Dix textes très brefs qui peuvent être considérés comme une suite logique d’un macro-récit avec des narrateurs anonymes qui se présentent de l’intérieur, en dehors des héroïnes de « Mort en fondu enchainé » et « Morts en chorale ». Tous les textes sont caractérisés par les images de la guerre et de la mort qui accompagnent tous les personnages dans leur vécu quotidien. No comment (Sans commentaire) se lit comme un tableau où les narrateurs et narratrices ne vont pas de main morte pour exprimer leur amertume vis-à-vis des horreurs qu’ils vivent dans cette ville dévasté par la guerre civile. Déjà dans le texte éponyme, nous avons le héros-narrateur, un sculpteur en présence d’un homme qui se bat contre la mort, fil conducteur de toutes les nouvelles qui révèlent une écriture atypique où la poésie semble s’imposer sur la prose.
Les héros au centre de la guerre
No comment (Sans commentaire) peut être défini comme une succession des récits de la mort ou la guerre occupe une place prépondérante. Au cours de celle-ci les moyens de destruction massive sont mis en valeur, à la grande stupéfaction des héros qui se confrontent à l’horreur : « Le missile l’avait fondu du haut en bas, le transformant en un geyser de sang, de chair et de miettes d’os » (p.18). Cette horreur de la guerre avec des scènes insoutenables se répète presque dans tous les textes. Dans « Jours de noces intemporelles », on voit comment le narrateur décrit un après-combat synonyme d’hécatombe : « Tous les membres de l’unité avaient succombé. Leurs viscères mêlés inextricablement, étalés comme une toile d’araignée géante, accueillaient telles des mouches, leurs corps éparpillés, déchiquetés par la funeste explosion » (p.33). Cette ambiance morbide est aussi répétée dans « Refus de refus » et « Ma ville si vile ». Tous les héros-narrateurs ainsi que leurs proches subissent la guerre en étant souvent martyrisés par les miliciens qui commettent tueries, viols et autres sévices. Au cours de cette guerre qui s’avère être le thème centrale de l’œuvre de Rémy Mongo-Etsion, le milicien est l’acteur principal qui distribue la mort aux populations : « Vieillards confondus : vieilles et vieux (…) ignoblement violés, bébés pilés, nourrissons et enfants puceaux déniaisés, (…) placentas grillés et dégustés en lieu et place par ce milicien sans foi ni loi » (pp.63-64). La bestialité du milicien est aussi mise en relief à travers le viol de la femme du boucher dans « Morts en chorale », mauvais comportement qui serait à l’origine de sa mort, comme se le demande Wayi dans la correspondance qu’elle adresse à son amie Dzia : « Crime passionnel ? Vengeance conjointe du mari cocu et l’épouse souillée, avilie ? Pour le moment nul ne le sait » (p.52).
La femme dans les horreurs de la guerre
Dans tous les récits où elle est présente, la femme subit les atrocités de la guerre. Et dans les univers romanesques définis par les dix nouvelles, elle s’auto-présente quand elle raconte ses propres aventures (« Morts en fondu enchaîné » et « Morts en chorale ») et dépend d’un autre narrateur qui rapporte ses tribulations pendant la guerre. Dans « Jour de noces intemporelles », une femme est fauchée par une rafale et c’est son fiancée qui rapporte son histoire et qui ne l’abandonne pas. La mort que tout le monde veut éviter est parfois paradoxalement souhaitée dans « Morts en fondu enchaîné ». L’héroïne ne peut pas supporter son enfance pourrie par une tante pédophile et lesbienne. Ayant perdu aussi sa jambe droite suite à l’éclat d’un obus, elle se trouve dans une situation pénible qui la pousse à abréger sa vie : « La mort est-elle morte Estelle ? Je l’ai toujours appelée. De toutes mes fibres. Cherchée. (…) jamais elle ne vient. Elle ne répond. » (p.39). Mais la souffrance de la femme pendant la guerre est très extériorisée par Wagy dans la longue correspondance qu’elle adresse à son amie Dzia (cf. « Morts en chorale »). La souffrance de la femme nous fait aussi penser à la mère de l’héroïne de « Amnesis, enfant de nulle part sans nom » : « Sa mère était morte en couche (…) Elle était en plein travail (…) quand venus d’on ne sait où, des éclats d’obus assassins mirent outrageusement et sauvagement un point final à son labeur » (p.21). Dans No comment (Sans commentaire), les femmes ne trouvent pas le plaisir de vivre dans cette ville en pleine guerre. Elles côtoient la mort et le viol. Même Ilili qui a des ambitions de devenir institutrice puis députée dans « Un fiel trop sourd », verra son destin arrêté par la guerre.
L’euphorie du récit nous plonge dans des mésaventures rapportées dans une langue soutenue qui tire sa quintessence dans la poésie et qui construit une intertextualité entre les dix nouvelles. Des textes qui transmettent et se transmettent.
No comment (Sans commentaire) : la poésie au service de la prose
S’il y a des textes congolais qui privilégient le travail au niveau de leur dimension littérale, No comment (Sans commentaire) fait partie de cette catégorie. S’y découvre une musicalité et une poésie à travers l’utilisation de moult figures de style ; à ce propos on est interpelé par la technique de l’allitération et de la répétition qui sans cesse revient dans presque tous les textes : « C’est rude, dru et dur ? » (p.27), « Une ville sans égouts. Une ville de dégoût » (p.45), « L’amer me ramenait (…) à la mer de ma mère » (p.60), « le sang. Droit de et du sang. Devoir de sang. Pouvoir de sang. Vouloir de sang. Mouroir de sang. Normes du sang. Soleil de et du sang » (p.69). La prose de Mongo-Etsion se nourrit abondamment de la poésie et les mots dans ses récits sont comme des noix qu’il faut casser pour savourer leur substantifique moelle. Tel un peintre, il illustre ses textes avec des images tirées du naturel comme dans « Con damne » : « J’ai secoué le manteau du ciel, des étoiles me sont tombées en pluie de mots, de mots-étoiles » (p.30). Aussi, cette musicalité poétique se révèle dans la prolifération des phrases elliptiques qui est l’une des caractéristiques de l’auteur : « Une forme. Informe à priori. Une forme d’humain en robe. Mon regard. Zoom. Détails. Descriptif. Tête ronde. Tournure. Crucifix pectoral. » (p.65). Le travail au niveau de la littéralité du texte chez Mongo-Etsion est tellement fourni, surtout du côté du vocabulaire recherché qu’il pousse le lecteur à revisiter, à certains moments de la lecture, le dictionnaire pour comprendre le fond des textes.
Avec No comment (Sans commentaire), la prose congolaise tente d’écrire une nouvelle page de son histoire en poursuivant sa révolution scripturale qui fait que certains poètes et romanciers s’écartent petit à petit du dogme traditionnel longtemps encore respecté par la majorité des écrivains.
- No comment (Sans commentaire), Rémy Mongo-Etsion, éd. Chapitre.com, Paris, 2016. 15€