TRIBUNE. Ayant fini le tour des rédactions sur le massacre des civils à Ndjamena de ce jeudi noir, il m’a été impossible de fermer l’œil sans brailler mon désarroi.
« Au Tchad l’enjeux aujourd’hui n’est pas de veiller au respect de l’Etat de droit qui n’y a d’ailleurs jamais existé, mais d’assurer la stabilité du pays afin qu’il ne sombre pas sous la pression djihadiste. » Cette phrase entendue d’un colonel français auréolé du titre de géopoliticien de l’armée m’a désarçonné.
Stabilité contre démocratie?
Où est ce qu’on va chercher ces concepts bidons pour l’Afrique? Mais je vais en surprendre certains, car ce raisonnement est le même que développent les panafricarusses à la mode, disant qu’il fallait laisser Kadhafi au pouvoir parce qu’il assurait la stabilité de la région. C’est exactement le même type de pensées : le guide libyen devait donc aller au bout de l’extermination des insurgés de Bengazi et continuer sa politique tyrannique au nom de la stabilité de la région. Dieu de Baola !
Evidemment que je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement qu’il vienne des français ou des panafricarusses.
Khadafi s’il était resté au pouvoir au prix sans doute de milliers de morts à Bengazi, serait bien mort un jour lui-même. Même de mort naturelle, c’est la fin de chacun. Et comme il n’a pas bâti un Etat avec une classe politique autonome, responsable, se recyclant, avec des mécanismes gérant les conflits politiques, une justice d’Etat, comme il n’a pas laissé naitre une société civile, mais plutôt a forgé une nation d’esclaves à sa guise durant 42 ans, la désorganisation qui a suivi n’aurait pas pu être évitée. Ses armées qui étaient infestées de combattants issues des populations des pays voisins opposées à leurs régimes d’origines (djihadistes algériens, touaregs et maures, maliens, nigériens ou mauritaniens etc) ils auraient dans tous les cas explosés la région une fois libérés de Kadhafi. Qu’auraient proposé d’ailleurs les panafricarusses? Que le guide libyen soit éternel? Ou bien qu’il se fusse remplacé par son fils Seif pour maintenir la stabilité, ce qu’ils contestent justement au Tchad?
Ce raisonnement est nul à crever. Les fausses stabilités tenues par les dictateurs sont toujours en trompe-l’oeil, couvant des explosions encore plus violentes. Entre temps des vies sont brisées par cette gouvernance brutale, toute la société est ankylosée, attendant la libération pour exploser. Il fallait chasser Kadhafi plus tôt, il ne fallait pas mettre Déby fils mais chasser son père déjà. Il faut chasser tous les autocrates de la terre, ils n’ont jamais rien apporté de bon.
Ce qui s’est passé en Libye et se passe au Tchad, la fausse stabilité à coup de morts de temps en temps, de privation totale de libertés politiques, c’est ce qui pourrait arriver au Rwanda après le départ de Kagame, tout comme en Russie d’ailleurs et tous ces régimes d’hommes forts par qui tout commence et tout finit dans le pays. Après eux c’est le chaos. Peu importe la méthode de leur départ.
La stabilité, mon oeil ! Seule la justice doit être stable et intransigeante pour permettre au peuple d’exercer sa liberté de choisir ses dirigeants en toute transparence et régularité. Si des régimes aussi tyranniques ont déjà été profitable à un bout de l’humanité, qu’on nous les montre.
Et le communiqué du quai d’Orsay qui dit n’être « en rien impliqué dans ce qui se passe au Tchad », et qu’il « s’agit d’affaires internes », il est aussi risible qu’en face, avec les panafricarusses qui commencent les vidéos pour refuser la thèse de la stabilité au Tchad, thèse qu’ils soutiennent en Libye. Le pire pour ces derniers c’est lorsqu’ils vous disent qu’il faut laisser les peuples se débrouiller eux-mêmes (donc pas l’OTAN en Libye il fallait que Bengazi se défende à mains nues, pas de France au Tchad), mais appeler les russes, ça c’est super. C’est sûrement notre propre ethnie ça en fait. Je ne les appelle pas panafricarusses pour rien!
Il n’y a que la démocratie qui nous sauvera. Il faut nous battre pour elle. Le reste des thèses n’a jamais été démontré dans les temps modernes.
Par Hervé Mahicka
