TRIBUNE. Il m’a été permis de lire sur le net un très bel article qui relate formidablement bien la situation actuelle en Libye. Un papier publié sous la plume du Grand Reporter Rodrigue Fenelon Massala sur le site eubriefs.com, le 23 juillet 2020, et dont voici les grandes lignes.
Jamais dans son histoire, la Libye n’a été malmenée par plusieurs interventions étrangères simultanées qu’au jour d’aujourd’hui. Jamais dans son histoire, ce fleuron de l’Afrique du Nord n’a suscité autant de convoitises étrangères. Certes, de par son emplacement géostratégique important, la Libye a survécu aux multiples dominations allant de l’empire romain jusqu’au régent italien, en passant par les empires byzantin et ottoman.
A première vue, la situation semble dépasser aujourd’hui les Libyens eux-mêmes ; elle dépasse même aussi bien ceux qui gouvernent légitimement la Libye que ceux qui s’autoproclament représentants du peuple libyen par légitimité réelle ou supposée obtenue par des moyens que d’aucuns qualifient de répréhensibles et d’hérétiques.
L’auteur de cette modeste contribution n’est ni juge ni partie et son objectif n’est nullement de faire le procès des intentions des acteurs libyens internes, car ils ont à la fois tort et raison. Ils sont tous en quête d’une Libye prospère, et ils ont tous tort au sujet de la stratégie adoptée en vue d’y parvenir. Une solution pérenne de la crise libyenne ne peut et ne doit émaner que des Libyens eux-mêmes qui doivent se parler face à face, se dire toutes les vérités, même sans retenue, pour trouver une solution aux problèmes dont leur pays pâtit.
C’est cette synergie interne, et elle seule, qui est de nature à épargner à la Libye une catastrophe certaine. C’est cette synergie que les frères libyens doivent cultiver, adopter et ériger en unique stratégie de sortie de crise. Pour lui donner toutes les chances d’aboutir, il convient surtout de la préserver de toute ingérence étrangère. Au peuple libyen tout entier, nous pouvons dire : « vous connaissez mieux que quiconque les réelles intentions de l’ensemble des acteurs externes ». Aux deux camps qui se disputent la Libye, nous disons « attention au baiser de la mort! »
Les observateurs les plus avertis de la scène libyenne sont unanimes pour soutenir l’idée selon laquelle le sort de la Libye est devenu hypothéqué par les grandes puissances internationales et régionales. Ils s’accordent aussi sur le fait qu’à moins d’une réelle prise en charge des Libyens de leur sort par eux-mêmes, le scénario d’une partition de la Libye est en marche, fort malheureusement avec la bénédiction de ces mêmes puissances internationales.
Cependant, chacune de ces puissances dispose d’un agenda propre, et les Libyens en sont conscients, mais continuent, paradoxalement, de céder à leurs sirènes. Peut-être qu’en dehors de la synergie interne dont ils doivent se prévaloir, il ne leur reste que la logique du faible devant le fort, une logique contre laquelle se sont érigés plusieurs esprits de l’humanité, à l’instar de NIETZCHE et d’HEGEL.
Dans le même ordre d’idées, si le scénario d’un départage de la Libye en zones d’influence se concrétise, ceux qui tiennent la barre de la destinée de la Libye peuvent être certains que l’Histoire retiendra, de manière funeste, leurs noms comme architectes zélés de la division d’un pays resté uni et soudé, tout au long de son histoire, face aux menées impérialistes ; cette même Histoire qui retient, que le Lion du désert Omar AL MOKHTAR, a défendu bec et ongles son pays contre l’occupant italien, ce qui lui a valu de devenir un référentiel dans la mémoire collective, non seulement libyenne, mais également arabe.
Il est grand temps pour SERRAJ, HAFTAR, MECHRI, AGUILA, BACHAGHA et autres de relire l’histoire de leur pays et de marquer le pas et de se poser, en toute froideur d’esprit, la question suivante « qu’allons-nous léguer à la postérité et à nos enfants ? Et comment notre mémoire sera célébrée ? »,
Ceci étant, il va sans dire que le sort et l’avenir de la Libye n’appartiennent qu’aux Libyens ; les multiples initiatives pour une sortie de crise, y compris le processus de Berlin, doivent être prises avec précaution par les Libyens. Car toutes ces démarches émanent d’intérêts directs ou indirects de leurs promoteurs. Le seul accord ayant été obtenu suite à un réel dialogue inter-libyen reste, à ce jour, celui de Skhirat, un accord ayant été signé par les acteurs libyens.
Eu égard aux développements survenus sur la scène libyenne depuis 2015, les spécialistes de la gestion des conflits sont unanimes pour avancer que ce texte continue de constituer la seule solution viable pour le problème libyen, mais ils s’accordent également sur la nécessité de le revoir et de l’amender pour en faire l’instrument de sortie de crise.
C’est dans cette optique qu’il faudrait inscrire le processus de Berlin, dont les organisateurs ont sciemment évité de mentionner l’expression « Accord de Skhirat », mais ont été contraints, faute de mieux, de s’en inspirer en usant plutôt de la périphrase « Accord Politique libyen ». D’ailleurs, pour les spécialistes des questions internationales, au-delà des aspects apparentistes, l’esprit de l’Accord de Skhirat a guidé la rédaction des conclusions de Berlin, dont plusieurs alinéas se sont référés à des clauses de l’Accord de Skhirat.
Ainsi, le point 7 de la conférence de Berlin renvoie à cet accord, toujours sans le citer nommément. Le point 9 se réfère à l’article 34 de l’Accord de Skhirat sur les arrangements sécuritaires. Le point 13 évoque également l’article 34 de l’Accord de Skhirat relatif au démantèlement des milices et à la lutte contre les groupes terroristes. Mieux, le point 25 soutient, sans le citer, l’Accord de Skhirat comme cadre viable de règlement politique.
On retrouve aussi le renvoi à l’article 64 de l’Accord de Skhirat, relatif au dialogue politique libyen, mais cette fois, fort malheureusement, dans l’annexe du communiqué final de ladite conférence. Cette disposition syntaxique renseigne sur les intentions réelles des promoteurs de ce processus au sujet du dialogue entre frères libyens.
De ce qui précède, il est permis d’avancer que le processus de Berlin a péché par manque d’objectivité dans ses conclusions en raison de cette ambiguïté à l’endroit de l’Accord de Skhirat. Cette ambiguïté où les psychologues pourraient certainement déceler une attitude oscillant entre aversion et admiration.
Pour leur part, les spécialistes de l’analyse de contenu et de discours se rendront aisément compte que la disposition syntaxique du document de Berlin trahit la logique sémantique de ses rédacteurs qui ont éparpillé dans l’ensemble du texte les références à l’Accord de Skhirat. Cette logique discursive vise à diluer l’esprit Skhirat, et partant sa crédibilité, et dont la devise est le dialogue inter libyen indépendant.
On peut dès lors s’interroger si les architectes de ce processus avaient réellement pour intention d’instaurer un dialogue libo-libyen. Faut-il alors s’étonner de ce qu’aucun dialogue réel et direct entre acteurs libyens n’ait eu lieu depuis 2015. Si l’on pousse plus loin l’analyse, les pseudos-négociations entre Libyens se font par procuration et entre parrains de camps opposés.
Il devient légitime de tirer la sonnette d’alarme et de demander aux Libyens d’éviter de souscrire aux projets sécessionnistes visant leur pays. Le temps est à la solidarité pour se reprendre en charge en acceptant de s’asseoir autour d’une même table, de laisser les sensibilités de côté et de bâtir dans une approche constructive l’avenir de leur Nation et le futur de leurs enfants
Farid Mnebhi.