A l’entame on pourrait croire à une lecture salace qui contraste avec la dédicace faite à Alexandre Dzéla Passy. Non, non, loin de là ! Dans Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville, Noël Kodia-Ramata nous raconte son histoire en 1997. Celle-ci nous est décrite comme : « Une grosse fesse de nos souffrances, notre pénitence dans un Congo qui le regarde de ses guerres. » Une histoire secouée avec insistance par le sang à l’aube du 5 juin 1997, jour ou « le ciel a ouvert son vagin pour enfanter le malheur d’aujourd’hui et peut-être de demain. » L’auteur n’y va pas par quatre chemins pour évoquer l’irruption de la barbarie humaine ce jour maudit dans sa vie et celle de ses compatriotes. Il nous révèle à travers un récit authentique la profondeur de la bêtise humaine au cœur de la folie meurtrière de la guerre. Un récit poétique qui au fil des strophes de longueurs différentes « pète le désespoir. »
L’HISTOIRE MALHEUREUSE DU CONGO SE REPETE
Ce recueil de poésie baigne essentiellement dans le sang qui se veut une référence historique non négligeable. Le sang, symbole de la mort, de la cruauté, de la violence. En effet, dans son texte, le poète Kodia-Ramata fait allusion à des moments-sombres de l’histoire du Congo, parmi lesquels le lâche assassinat du président Marien Ngouabi en 1977. A la mort de ce dernier peuvent s’adjoindre d’autres moments lugubres de cette histoire comme l’exécution du cardinal Emile Biayenda…Et, l’auteur d’admettre : « Nous avons sodomisé la paix. » (Page 14).
Le destin de l’auteur fuyant la guerre et celui de sa famille cheminent désormais avec Brazzaville sous les obus. Le sombre quotidien de cette femme, Brazzaville, qui a donné naissance à des monstres défile tel un reportage de celui qui a vécu l’horreur de l’intérieur. A l’instar du prophète Jérémie qui fait dire à la fille de Sion ayant perdu ses valeurs intrinsèques : « Malheureuse que je suis ! Je succombe sous les meurtriers », le poète, lui, excipe un Congo qui, de tout temps, dévore ses propres enfants. Mais nonobstant la douleur, la peine ou la souffrance, le poète par la sagacité de sa plume qui n’est pas enfermée dans les rimes, n’hésite pas à créer les effets de contraste qui dédramatisent le récit, enlève au texte sa valeur tragique et, soudainement, change de registre. On passe du tragique au lyrique. De l’élégie on passe brutalement au sentimental grâce à l’amour qui, de tout temps se veut une force constructive et modératrice. Cet amour que chante l’auteur au milieu de la douleur et qu’arrose la saison sèche est, en effet, face à la mort, l’unique répit lointain venant de Léo (Kinshasa) ou,
«…la fumée de l’amour des sexes
S’éparpille dans la lumière de ses lampadaires
Les rythmes d’amour fatigués d’insomnie
Nous arrivent rampant sur la peau rugueuse
D’un fleuve cramponné aux Congo ya sika
Les eaux sont accrochés à la rumba du soir. » (4eme strophe)
UNE GUERRE ENTRE DIEU ET SATAN
Pas de doute, le texte entrecoupé affirme que Dieu d’un coté, et Satan de l’autre, sont sur la scène. « La guerre est sortie de la gueule de Lucifer » tandis que le Sud de Brazzaville, une zone épargnée par les combats, est protégé « par l’œil de Dieu. » Une opposition d’esprits présentés dans la douleur comme deux forces égales. Mais en réalité, qui met en évidence l’effritement de la foi humaine face au danger mortel. Pourtant, dans le livre biblique du prophète Amos, il est écrit : « Arrive-t-il un malheur dans une ville, sans que l’Éternel en soit l’auteur ? » Ceci laisse à penser que dans cette foi obscurcie par la mort, ou le Mal semble l’emporter sur le Bien, le poète n’entend plus le prophète. Au point d’affirmer dans sa fuite brûlante vers un secteur en paix :
« L’Espoir et le Désespoir s’affrontent devant nous
L’Espoir à genoux devant le Désespoir, pleure. »
Puis, en dépit de la souffrance qui avait entravé ses repères, le poète ressuscite sa foi en un Dieu tout puissant et reconnaît que : « Satan défie la grandeur de Dieu Le Père. » (page 19)
Cela, dans un drame ou tous les hommes, sans exception, « marchent l’Ave Maria suspendu à leur bouche aux haleines de la mort. » (page 20)
DANS TOUTE SA VIANDE DE FEMME AU TRIANGLE VELU
C’est sans retenue que la problématique du viol durant les conflits armés parsème ce recueil de poésie. En cela, cette guerre atroce n’a pas dérogé à la règle de ces absurdités, mise en vitrine par le récit. Dans cette folie, les personnes violées ne sont tout de même pas choisies au hasard par leurs bourreaux. Souvent, c’est l’ethnie qui détermine la victime.
« Dans toute sa viande de femme au triangle velu
Qui se remarque au cœur de son entrejambe.
Elle appartient au royaume Batéké. »
UN ENFANT SOLDAT PUE LE CHANVRE DE TOUT SON CORPS
Et au fil de ce poème à rythmes variés, nous sommes également au cœur du drame des enfants soldats. A travers une jeunesse qui porte la mort en bandoulière dans Brazzaville qui :
«A ouvert grandement ses cuisses
Au sexe de la mort en érection
Et demain naîtront d’autres bâtards
Bâtards enfants-soldats, » vidés de leur humanité remplacée par la drogue et l’horreur…
Après avoir atteint la cité rurale paisible de Missafou ou il restera une saison, le poète revint vivant à Brazzaville lorsque les armes prirent congés des hommes. Dans ce recueil de poésie réussi en une quarantaine de strophes, Noël Kodia-Ramata conte sa sortie de Brazzaville sous les bombes, et sans ménagement, les crudités de ce qu’il a vécu durant l’effroi. La guerre, le viol, le sida, les armes, le rire insolent et brutal des enfants soldats, la folie des hommes politiques, l’impuissance de la nature et des astres à sauver l’homme, la quête de la paix et l’attente des lendemains africains meilleurs, qui tardent à venir, meublent ce témoignage poignant. Une nuit sombre que l’auteur a traversé avec son épouse Célestine et ses enfants Amélia, Galia, Paule-Irène et Olivier, fuyant les ténèbres de son quartier Ouenzé qui l’a vu naître. Des ténèbres qui ont de nouveau recouvert Brazzaville le 16 décembre 2013 plusieurs heures durant, lors de l’interpellation du colonel Marcel Ntsourou. Un lundi noir qui fit des dizaines de morts à l’arme lourde dans une ville de Brazzaville en attente de la délivrance de Dieu Le Père. Elle fut le théâtre d’un feu meurtrier de la part de ceux qui, la main sur le cœur, avaient dit, quelques années auparavant « Plus jamais ça.» Et qui ce jour là, ont encore fait « ça.»
Aussi, sans occulter l’Espoir qui habite tout de même le poète, cette triste journée rappelle sa prudence :
« Je revois ce futur brisé dans le passé.
Coupables dans la beauté du mal réalisé
Ils sont là, ces ouvriers de la politique. » (page 42)