Eminent professeur d’ophtalmologie et recteur de l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), Enrique Graue Wiechers a donné une conférence, mardi 3 janvier à Rabat, dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de l’Université Mohammed V de Rabat.
La rencontre, organisée en collaboration avec le centre CAPAIUL, a porté sur le rôle social de l’université dans les pays émergents et les opportunités qu’elle offre au dialogue et à la coopération Sud-Sud. Membre du Conseil national pour la prévention des maladies oculaires, le Dr Graue est aussi président du Conseil mexicain d’ophtalmologie, de l’Association panaméricaine d´ophtalmologie, de l’International Council of Ophthalmology et du World Ophthalmology Congress.
Il est, par ailleurs, membre de l’Académie royale de médecine d’Espagne et du Fellow of the Royal College of physicians (Angleterre) ainsi que membre actif de l’Association for research vision in ophthalmology.
Pagesafrik : Vous aviez visité le Maroc pour la première fois il y a 40 ans. Comment l’avez vous trouvé aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé, selon vous?
Enrique Graue Wiechers : Je suis effectivement venu pour la première fois au Maroc, il y a de cela quarante ans. A l’époque, j’avais visité les villes de Casablanca, Tanger, Fès et Marrakech; mais, c’est la première fois que je mets les pieds à Rabat.
Je constate que le Maroc a beaucoup changé, il est totalement différent de celui que j’ai connu dans le passé, à une époque où les médinas, les souks et l’agriculture étaient encore peu développés. Aujourd’hui, on trouve de superbes autoroutes, les surfaces cultivées sont beaucoup plus grandes et nombreuses, les services publics sont présents sur tout le territoire national, les villes sont plus propres et mieux entretenues. Je constate aussi que l’industrialisation du pays s’accélère. C’est un Maroc tout à fait différent.
Vous avez animé une conférence à Rabat sur le rôle social de l’université dans les pays émergents, à l’occasion du 60ème anniversaire de l’UM5. Quelle est votre appréciation de ce rôle ?
L’université publique joue un rôle très important dans le développement d’un pays, dans ce sens qu’elle offre aux étudiants issus de milieux socioéconomiques modestes la possibilité d’accéder à des études supérieures. C’est un rôle social que l’université doit préserver. Elle joue également un rôle dans la création de la connaissance ainsi que dans la recherche en matière de sciences exactes et de sciences sociales et, à mon avis, la recherche dans ces différents domaines doit bénéficier de l’appui de l’Etat.
A propos du rôle social que vous évoquiez, croyez-vous que les universités publiques l’assument suffisamment ?
Ce n’est pas suffisant. Cela dit, nous faisons continuellement des progrès dans ce domaine pour préserver ce rôle.
Vous êtes aussi intervenu sur les opportunités qu’offrent les universités au dialogue et à la coopération. A ce propos, pensez-vous que le dialogue Sud-Sud a vraiment évolué au cours des dernières années?
A mon avis, le dialogue Sud-Sud n’a pas suffisamment évolué pour la simple raison que nous étions plus portés sur le dialogue Nord-Sud. Il y a eu bien sûr quelques échanges, mais j’estime qu’ils n’étaient pas suffisants.
Quoi qu’il en soit, le monde tel qu’il est aujourd’hui exige que ces dialogues soient intensifiés. Car, c’est à travers eux que nous pouvons comprendre nos besoins de développement réciproques, dissiper les incompréhensions avec nos voisins du Nord et promouvoir les besoins d’éducation. Aujourd’hui et plus que jamais, il est important de dialoguer.
Que faut-il alors faire pour renforcer ce dialogue que bien des politiques appellent de leur vœu? Quels sont les moyens dont vous disposez pour le renforcer et à quel niveau doit-on intervenir ?
Je pense que nous devions souvent communiquer pour définir les priorités et identifier nos forces et faiblesses dans l’objectif de consolider nos relations et progresser sur des projets d’avenir.
C’est ce que nous avons fait en arrivant ici. Nous avons signé les protocoles d’accord relatifs aux chaires Graciela Hierro et Fatima Mernissi des droits de l’Homme et de la parité en vue de renforcer nos relations et mieux nous connaître car, nous avons besoin de bien connaître le monde arabe et le Maroc a besoin de mieux connaître les spécificités des pays latino-américains.
Autre exemple, la visite du président de l’Université Mohammed V, Said Amzazi, au Mexique, a permis de trouver un axe de collaboration dans le domaine des sciences du génome et de la médecine génomique. Nous allons développer une collaboration bilatérale pour établir une nouvelle licence et éventuellement la double titularisation.
Nous avons également examiné la possibilité de collaborer concrètement dans les domaines des énergies renouvelables où le Maroc est très avancé et nous avons aussi réalisé d’importants progrès dans bien des domaines. Je pense qu’une fois la mobilité académique établie, d’autres points d’accord seront examinés et nous permettront de collaborer plus étroitement dans des domaines d’intérêts communs.
En outre, le Dr Luis de la Barreta du Centre d’études des droits humains et le président du Conseil national des droits de l’Homme, Driss El Yazami, ont examiné la possibilité de renforcer les études en la matière à travers Internet et de créer des spécialisations au niveau du master.
Ces chaires portent justement sur les droits de l’Homme, la parité et l’immigration. Pensez-vous que le Maroc a évolué sur ces questions ?
L’impression que nous avons eue après notre entretien avec M. Amzazi, laisse penser que les choses évoluent dans le bon sens. J’estime que le Maroc doit poursuivre ses efforts en matière de droits de l’Homme, qu’il faudra penser à ceux des homosexuels et veiller à ce que les femmes prennent elles-mêmes des décisions concernant leurs propres corps.
A mon avis, ce sont là des problèmes sociaux où le Maroc doit continuellement faire des progrès. Bien qu’aucune société n’ait réussi à les résoudre entièrement, le plus important est de toujours continuer à travailler.
Si le Maroc a enregistré des avancées importantes dans l’industrie et le commerce, il lui reste encore des défis à relever au niveau de l’enseignement moyen et supérieur qui sont d’ailleurs les mêmes que les nôtres. Je pense également que le Maroc doit veiller à l’égalité socioéconomique qui constitue l’un des défis du Mexique.
Etes-vous satisfait du niveau de coopération académique entre le Maroc et le Mexique ?
Pour le moment, je dirais que nous sommes très contents de ce que nous avons obtenu lors de cette phase initiale.
Propos recueillis par Alain Bouithy