ARTS. «I’ttimad entre Al Mou’ttamid et IbnTachafine », un spectacle musical de danse et de théâtre riche explorant une période cruciale de l’Histoire Arabo-musulmane en Espagne, écrit et mis en scène par la chorégraphe Fatima Zahra El Amrani, sera présenté mardi 27 février au Théâtre Mohammed V à Rabat, avec le soutien du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et du Théâtre Mohammed V. Ci-dessous un entretien avec Fatima Zahra El Amrani, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Fleurs d’Oranger.
Vous êtes à l’affiche avec le spectacle «I’ttimad entreAl Mou’ttamid et Ibn Tachafine». Avant d’en parler, quelle est l’origine de la compagnie Fleurs d’Oranger qui vous accompagne depuis plus de deux décennies ?
Fatima Zahra El Amrani : J’ai créé la compagnie Fleurs d’Oranger au début de 2001 à Montreuil, petite ville près de Paris très active au niveau artistique. Je suis en toute modestie la première danseuse orientale à avoir placé cette danse sur la scène théâtrale avec des sujets sérieux et porteurs de messages. C’est dans cette perspective que depuis 25 ans je m’efforce de sortir la danse de son côté fantasme colonial pour en faire un moyen de communication et de transmission de messages. A travers mes spectacles, je montre qu’elle n’est pas là que pour son aspect visuel et qu’elle sert la dramaturgie. En prenant la forme de messager, elle se libère de son côté superficiel pour renter dans la dimension spirituelle.
En ce qui concerne l’appellation Fleurs d’Oranger, elle puise ses origines dans les souvenirs de mon enfance passée dans un Riad où je sentais tous les jours des senteurs des fleurs d’oranger au début du printemps qui m’imprégnaient d’une manière indélébile au point de les ressentir trente ans après. Ces senteurs sont porteuses d’espoir et animent l’âme et pas seulement le corps. Voilà pourquoi j’ai appelé ma compagnie Fleurs d’Oranger.
La compagnie s’est fixé comme objectif de faire connaître l’art et la culture du Maroc et celle du Moyen-Orient. 23 ans après sa création, pensez-vous avoir atteint cet objectif ?
La vision de la compagnie Fleurs d’Oranger ne se limite pas qu’à faire connaître la culture et les arts du Maroc. Notre objectif réel est de construire des ponts entre les différentes cultures du monde. On est là pour rechercher des similitudes plutôt que des différences, surtout entre l’Orient, le Maghreb et l’Occident. Je ne suis donc pas là pour parler uniquement de ma culture, parce que le faire serait se séparer des autres et imposer son identité. Je suis là pour trouver un langage universel qui me relierait aux autres cultures.
Aussi, au-delà des objectifs déjà atteints, il y a toujours de nouveaux défis à relever et de nouvelles frontières à franchir. Cela dit, je pense que la compagnie est sur la bonne voie. Et le fait que de grandes structures culturelles comme l’Institut du monde Arabe (IMA) en Europe et bien d’autres au Maroc nous ont soutenus en nous ouvrant grandement leurs portes est la preuve qu’on est compris. Cela dit, il y a encore du travail à faire pour atteindre toutes les couches socioculturelles. Notre objectif est d’aider à l’éveil de l’humanité, élever les consciences de sorte que tout le monde comprenne que le corps n’est pas seulement un objet sexuel mais qu’il est un autre moyen d’expression qui peut dégager de l’énergie et éveiller les consciences.
La présentation de ce spectacle de danse et de théâtre en fin d’année dernière au Maroc a reçu un bel accueil. Comment l’avez-vous ressenti et pourquoi s’intéresser à cette tranche de l’histoire marquée par le règne des rois des Tawaiff ?
Je suis extrêmement contente de voir que les sujets que je traite dans mes spectacles touchent un large public et sont compris par toutes les tranches de la société. Un bel accueil surtout pour le spectacle «I’ttimad entre Al Mou’ttamid et Ibn Tachafine » qui nous renvoie au 11ème siècle pour explorer une période cruciale de l’Histoire Arabomusulmane en Espagne. Il faut dire qu’il traite d’un sujet qui a divisé les historiens et qui représente encore une tache noire dans l’Histoire Arabo-musulmane et de l’Espagne. Ce n’est pas qu’une histoire du Maroc, c’est aussi celle de l’Europe et de toute l’Afrique. Cette histoire s’est étendue à ces deux nations et son impact continue jusqu’à nos jours. Elle représente une rupture, le début de la fin de la civilisation arabo-musulmane en Espagne et le début du déclin de l’apogée de cette civilisation qui a commencé depuis les conquêtes islamiques au 7ème siècle jusqu’au 12ème siècle ainsi que le début de la montée de la civilisation occidentale.
Aussi, le spectacle a reçu son titre de noblesse puisque la représentation de ce spectacle le 4 mars prochain à Marrakech, sera placée sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Un privilège de haute distinction et en même temps une responsabilité lourde, mais nous serions à la hauteur inchallah.
Quel est votre regard sur la danse au Maroc et dans les pays arabes en général ?
Le monde arabe est dans le déni par rapport à la danse qu’il met en avant pour exprimer certains besoins et dénigre en même temps parce que le corps est encore un tabou au sein de la société. On adore la danse, mais on en a honte au point qu’elle ne trouve pas sa juste place. C’est donc un langage qui ne s’assume pas puisqu’on veut qu’elle soit représentante de notre peuple et en même temps on ne la met pas en valeur sauf quand cela nous arrange.
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai des projets qui me tiennent à cœur dont un qui est déjà ficelé, écrit et transmis au ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. J’attends juste le bon moment pour la réalisation du projet et sa représentation.
Pouvez-vous nous en donner un aperçu ?
Pour vous donner une idée, ce spectacle abordera une tranche de l’histoire du Maroc, et promet de réanimer le sentiment patriotique des Marocains. Mais pour l’instant, ce qui m’importe le plus, c’est d’aider les gens à évoluer dans leur vision du monde, à avoir de la tolérance dans leur jugement et leur façon de voir la vérité. Et donc, contribuer à l’éveil des consciences par la démocratisation de la danse et une vision différente de l’expression corporelle.
Propos recueillis par Alain Bouithy