TRIBUNE. Est-il vrai que le hirak n’a pas proposé de solutions réalistes de sortie de la crise ? C’est sur ce thème que se mène une campagne qui vise à dénigrer le hirak et ses objectifs d’Etat de droit.
En fait, il y a eu plusieurs propositions de la part de partis de l’opposition (PAD I et PAD II) et d’associations de la société civile pour une transition pacifique vers un régime civil. Nida 22, entre autres, a proposé une plate-forme détaillée pour une sortie pacifique de la crise.
Le problème c’est qu’en face, il y a eu un refus radical de changer les fondamentaux du régime qui n’a pas voulu négocier une transition pacifique. On sort l’argument que la revendication « yatnathaw ga3 » est nihiliste, populiste et irréaliste.
En démocratie, les dirigeants d’un parti qui perd les élections, ils partent tous, et ils attendent les prochaines élections pour revenir. Yetnahaw ga3 veut dire tout simplement que tous ceux qui ont eu une fonction politique quittent la direction de l’Etat : les députés, les ministres et aussi le président. Quant aux généraux qui ont assumé la fonction souveraine de désigner les présidents, ils doivent partir à la retraite.
La résistance à ce slogan est révélatrice de la culture politique des dirigeants qui s’identifient à l’Etat. Pour Chengriha, yetnahaw ga3 veut dire l’Etat yetnaha parce qu’il considère que l’Etat c’est lui. Il ne réalise pas que, en tant que général, il n’est qu’un haut fonctionnaire de l’Etat. Le régime n’est pas l’Etat.
Pour mieux expliquer, Joe Biden n’est pas l’Etat américain, Macron n’est pas l’Etat français. Quand ces présidents perdent les élections, ils partent avec leur administration remplacée par une autre administration, c’est-à-dire etnahaw ga3.
Or en Algérie, Chengriha, se cachant derrière Tebboune, dit que l’Etat, c’est moi, et donc je ne peux pas partir. Mais personne ne demande au général Chengriha de partir en tant que Chef d’Etat-Major. C’est l’affaire des officiers membres de cette institution de le maintenir ou de le remplacer. Les Algériens lui demandent de ne plus désigner les présidents et de retirer le service de sécurité qui dépend de son autorité du champ politique qui est l’espace des partis.
Est-ce qu’on peut espérer un jour un général algérien comprenne ces fondamentaux de la culture politique moderne ? Malheureusement, quand un général fait preuve de maturité politique, il est jeté en prison, comme c’est le cas du général Ali Ghdiri. Il paie de sa personne pour avoir exprimé une éthique militaire en cohérence avec l’Etat de droit.
Quant au slogan moukhabarat irhabia, il signifie que le DRS, indispensable à l’Etat en tant que service d’espionnage et de contre-espionnage, ne doit pas s’occuper de la société civile, des partis, de la presse, et aussi des différents appareils de l’Etat qui obéissent à leurs ministères de tutelle.
Moukhabarat irhabia veut dire que le DRS, jusqu’à aujourd’hui, exerce une violence au nom de l’Etat en dehors de la loi. Il s’immisce dans le champ politique et fait pression sur les juges pour condamner des citoyens et des journalistes pour leurs opinions ou leurs écrits.
Si le régime veut combattre ce slogan, il n’a qu’à rattacher le DRS au ministère de la justice. Les officiers du DRS travailleront sous l’autorité des juges. Après tout, aux Etats-Unis, le FBI dépend du ministère de la justice. Les activités du DRS dans le champ politique sont illégales au vu de la constitution.
Le hirak est en train de rappeler aux fonctionnaires de l’Etat de respecter la légalité. Le terrorisme est toute violence pratiquée en dehors de la loi. C’est valable aussi pour la gendarmerie, la police et tous les services de sécurité.
Les demandes encore vivantes du hirak : c’est 1. yetnahaw ga3, c’est-à-dire tout le personnel du régime doit partir (ministres, députés, président ainsi que les généraux politiques qui exercent indûment la souveraineté nationale) ; 2. madania machi ‘askaria veut dire que le mécanisme de désignation des députés et du président doit être la fonction exclusive des partis à travers les élections ; 3. moukhabarates irhabia veut dire les services de renseignement doivent se limiter à leurs prérogatives définies par la loi.
Comment l’Algérie va réaliser ces objectifs nécessaires pour restaurer l’Etat ? Le hirak a évité la violence qui déboucherait sur le chaos. Il appartient au régime d’accepter de négocier la transition vers un Etat civil avec les partis de l’opposition réelle et les représentants du hirak aujourd’hui en prison.
En conclusion, le hirak a montré une maturité politique dans ses revendications pour transformer en Etat le pouvoir central construit après l’indépendance. Les dirigeants ne doivent pas voir le hirak comme un adversaire, mais plutôt une dynamique de construction de l’Etat qu’ils devraient accompagner.
Par Lahouari Addi