HONDURAS. Natures mortes, portraits, paysages… La peinture de la plasticienne Suyi Martinez est une peinture d’offrande, une peinture spirituelle où tout est silence et sérénité. Aucun bruit, aucune interférence, une harmonie totale, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Dans l’univers pictural de cette plasticienne qui vit et travaille à Utila, la troisième plus grande île du Département des Islas de la Bahía au Honduras, cette approche esthétique devient un rituel et un acte de représentation.
Dans ses œuvres, le contemplateur s’aperçoit immédiatement les possibilités de notre artiste de guider méthodiquement son imagination pour faire quelques pas dans les territoires infinis de la création. L’œuvre prouve en outre que Suyi a toute liberté d’imposer un style à ses sujets, sans contraintes aucunes. Surtout en ce qui concerne la responsabilité de la forme dans l’apparition du style. Il est question dans ses tableaux de modifier les apparences en vue de l’expression. L’Hondurienne bouscule, malmène et renverse le sens commun des choses pour arriver à leur signification profonde. Ce qui explique la ferme volonté de cette plasticienne inspiré de ne jamais s’en tenir des explications superficielles et d’aller plutôt au- delà des vues conventionnelles vers des réalités intérieures.
C’est une approche critique de l’art contemporain, inséparable de la réalité et de son humanisme, contrairement aux représentations orientalistes qui ne voyaient pas l’humain et qui se préoccupaient surtout de leurs propres projections et de leur désir. De plus, Suyi les a transformées en sujets sur la toile, en réappropriant la surface de l’image. La lumière est très importante pour son travail surtout dans ses portraits, même si elle s’intéresse évidemment aux visages d’hommes, de femmes et ses paysages….la lumière et la couleur aident à attirer l’attention sur les profondeurs de l’histoire écrite sur leurs corps et sur les silences qui les entourent. A vrai dire, Suyi aime le contraste entre la sensualité inversée, la lascivité de leur posture et l’apparence presque «crépusculaire» de chacun.
Dans les peintures de la jeune artiste hondurienne, les figures de base ont toujours été intégrées à l’esquisse d’un paysage donné, avec des constructions architecturales qui essaient de mettre de l’ordre dans le chaos du monde tel qu’elle le perçoit. Les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs, créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée. Le principal changement de rythme est dans la structuration même de l’espace : les grandes figures humaines occupent désormais la place centrale de l’espace pictural.
La réflexion technique de Suyi Martinez se métamorphose ainsi en méditation quasi-spirituelle. Le peignage des plages colorées rappelle les pratiques des miniaturistes et le sillonnement des jardins zen, lieux de méditation par excellence. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, elle reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique qui signifie en dépit et au-delà de la finalité qu’elle lui assigne. L’espoir existe donc, en dépit de tout, au sein de la plus obscure des nuits.
C’est normal : l’art n’exorcise-t-il pas, ne conjure-t-il pas les démons, ne sauve-t-il pas la plasticienne en lui permettant de recréer la Création après l’avoir décréée, et la «décréation» n’est-elle pas l’un des exercices majeurs des hautes traditions spirituelles ? Mais ce n’est pas, en tout cas, pour cette artiste- peintre, l’espoir d’une évasion de la peinture : comme le poète n’habite pas une terre mais une langue, le peintre n’habite pas le monde mais la peinture. C’est la seule mère-patrie dont personne ne peut l’expulser. La peinture est son Honduras inaliénable, son paradis retrouvé.
Techniquement aussi, Suyi Martinez nous dévoile sa perception de la couleur à travers un ressenti et une pureté d’esprit qui nous explicite que l’action de la couleur influe sur nos sens. La contemplation de ses œuvres éveille en nous des sensations visuelles, mais aussi et au-delà, des ondes sensitives, sensuelles, salées, sucrées ou épicées. Un frisson, la chair de poule, une douce chaleur. Ainsi, la résonance de l’âme conduit à la sensibilité et statue que l’harmonie des couleurs repose uniquement sur l’entrée en contact avec l’âme humaine et que cette base constitue le principe de la nécessité intérieure : la spiritualité.
Ayoub Akil