Les amoureux du cinéma ont célébré, du 17 au 21 novembre 2015 à Brazzaville, le cinquantenaire de leur art à travers des projections de films et des tables rondes autour de quelques cinéastes comme Rufin Mbou Mikima, Amour Sauveur, Jean Romuald Mambou, Jean Blaise Bilombo Samba, Yana Dhelo, Nadège Batou, Claudia Haïdara Yoka. La rédaction de Pagesafrik/starducongo a rencontré à cet effet l’artiste comédien et cinéaste, Arsène Fortuné Batéza.
Pendant plusieurs années, le cinéma congolais n’a plus existé. C’est seulement maintenant que les gens essaient de lui redonner un semblant de vie à travers des films de fiction et des documentaires. Cependant, le cinéma congolais, il faut le dire, existe avec beaucoup de manquements, principalement au niveau de la formation.
Il est important de former des techniciens, je veux parler de réalisateurs qui sont la base d’un film et des chefs opérateurs. La formation est nécessaire également pour les acteurs qui interprètent les rôles. Je puis affirmer que des mauvais acteurs ne peuvent pas faire de bons films quelle que soit la force du scénario. Après le problème de formation se pose en bonne place celui de la diffusion. Pour cela, le ministère de la culture doit s’impliquer et que l’Etat prenne ses responsabilités et s’investisse pour le développement du cinéma congolais.
Pourquoi parlez-vous de déficit alors que la production semble bien se porter?
A.F.B :Les films sont produits, c’est vrai mais je peux vous faire la démonstration des faiblesses de notre cinéma par rapport à la formation. Si nos techniciens étaient bien formés, on aurait de très bons résultats. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de bons films mais il faut améliorer avec de meilleurs castings d’acteurs.
Je déplore d’abord et je le répète, le ministère de la culture doit tourner son regard vers la culture parce qu’il ne regarde pas dans cette direction. Le cinéma a besoin de l’aide du ministère. Le cinéma est un secteur de création d’emplois et au moment où le gouvernement parle de création d’emplois des jeunes, on devrait renforcer ce secteur. Je vous informe que si les cinéastes ont des moyens, ce serait une partie du problème d’emploi déjà réglé.
Comment prévoyez-vous ce cinéma dans les cinquante années à venir si l’occasion vous était donnée de vous projeter dans le futur ?
A.F.B :Il y a, à mon avis, et comme on dit, un problème de travail car qui ne travaille pas ne mange pas. Pour les cinquante ans à venir, le cinéma peut se bonifier si dès aujourd’hui, on pense à la formation, à la prise en charge et à la responsabilité de l’Etat vis-à-vis des artistes. Je persiste et signe que les artistes ont besoin de l’aide du ministère de la culture et des arts. Je fais l’effort de ne plus revenir au débat des salles de spectacles, j’ai souvent pensé qu’il faut repenser la politique culturelle du pays.
Est-il vrai que les congolais sont plus forts en documentaires ?
A.F.B : Je ne dirais pas la même chose. Je reconnais qu’il y a beaucoup plus de documentaires produits par le Congo que de fiction. Le film fiction est très délicat, il demande un script rigoureux, un scénario bien construit, un bon casting et des acteurs à payer. Ce qui signifie qu’il faut avoir beaucoup d’argent.
En outre, le film documentaire présente certains avantages de tournage. Déjà, on n’a pas besoin d’acteurs de fiction, on n’a pas besoin de simuler. Avec une caméra, on peut tourner dans Brazzaville et faire un documentaire en une journée. C’est ce qui fait qu’il y ait plus de documentaires que de films de fiction. Il n’y a pas de doute que les congolais font aussi du bon film fiction et de très bonne qualité et les films documentaires congolais sont très appréciés parce que le film documentaire présente une certaine originalité.
Peut-on se permettre d’affirmer que le film fiction est l’affaire de ceux qui détiennent le nerf de la guerre ?
A.F.B : C’est vrai, il y a aussi ce problème. Il y a des gens au Congo qui ont les moyens de produire des films et qui les réalisent eux-mêmes, sauf qu’il se pose à ce moment un déficit de qualité et une baisse de rigueur dans le travail qu’ils réalisent. Ils sont eux-mêmes garants de leurs films. Je me souviens avoir fait un film demandé par l’OIF, il y avait beaucoup d’exigences et il fallait reprendre le travail toutes les semaines.
Y’a-t-il des sponsors à votre chevet ?
A.F.B : Les sponsors n’interviennent pas souvent. Un festival sur les cinquante ans du cinéma se tient à Brazzaville, vous voyez la peau congrue de sponsors. Quatre. Il faut avouer que les annonceurs n’accompagnent pas souvent les activités culturelles. C’est peut-être dû aux idées préconçues, ils se demandent si ce que nous produisons est de bonne qualité, si ça vaut la peine d’être produit et si ça peut plaire.
Cependant, les mêmes sponsors sont prêts à donner de l’argent aux acteurs étrangers qui viennent au Congo parce qu’ils sont déjà célèbres. Ils sont convaincus qu’ils font du travail de qualité mais parfois, c’est nous qui les recevons et qui leur apportons notre expertise. Ils ont également la chance d’être poussés par les médias sur la scène internationale.
J’ai déjà partagé le plateau avec des artistes plus connus que moi mais qui ont reconnu mon travail. Ils ont reconnu que j’avais tout le talent qu’ils avaient. Mais combien de personnes nous connaissent au Congo ? Il faut reconnaitre que le sponsor ne vient pas pour perdre mais ils n’ont pas le goût du risque chez nous et ils préfèrent ce qui vient d’ailleurs.
Propos recueillis par Florent Sogni Zaou