Littérature congolaise : une semaine de méditation

IN MEMORIAM : 6 février 2018 – 6 février 2019 : Jamais le Forum des Gens de Lettres n’oubliera son premier président Ernest Bompoma Ikele qui a eu à publier ses trois œuvres (un recueil de nouvelles et deux romans) chez l’Harmattan (1) à Paris. .    

 « Un mort dont on ne parle pas en bien est un mort complet. Tel n’est pas le cas d’un politique, d’un savant, d’un artiste, d’un écrivain ».

Plongée dans Le Compte à rebours, un récit profondément prophétique écrit avec une plume incisive et alerte qui s’est cassée en face d’un destin prometteur. Hélas !

Voici un roman qui réveille la conscience du lecteur par un texte qui présente un héros extraordinaire : le jeune infirmier Zambo. Et certains mots choisis par l’auteur sont comme des balles de kalachnikov qui « tuent » tout au passage. Le politique avec ses déviations sociales, l’homme de la nouvelle Eglise, deux personnages-types auxquels vient se greffer la

« réalité » de la mort sur terre et dans l’au-delà que l’on découvre à travers le destin du héros.

Venu en ville pour ses études qui le conduisent au métier d’infirmier, le jeune Zambo découvre les vicissitudes de la ville qui se dressent devant lui, Cefa, une jungle pleine de contradictions sociales. Divisée en deux grandes parties fondées sur l’ethnicité, la ville de Cefa interpelle le héros qui n’accepte pas cette opposition nord-sud que lui semble imposer sa famille. Aussi, réalise-t-il le tribalisme dans le milieu du travail et se fait violence pour apprendre la langue des « autres » afin de combattre la ségrégation ethnique qu’il considère comme un mal pour le développement d’un pays.

Dans Cefa qui peut rappeler certaines villes de l’Afrique centrale par sa structure sociopolitique, le héros va lutter contre les vices de la société entretenus par le politique et l’apôtre. Et quelle ne sera pas la joie du héros quand il vit dans la nouvelle ville de Bomengo construite à la suite d’un soulèvement populaire qui va emporter le maire de Cefa. Et dans la clausule du roman, le héros savoure la mise en oeuvre de ses idées « progressistes » qui couvaient en lui : « Bomengo, un paradis (…) qui donnait un sens à la vie qui n’était pas soumise aux tortures que [Cefa] nous imposait. Bomengo avait tué le règne des policiers rapaces. On circulait (…), on fréquentait et on se partageait les idées » (p.151)

Zambo, un homme révolté

Du village en ville, le héros passe de la naïveté à la révolte. Parfois incompris par ses propres parents, il est obligé de se faire violence pour s’imposer dans la société où la tradition, le

tribalisme et la mauvaise gouvernance occupent une grande place. Zambo s’insurge contre l’homme politique qui est à l’origine de la géopolitique pessimiste du pays accentuée par la

création des partis sur des bases ethniques : « cette situation honteuse [l’intégrisme crée par l’égoïsme de l’homme] fut [le clou] enfoncé par les hommes politiques, de véritables rapaces

insatiables qui créent des micro-partis politiques ethniques » (p.112). La ville de Cefa est présentée d’une façon négative parle jeune Zambo. Ce dernier ne peut rester insensible à la mauvaisegérance de celle-ci par les décideurs politiques. Une villeabandonnée à la merci des étrangers qui la détruisent avec lacomplicité des hommes politiques cupides et sans foi : «Des pétitions de tous genres furent déposées. Elles exigeaient généralement l’amélioration des conditions de vie, particulièrement celles liées au transport, à l’eau, à l’électricité, l’alimentation et l’école » (p.149).

Aussi, à travers ce tableau sombre quenous décrit l’auteur avec un langage pointu, acerbe et direct, laville de Cefa dénote l’incurie des dirigeants africains, incapables d’assurer le bien-être de leurs populations. Ici, « elles, les populations ne vivaient plus que le désenchantement d’un pouvoir qui passait le plus clair de son temps à faire les éloges 96 d’une politique qui s’était soldée cruellement par un échec cuisant » (p.145). Et cette société dont l’auteur dénonce lesmanquements des acteurs politiques nous révèle la face sombrede la religion.

Les églises de réveil : l’opium du peuple

S’il est un sujet que l’auteur développe avec passion, c’est l’activité des pasteurs évangéliques. Ces derniers profitent de la naïveté d’une partie de la population pour l’exploiter à fond. Mais jamais le héros ne tombera dans le piège de ces églises de réveil qui ont déjà séduit ses cousins Fila et Charles.

Des pasteurs venus de l’autre rive du fleuve vont s’imposer spirituellement dans la ville. Aussi, la grande classe sociale, composée par des ministres, des généraux de l’armée, des commerçants, va tomber dans le piège de ces gourous qui vont exploiter leurs adeptes : « Malgré la grande cagnotte [qu’il avait reçue], l’homme de Dieu [demandait] aux fidèles de continuer d’apporter les offrandes » (p.84).

Mais quand ces pasteurs escrocs sont arrêtés à la frontière avec des sacs remplis d’argent,ils sont libérés avec la complicité de certaines autorités de la police du pays sur laquelle l’auteur tire à boulets rouges : « Lapolice fonctionnait comme un corps qui n’avait pas de réglementation» (p.148). Et nous ne sommes pas surpris quand « ayant des soutiens au sommet de la montagne, un ordre[était] donné à la police de relaxer l’apôtre et le laisser passer avec l’argent » (p.90).

Mais cette ville gangrenée par tous les maux et vices (délinquance juvénile et sénile, prostitution, tribalisme entretenus par les politiques) écrira, contre toute attente, une nouvelle page de son destin. Suite à un soulèvement populaire, le maire de la ville est chassé de son trône pour incompétence. Son remplaçant, aidé par le héros, sera à l’origine de l’érection d’une nouvelle ville, Bomengo qui va effacer moult maux et malaises de Cefa.

La mort sur terre et dans l’au-delà

La mort dans Le compte à rebours se découvre sous un angle double qui donne une autre dimension au roman. Le héros se confronte à la mort de son oncle grand-père enterré avec tous les honneurs. Aussi, se confronte-t-il à la réalité des us et coutumes de son pays avec l’existence des cimetières fondée sur la ségrégation.

Même mort, l’oncle de Zambo subira la loi du tribalisme. On interdira à ce dernier d’enterrer son parent dans le cimetière des « sudistes » car étant du nord. Et cette mort démontre comment il est difficile de se séparer de certaines coutumes héritées de la tradition, surtout en ce qui concerne l’héritage : « ma tante (…) réclama sa part de l’héritage. Elle choisit quelques pagnes (…) de la veuve pour en faire sa propriété » (p46).

Mais la mort prend une autre dimension dans le merveilleux que l’auteur introduit dans le texte à travers le séjour du mort-vivant Zambo devant le tribunal de Dieu où les hommes, toutes classes sociales confondues, sont jugés en fonction de leur comportement sur terre. Le héros, foudroyé par une crise, est tombé dans un sommeil où se réalise un cauchemar qui met en relief sa mort, ses obsèques.

Ce rêve du mort-vivant Zambo apparait comme un conte où l’irréel devient réel. Celui-ci nous emmène dans la prophétie biblique de la situation de l’homme après la mort : il doit aller au paradis, au purgatoire ou en enfer selon sa conduite sur terre. Et comme le spécifie son préfacier, « Le compte à rebours trouve ici véritablement son sens où chacun est obligé de récolter les fruits de ce qu’il aura semé dans le monde des vivants » (p.12). Ce livre, où parfois la réalité référentielle prend le dessus sur la fiction, fait de son auteur un romancier pédagogue, un écrivain à part entière, qui voudrait moraliser la société.

S’il est un roman congolais véritablement engageant, c’est Le compte à rebours. Son auteur décrit explicitement le social et le politique sans langue de bois, dénonce sans fausse honte ce que les autres écrivains semblent décrier implicitement. Avec ce roman, l’arrogance de l’homme politique africain, la fourberie des pasteurs sont ouvertement décriées. Ce récit, une critique sociopolitique d’un écrivain pédagogue qui prône la vertu et réveille les consciences.

Noël Kodia-Ramata

Biobibliographie de l’auteur

Ernest Bompoma Ikele a enseigné le français dans les lycées de Brazzaville avant d’être au service de l’Administration après son passage à l’ENAM (Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature). Très actif dans le monde littéraire, il est le président-coordonnateur du Forum des Gens de Lettres du Congo jusqu’au 6 février 2018, date de son décès consécutif à une crise cardiaque.

(1) Publications : Le chaos (nouvelles) éd. L’Harmattan, Paris, 2012, Le compte à rebours, (roman), éd. L’Harmattan, Paris, 2015 et La République des renards (roman), éd. L’Harmattan, Paris, 2016.

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