Kovalin Tchibinda Kouangou, directeur de l’Observatoire panafricain de la tribalité

« La Tribalité est la gouvernance qui donne vie à la nation»

La restauration de la démocratie à travers la Constitution du 15 mars 1992 demeure le leitmotiv de Kovalin Tchibinda Kouangou, une personnalité politique issue du monde économique et fervent défenseur de la tribalité. Un nouveau concept qu’il oppose au tribalisme incarné, selon lui, par le pouvoir en place. Directeur de l’Observatoire de la tribalité, il est l’une des rares figures politiques congolaises restée constante dans ses positions vis-à-vis des autorités congolaises, qu’il n’a cessé de critiquer au point de leur dénier l’existence. Notre invité du mois a accepté de nous livrer son regard sur l’actualité congolaise et régionale avec son franc-parler qu’on lui connaît.

Pagesafrik (Starducongo) : Vous prônez la Tribalité comme seul recours contre le tribalisme. Pour ceux qui ne vous ont pas suivi jusqu’à présent, où se situe la différence entre ces deux notions?
Kovalin Tchibinda Kouangou
: Vous avez raison de me poser cette question, car de nombreuses personnes confondent le tribalisme et la tribalité. Avant de définir ces deux concepts, il est important de faire le constat suivant : en cinquante ans d’indépendance, le Congo-Brazzaville n’est pas encore une nation. La conscience nationale n’existe pas. Au Congo-Brazzaville, la tribu a une place prépondérante. Nous voulons donc construire une nation congolaise unie en partant de nos réalités sociologiques. Voilà pourquoi nous avons mis en place le concept de tribalité.
La tribalité est donc fondée sur l’héritage millénaire de nos tribus, forgé par des pratiques, des usages, des us et coutumes permettant de régler et réguler un « vivre ensemble ». Nous pensons en effet qu’il y a dans les us et coutumes des différents groupes ethnolinguistiques du Congo-Brazzaville, des moyens de trouver les conditions d’un « vivre ensemble » qui apportera la paix, le développement et la prospérité. A travers le concept de tribalité, nous sommes en train de redéfinir une nouvelle science politique africaine.
En réalité, la tribalité n’est pas nouvelle, elle a existé dans l’administration du royaume Kongo à travers le concept hautement symbolique du kimuntu.
Le tribalisme par contre est l’expression du rejet et du déni, y compris dans les actes meurtriers, de l’Autre qui n’appartient pas à la même communauté tribale. Et en cela le tribalisme tue la tribu (au sens propre et figuré) et l’idée même de nation, alors qu’au contraire la Tribalité est la gouvernance qui donne vie à la nation.
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« Nos thèses ont un grand écho au pays »
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Vous soutenez cette notion depuis quelques années. Il semble qu’elle n’ait pas vraiment séduit vos camarades opposants restés au pays. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que nous n’avons pas besoin de séduire qui que ce soit. Tout le monde sait qu’au Congo-Brazzaville, le pouvoir s’analyse en termes de Nord et Sud depuis notre accession à l’indépendance. Tout le monde sait que le pouvoir au Congo-Brazzaville est clanique. Aujourd’hui dans notre pays, le pouvoir est détenu par le Nord et notamment par les Mbochis. Nous avons d’ailleurs connu au cours des cinquante années des conflits meurtriers qui sont à l’origine de l’absence d’unité nationale.
Nos thèses ont un grand écho au pays. Je vous rappelle que l’oncle ou le cousin du dictateur de Brazzaville, Emmanuel Moka, a organisé en 2012 un débat sur le tribalisme. Cela montre que les débats que nous avons initiés à Paris ont eu un écho au pays. La nomination de Monsieur Yoka comme député de Vindza était un message à l’endroit des tenants de la tribalité. Les différents messages de fin d’année de Sassou contre le risque de scission nous sont également adressés.
Je voudrais d’ailleurs rappeler que c’est la politique clanique de Sassou qui risque de conduire le Congo-Brazzaville à la scission et non les propositions que je fais sur un meilleur vivre ensemble entre les Kongos, Tékés et Ngalas à travers la tribalité.
Je reconnais que le discours que je tiens à Paris n’est pas tenable à Brazzaville sans risquer sa vie. Voilà pourquoi certains opposants sur place au Congo sont discrets sur cette question de la Tribalité.

Prenons un exemple concret avec la Centrafrique, pays en proie à une crise politique doublée d’un nettoyage ethnique et confessionnel sans précédent. Dans quelle mesure la tribalité peut constituer une solution à cette crise ?
Le problème de la Centrafrique est presque identique à celui du Congo-Brazzaville. Il n’y a pas d’unité nationale et le pouvoir est géré entre le Nord et le Sud à travers les différents groupes ethnolinguistiques suivants : Les Bayas (30%), les Banda (25%), les Mandjas (20%). Il faut trouver un système politique qui va unir le pays en faisant naître une conscience nationale. Je propose pour ce pays des institutions avec une présidence tournante entre les groupes ethnolinguistiques. Les gens s’entretuent en Afrique à cause du pouvoir. Au lieu qu’un tyran se l’approprie et veuille le garder à vie, il faut mettre en place une alternance à l’africaine à travers la présidence tournante. Il appartient aux sociétés africaines de définir leur propre science politique, en mettant en place des institutions qui se basent sur nos réalités sociologiques plutôt que de copier des systèmes politiques occidentaux éloignés de nos réalités.
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« Au Congo-Brazzaville,
Le pouvoir s’analyse en termes de Nord et Sud
Depuis notre accession à l’indépendance
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Vous êtes très proche du Parti socialiste français et donc de François Hollande. La France a dû intervenir dans ce pays comme au Mali pour rétablir l’ordre. Comment expliquez-vous que les Africains ne parviennent pas à résoudre seuls les problèmes qui secouent le continent ?
Etant donné que les systèmes politiques installés dans nos pays ne sont pas compatibles avec nos réalités, seuls les garants de ces systèmes politiques importés peuvent résoudre les problèmes qui secouent l’Afrique. Pour que les Africains parviennent à résoudre leurs problèmes, Il est important de reprendre corps avec notre tribalité qui véhicule les moyens de résoudre les problèmes africains. Tant que cela ne sera pas fait, nous aurons toujours recours à des puissances étrangères.

Le président a nommé il y a un an une conseillère chargée du département des Congolais de l’étranger et a invité la diaspora à investir au pays. En tant que chef d’entreprise, quel est votre avis sur la politique du gouvernement à l’égard de la diaspora ? Peut-elle encourager les Congolais de l’étranger à investir chez eux ?
Je ne reconnais pas Sassou comme président du Congo-Brazzaville. Ce monsieur est un putschiste qui a massacré de nombreux Congolais, en particulier les Sudistes pour assouvir sa soif de pouvoir. Je ne peux donc répondre à votre question, puisque pour moi, le Congo-Brazzaville vit sous un régime infâme et dictatorial. Ce qu’il peut faire en termes de nomination ou de politique ne m’intéresse pas. Seul le combat pour la restauration de la démocratie à travers la Constitution du 15 mars 1992 m’importe.

Les pays africains s’acheminent vers de nouvelles élections présidentielles. Kabila promet de ne pas modifier la Constitution, Blaise Comparé compte le faire mais en concertation avec ses adversaires politiques, tandis que Sassou N’guesso ne s’est pas manifesté jusqu’à présent. Que vous inspire tout ce remue-ménage sur la scène africaine?
Ce remue-ménage est souvent le lot des dictateurs et des régimes autocratiques. Pour le cas du Congo, la Constitution taillée sur mesure de Sassou de 2002 n’est pas légale. S’il modifie ou non sa Constitution, cela ne change en rien le caractère illégitime de son régime. Il importe de le faire partir du pouvoir par tous les moyens et je dis bien par tous les moyens.

L’opposition congolaise a longtemps plaidé pour «les États généraux de la nation » avant de se résoudre à autre chose. Quelle est votre position sur cette question très sensible ?
Pour moi, on n’organise pas les états généraux avec un président autoproclamé, auto-élu, criminel de guerre qui devrait d’ailleurs être traduit à la Cour pénale internationale pour répondre de ses crimes.
Pour ne pas hypothéquer l’avenir du Congo-Brazzaville, le tyran en place doit partir par tous les moyens.
Après son départ du pouvoir, les forces vives de la nation pourraient se retrouver autour d’un forum pour discuter ensemble de l’avenir du pays et surtout de notre désir ou non de continuer à vivre ensemble.
Propos recueillis par Martin Kam et Alain Bouithy.

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