
Un autre roman congolais sur la thématique de l’immigration qui est souvent traitée par les écrivains de la diaspora. Mais ici, c’est au niveau de la forme de l’écriture que l’auteur se démarque des autres romanciers dans la mesure où son récit est constitué de deux narrations qui évoluent en parallèle.
A Paris, le héros sans-papiers est logé par son ami. Celui-ci, réalité parisienne oblige, lui apprend à voler à l’étalage dans les supers marchés ainsi que dans les transports pour survivre. Et c’est devant un téléphone qui ne cesse de sonner et qu’il n’arrive pas à décrocher que revient tout son passé au pays, de la traversée de la Méditerranée jusqu’à son arrivée dans l’Hexagone. Aussi, le héros-narrateur se présente comme un jumeau d’une prostituée dont l’autre frère meurt au cours de leur accouchement. Dans son exil à Paris, il fait la connaissance d’un autre jumeau orphelin, lui aussi, de son frère jumeau, qui lui prête ses papiers (carte d’identité et passeport) pour vivre en paix pendant son exil. Il est curieusement le sosie de son bienfaiteur. Malheureusement, le bonheur qu’il découvre dans Paris par l’intermédiaire d’une Anglaise qui va l’emmener chez elle à Londres est éphémère. Souvent rattrapé par les souvenirs de son passé au pays, il se voit interpelé par les déboires de l’immigration. A Londres, il est curieusement visité par un masque de chez lui qu’il découvre dans la maison de son amie et qui l’interpelle par l’intermédiaire du personnage d’un grand-père qu’il aurait connu au pays. Et son aventure se termine dramatiquement : le sosie qui lui a prêté ses papiers est mort et son amie l’Anglaise est tragiquement, tuée par un étudiant à l’université. Et l’échec d’une belle vie souhaitée en Occident devient une réalité quand il se voit interpelé au domicile de son amie par la police. Sans papiers conformes, il voit déjà le chemin de retour au pays avec amertume, mais heureux quand même de sortir de cet enfer d’exil. L’Autre Nom, un texte qui définit un autre type de roman par son style particulier en dehors du thème de l’exil lié à l’érotisme que l’auteur révèle au niveau du référentiel.
L’érotisme
Souvent considéré comme thème tabou dans le roman congolais, le sexe prend une place non négligeable dans L’Autre Nom. Et c’est à travers le destin du héros que le lecteur découvre le côté érotique du roman. C’est dans le milieu des prostituées et avec l’argent que lui donne son ami, que le héros découvre le sexe avant de s’accrocher à une belle Anglaise qui veut se venger sur un infortuné qui l’aurait déçue : « Sors et amuse-toi ! (…) Je n’eus pas le temps de compter ces billets de banque qui criaient dans mes mains » (p.33). Mais il connait les véritables plaisirs du sexe avec l’Anglaise : « Cette nuit, nous fîmes l’amour comme les gens du pays. Et pendant que ma dulcinée pleurait, hurlait et criait (…) je me surpris en train de naviguer dans l’océan de mes souvenirs » (p94). Et lui revient ce passé avec « sa » prostituée du pays ayant à peu près le même âge de sa défunte mère et dont « le corps gardait toute sa fraîcheur malgré la multitude qui empruntait chaque soir le chemin de son intimité » (p.96). Aussi, vit-il un double plaisir érotique : tout en faisant l’amour avec l’Anglaise, il ne cesse de penser aux doux moments passés avec la prostituée du pays qui lui rappelle sa mère : « i[Et ma dulcinée pleurait, hurlait et criait [de plaisir] comme une fille de Là-bas (…) Je revoyais cette prostituée [avec] son visage effilé et sa grosse poitrine (…) elle m’avait pris par le sexe pour m’aider à découvrir des plaisirs insoupçonnés]i » (p.96).
Les personnages dans L’Autre Nom
Les personnages de ce roman sont des anonymes tout au long du récit. On ne connait presque pas leur destin. Jamais le lecteur ne saura, ni le nom du héros, ni le nom du sosie de ce dernier, ni le nom de l’Anglaise, ni le nom de la mère prostituée du héros. Dans ce roman, les personnages se découvrent comme étrangers à eux-mêmes et au lecteur. Même l’interlocuteur qui est au bout du fil du héros ne se découvre pas car jamais ce dernier ne décroche le téléphone pour lui répondre : « Le téléphone sonne. Mes mains frémissent, tremblent et se figent dans le refus de décrocher » (p.11), une phrase qui va se répéter tout au long du récit. Aussi, va se révéler une musicalité du texte à travers la répétition de certains autres segments narratifs
La répétition
S’il est un roman congolais qui a beaucoup mis en exergue la technique de la répétition, c’est L’Autre Nom. Le récit répétitif est l’une des caractéristiques du style de François Bikindou. Presqu’inexistante chez les précurseurs du roman congolais, elle est en revanche l’un des particularités qui marquent quelques romanciers de la nouvelle génération. On voit par exemple comment Bikinou trouve plaisir à répéter plusieurs fois le même segment textuel pour donner une certaine musicalité au roman : « Là-bas où la mort (…) Là-bas où l’on devient un adulte (…) Là-bas où on se soûle (…) Là-bas où l’on fait l’amour (…) Là-bas où malgré tout… » (p.122). Et ce genre de répétition de mot ou de fragment de texte revient sans cesse dans le coulé narratif comme dans un texte de poésie où est souvent permis quelques jeux de mots.
L’Autre Nom, le texte rapporté en grande partie dans le style indirect
Dans ce roman qui s’apparente à un rappel personnel des souvenirs du héros, se remarque un discours caractérisé par le style indirect. Rares sont les dialogues qui n’apparaissent que dans les dernières pages du roman quand le personnage du Grand-père et le héros se mettent à discuter : « Je me tais et ferme les yeux. Mais dans la pénombre je perçois un être incandescent qui sort de Muétété (…) – Je viens pour te ramener Là-bas. Et moi de lui répondre (…) : Attends, Grand-père, que je fasse ma valise » (pp.124-125). Ce roman se caractérise par l’absence des dialogues qui, en général, sont omniprésents dans la plupart des romans congolais dont les histoires épousent plus l’oralité que l’écrit.
La place du fantastique dans le roman
Le fantastique apparait dans le récit de Bikindou pendant le séjour du héros à Londres où on le découvre dans l’appartement de son amie l’Anglaise. C’est la rencontre du héros avec son africanité à travers le masque de Muétété qui donne une dimension fantastique au roman. Le dialogue entre le héros et le masque nous ramène dans la réalité du conte où est accepté l’inacceptable. Dans la maison de l’Anglaise, le héros entend un grondement qui lui rappelle les tam-tams du pays. Se trouve devant lui un être incandescent qui provient du masque pour se transformer ensuite en un vieillard qui serait venu le chercher pour le ramener au pays
Si dans son premier roman Des rires sur une larme (2) , l’auteur a respecté le schéma classique du récit traditionnel avec son dogme de présentation qui reflète le vécu quotidien, il y a, dans L’Autre Nom, un travail remarquable au niveau littérale avec la technique de la répétition dans un texte où tous les personnages évoluent dans l’anonymat et dans un univers fantastique du conte pour certains.
(1) François Bikindou, L’Autre Nom, éd. Acoria, Paris, 2011
(2) François Bikindou, Des rires sur une larme, éd. L’Harmattan, 2006.