Littérature : à tous ceux qui sont nés d’une femme

C’est depuis belle lurette que les femmes se battent pour l’amélioration de leur condition humaine. Et, pas de doute, l’inspiration du roman d’Assia-Printemps Gibirila intitulé Elles, publié aux éditions les plumes d’Ocris, est tirée et traverse cette longue lutte séculaire. Cet ouvrage à l’écriture simple est un véritable hommage à celles qui accouchent la vie. Celles qui à ce jour, dans certaines régions de la planète, continuent d’obtenir le droit de vivre au prix de leur sang.

Dès le début, l’auteure nous rafraîchit la mémoire à travers le souvenir sombre de la période où en 1857 aux États-Unis, la Cour suprême déclarait « qu’un noir même libre ne peut être citoyen des États-Unis ». Un moment de l’histoire de ce pays où « être femme et noire est de toute évidence, une double-peine ». Puis vient le mouvement des petites femmes aux godillots. Ces dernières qui, lassées d’être sous payées et reléguées « au rang de rien », entre en grève, allant même jusqu’à celle du sexe, pour espérer se faire entendre. Les hommes boudent car « les lits ne sont plus réchauffés par l’ardeur et la chaleur de leurs étreintes nocturnes ».

Face aux magnats de l’industrie qui se gaussent, se disant que la faim aura raison de ce mouvement de révolte féminine, les femmes tiennent bon et payent un lourd tribut pour obtenir certaines avancées. Plus loin, Johanna, jeune fille adolescente, est obligée, au décès de son père qui était mineur, d’aller travailler à la mine pour aider sa mère à subvenir aux besoins de ses enfants. Étant l’aînée d’une famille de six filles, qui pourrait bien être lorraine, la mineure devient « une jeune fille responsable, du moins co-responsable d’une famille écorchée par la mort ». Le courage de descendre à la mine à son âge et bosser dur lui vient de l’idée de ramener du pain à la maison et aider sa mère. Elle devient contremaître en second et progresse à la force du poignet.
Avec Elles, Assia-Printemps Gibirila signe un texte prégnant qui non seulement parle de la femme, mais surtout des femmes de tous les continents. Khîo est une bourgeoise japonaise dont la vie est toute tracée. Pourtant, elle a suffisamment de recul pour percevoir la misère des autres de son palais, allant jusqu’à avouer : « je m’ennuie dans cette prison dorée ». Comme les autres principaux personnages, cette unique fille de la richissime famille Kyoto-Gosho aime son prochain et est prête à se battre pour l’amélioration du sort de celles pour qui « vivre doit être synonyme de combat ».
Dans cette œuvre encourageante et parfois utopiste, Diawara l’africaine est celle qui lutte contre la pratique de l’excision. « En me sectionnant un bout de mon intimité, on me faisait entrer, avec souffrance dans, le monde des presque femmes ». Difficile pour cette jeune fille lorsque l’espace d’expression de la femme dans cette société traditionaliste est quasi inexistant. « Où est donc ma place dans cette société, qui, au nom des traditions est prête à sacrifier la vie, en faisant couler le sang de ces jeunes filles ? » Comme toutes les héroïnes, elle s’extirpe de la rigidité sociétale et adhère à une organisation de lutte contre ces traditions d’un autre âge. A travers « les femmes-lionnes », Diawara va expliquer aux autres que l’avenir de la femme est dans le combat.
Du coté de l’Inde, Shanka va se dresser contre l’horreur de la condition de la femme indienne. Attendue garçon, elle a le tort d’être née fille. C’est synonyme de malédiction pour cette société castée. A 14 ans, elle se retrouve dans un lieu exclusivement féminin, « le village sombre ». Dans cet endroit résurrectionnel, chaque femme est une blessure. Devenue infirmière, Shanka va avec « le mouvement des Saris roses » s’impliquer pour cicatriser chacune d’elle. Un mouvement qui les éloigne définitivement de la souffrance, de la martyrisation, des viols, des violences, des immolations et du silence.

L’écrivaine afro-asiatique, qui a fait de la femme son matériau exclusif pour son cinquième ouvrage, nous a produit un roman à la narration alternée et itinérante. Sa force est d’avoir su redonner du sens à la journée du 8 mars qui célèbre mondialement les droits des femmes. Mais également, d’avoir montré que toutes les traditions ne sont pas forcément à mettre à la poubelle. Si Diawara l’africaine et Shanka l’indienne aspirent à se défaire des chaînes ancestrales, Kikukuana, l’inuite du nord du Canada, tient à la préservation de la tradition. Avec le mouvement « la nature a ses droits…Respectons les, respectons nous », Kikukuana et les autres femmes se battent contre les méfaits du modernisme, pour préserver leur cadre de vie.
Disons que dans ce livre, Gibirila met en mouvement des militantes qui se battent pour le droit d’avoir une vie normale. Il s’achève par une chronologie des moments importants qui ont marqué la longue marche vers l’égalité. Du reste, il y a fort à parier que l’auteure a de vrais motifs d’indignation que l’écriture lui a permis de contenir, afin d’offrir une œuvre destinée à tous ceux qui sont nés d’une femme.

Elles, d’Assia-Printemps Gibirila, éditions les plumes d’Ocris, 136 pages, 14 euros.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *