisé, je pourrais m’inscrire et passer un bac+ 5 » (p.127). Dans « Les rendez-vous chez tantine K », ce sont les mésaventures d’un étudiant dont les conditions sociales laissent à désirer qui sont exposées : « (…) cela fait des mois que nous n’avons pas perçu notre bourse d’étudiant » (p.164). Dans « Ma route de Loango », l’auteur nous raconte l’histoire cocasse d’un jeune universitaire titulaire d’une maîtrise de maths, obligé d’intégrer l’armée. Il habite chez un oncle maternel avec une famille nombreuse, difficile à nourrir. Quelle ne sera pas sa joie quand son chef hiérarchique lui apprendra qu’il va voyager : « La liste est sortie. Tu dois aller en formation en Europe (…) tu quittes le pays pour deux ans » (p.197). Le héros étudiant apparait aussi dans « Une tête au menu » ; Modogo, titulaire d’un DEUG est obligé d’arrêter ses études pour « se débrouiller » afin de s’occuper de sa petite famille. Dans l’ensemble, les personnages des Malades précieux, en dehors des parents, sont des jeunes filles et garçons. Ces derniers sont surtout des élèves et étudiants avec leurs problèmes d’adolescents comme la sexualité. Dans « L’assiette n’a pas changé », le Don Juan Loketo a engrossé l’une de ses conquêtes amoureuses, la petite Salisa âgée de quinze ans : « Loketo avait cessé avec l’usage des préservatifs quand il la retrouvait (…) il avait oublié une autre pathologie (…) : la grossesse » (pp.60-61).

De la fille à la femme

La femme dans l’oeuvre de Gakosso rappelle un des pans mondains de la société congolaise. Deux catégories se remarquent dans Les malades précieux : la jeunesse incarnée par les élèves et les étudiantes et l’âge mature avec principalement la mère de Loketo dans « L’assiette n’a pas changé », la mère de Polele-Polele dans « Nzete le faux-frère » et ya Mbeto Polele dans « Le petit pompier ». Ici, l’auteur nous met au centre névralgique de la femme : le sexe dans toute sa dimension érotique. Au niveau des jeunes filles, se manifeste le flirt qu’elles vivent avec leurs petits amoureux sur le banc de l’école ou de l’université. Dan « La fac au pied du baobab », on voit comment Aspro Quinini Mabe est repoussé par Kimya qu’il tente de séduire. Aussi, ces flirts ont parfois leurs conséquences désagréables comme dans « L’assiette n’a pas changé ». Loketo qui vient d’engrosser Salisa, subit la colère de ses sœurs : « Tout ça pourquoi ? Pour ressentir le goût du vagin sur ton sexe, hein ! » (p.59). Devant l’intransigeance et la colère de sa mère, Loketo est obligé d’aller se ressourcer chez une autre amie, Lolango. La femme dans toute sa puissance sexuelle se révèle chez les matures. Dans « Ndzete le faux-frère » et « Le petit pompier », celles-ci séduisent les jeunes garçons pour satisfaire leurs instincts libidineux. Ndzete tombe, malgré lui, dans le piège de la maman de son ami qui lui fait des avances : « Alors mon chéri, c’est le ventre ou les bas du ventre qui t’intéresse ?» (p.227). Devant l’expérience de cette veuve à la recherche d’un homme pour assouvir son appétit sexuel, le pauvre garçon, mis à l’aise financièrement, ne peut que commettre l’inceste car considérant cette femme comme sa maman : « Nzete naviguait dans un océan où se mêlaient plaisirs, bonheur, honte, luxure, gêne, volupté, sexe et une certaine forme d’inceste » (p.230). Quand les sœurs de Nzete ainsi que son ami Polele-Polele découvrent le scandale, la femme est prise à partie, et trainée dans la honte avant que son fils, dans une colère indescriptible, ne l’abandonne à jamais. Cette même situation où la femme mature profite de la naïveté d’un jeune garçon, se trouve aussi dans la dernière nouvelle intitulée « Le petit pompier ». Dans ce texte, c’est l’histoire de ya Mbeto Polele, maîtresse des vieux hommes politiques qui n’arrivent pas à la satisfaire sexuellement. Aussi, le héros se partage cette femme avec ses amants : « Elle s’allongea de nouveau, s’offrit très généreusement à moi. Elle n’avait même pas besoin de me remettre en condition, car je saluai déjà le drapeau, bien droit comme un « i » géant » (p.281).

Le politique congolais cloué au pilori

Rien de positif dans le microcosme politique congolais dans Les malades précieux. Les étudiants, les travailleurs traversent des moments difficiles, particulièrement après l’avènement de la démocratie pluripartiste avec ses corollaires telle la guerre de juin 1997. Dans « Je n’ai pas le temps à perdre », le jeune Karumba est victime de cette malheureuse situation : « Depuis la fin de la guerre en octobre 1997, Karumba avait longtemps hésité à rentrer sur Deschannesville » (p.9). Les étudiants sont abandonnés à eux-mêmes et, comme le signifie l’auteur, « les titulaires des maîtrises (…) inondent le marché du travail sans jamais en trouver un seul » (p.35). Dans « La fac au pied du baobab », l’auteur s’en prend aux dirigeants du pays qui sacrifient leur jeunesse à cause de leurs appétits égoïstes. Aussi, l’étudiant, ami du vieux Lokosso ne peut s’empêcher de tirer à boulets rouges sur la classe politique responsable de l’échec de la jeunesse : « J’ai toujours pensé que nos dirigeants politiques étaient responsables du désoeuvrement de la jeunesse » (p.113). Aucun texte des Malades précieux révèle l’aspect positif du politique : népotisme, tribalisme, misère du peuple, armée désorganisée, vagabondage sexuel font partie du quotidien de ce pays où se déroulent les différents histoires que nous rapporte l’auteur. Dans « Ma route de Loango », le héros, militaire malgré lui, subit la mauvaise gouvernance du pays : « Ce matin, il fallait se lever, prendre ma douche, mettre ma tenue militaire (…) ; depuis une semaine, l’eau était devenue invisible (…). Il y avait toujours la rivière Madukutsekele, le fleuve aussi, mais de l’eau potable, sortant du robinet, zéro » (p.191). Même le professeur Monganga qui s’occupe des malades précieux de son pays, grand médecin respectant le serment d’Hippocrate dans ses débuts, sera broyé par le système mafieux des politiques, à l’instar de l’amant de Mbeto Polele dans « Le petit pompier » qui tire le pays par le bas.
Dans l’ensemble, les onze textes des Malades précieux se veulent plus dialogiques que narratifs. Ils tournent en dérision certains personnages comme chez Dongala. Un emploi permanent de quelques néologismes et vocabulaire du terroir : Zero mokate (p.102), mvuama (p.106), vieux na nga (p.118), simba sac (p.209), boukoutage (p.210), mwindo ya ngolo (p.223), dircab (P.248)… intègrent les histoire rapportées sans les dénaturaliser au niveau du fond. Avec Gakosso, la caricature, le grotesque et la dérision qui reviennent souvent dans ses nouvelles ne cachent-ils pas son penchant à la dramaturgie ?

(1) Obambé Gakoso, Les malades précieux, éd. L’Harmattan, Paris, 2013

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